De Gaulle fut le héros
français de la guerre
39-45, du moins pour les Français eux-mêmes. Mais,
comme
Louis XVI un siècle et demi plus tôt, le
général fut submergé par la vague
démocratique (voir :
de
Gaulle et la démocratie)
qu'il avait suscité, et il quitta le pouvoir
en janvier 1946.
Après
son départ, le
gouvernement provisoire,
composé de personnes qui avaient vu le nazisme
de
près, en phase avec l'assemblée nationale
constituante,
se prit à imaginer une société
nouvelle.
De nouvelles lois
véritablement révolutionnaires
furent votées dans les premiers mois de 1946,
pendant la
présidence de Félix Gouin (26 janvier-12 juin) :
-
Nationalisation de
l'électricité et du gaz (8 avril),
-
Abolition du travail
forcé dans les colonies (
Loi
Houphouët-Boigny).
-
Nationalisation des grandes
compagnies d'assurances (25 avril)
-
Mise en place de la
sécurité sociale (loi du 22 mai).
Il est possible que la
loi la
plus révolutionnaire soit la
loi 46-940 du 7 mai 1946, dont l'initiateur et le rapporteur fut le
député noir sénégalais
Lamine
Gueye. Comme l'édit de Caracalla en 212 après
Jésus-Christ, qui faisait citoyen
romain tous les les administrés de l'empire, la loi Lamine
Gueye fait citoyen français tous les
administrés de l'empire français. Jusqu'alors, la
république faisait une différence fondamentale
entre les "citoyens" français et les "sujets"
français. Les sujets français, soumis au code de
l'indigénat, avait le droit de payer les impôts et
de mourir pour la patrie, mais n'avaient pas de droits civiques ; ils
ne comptaient pas dans le
débat politique.
La loi Lamine
Gueye menait à
une révolution. Elle créait un dilemme majeur
entre une
option fédéraliste, peu compatible avec le
modèle unitaire français, et une option
assimilationniste, qui aurait eu pour résultat de faire
siéger au parlement français un nombre
d'élus d'outre-mer à peu près
équivalent à celui de métropole.
Les opposants à
ces
réformes se rassemblèrent autour du
général de Gaulle et
créèrent le RPF en
1947, pour
saboter cette
Quatrième république qui trahissait la France
éternelle, c'est à dire la France blanche,
qu'elle soit chrétienne ou anticléricale. Le
putsch des
militaires en Algérie, le 13 mai 1958, portera au pouvoir
le général de Gaulle qui abolira la
Quatrième république. Nous vivons
encore aujourd'hui sous cette idée, inspirée
et
consacrée par la Cinquième république,
que la
Quatrième fut une anarchie sans avenir, donnant un pouvoir
excessif au législatif et à la
représentation des citoyens.
.
Pour
empêcher l'évolution vers le pluralisme, soit sous
une
forme fédéraliste, soit par une
présence massive
de
députés d'outre-mer, les gaullistes
inspireront
dès le départ de Felix Gouin un certain nombre de
mesures
:
1 - La loi du 5 octobre 1946, modifiée par celle du 27
août 1947 établit des restrictions à
l'exercice du
suffrage universel : A Madagascar, un indigène sur 15 est
inscrit sur les listes électorales ; en Oubangui-Chari et au
Tchad, un sur trente. Le nombre des électeurs est bien
inférieur au nombre des contribuables.
2 - La loi du 5 octobre 1946 institue un double collège
d'électeurs ; d'un côté les
européens, de l'autre les anciens indigènes.
Les
élections dans les
anciennes colonies furent en outre truquées au vu et au su
de
tout le monde.
Marcel-Edmond
Naegelen, gouverneur de l'Algérie de 1948
à 1951
a
attaché son nom au système de fraude massive
instauré dans les anciennes colonies
("les
élections à la Naegelen").
Malgré
ces freins, le
processus engagé par la loi
Lamine Gueye s'affirme
à
partir de la loi-cadre de 1956, qui introduit définitivement
le
collège unique.
Lorsque
de Gaulle prend le pouvoir en 1958, il est trop tard pour revenir en
arrière. Il ne
reste plus qu'une solution pour sauvegarder la France
éternelle et le modèle unitaire : L'instauration
d'un
nouveau régime avec une nouvelle Constitution (voir
La
Constitution de 1958), plus
autoritaire et donnant un maximum de pouvoir à
l'exécutif, dans la mesure où le parlement ne
pouvait que faire la part de plus en plus belle à la
représentation des allogènes de
l'outre-mer. La
décolonisation était la solution ultime qui
permettrait d'échapper à
la nécessité du pluralisme et de reblanchir le
parlement.
La
révolution pluraliste, menée par les
députés noirs en 1946, fut confisquée,
déconsidérée et effacée des
mémoires.
Nous sommes
encore
aujourd'hui, politiquement et culturellement, sous la
Cinquième
république. Nos
amis noirs ou arabes s'étonnent de ne pas être
traités avec respect, et ont parfois du mal à
comprendre
les logiques profondes et souvent inconscientes du
modèle républicain français.
Il
faut qu'ils
apprennent l'histoire de France
ailleurs que dans les livres scolaires français. Nous
autres,
Bretons, en savons quelque chose.