L'indépendance de l'Islande (1944)Est-il légitime, est-il moral, qu'une minorité nationale se sépare d'un état démocratique ? Bonne question. |
On
considère généralement qu'un peuple
opprimé possède un droit à la
sécession.
Faut-il donc, comme dans les mauvais divorces, que des
minorités nationales
dynamiques, et qui assument joyeusement leur identité, se
lancent dans des
procès compliqués, plus ou moins sordides, pour
convaincre le jury qu'ils sont
un peuple opprimé ? L'Islande a proclamé sa république en 1944. Les Islandais ont " profité " de l'occupation du Danemark par les Allemands pour se séparer d'un état démocratique. L'histoire de cette sécession est intéressante. |
L'autonomie
de l'Islande par rapport à la couronne du Danemark avait
été consacrée par un
Acte d'Union en 1918. Celui-ci stipulait que le Danemark conservait la
souveraineté sur les affaires de Défense et les
Affaires Etrangères d'Islande.
Il était prévu de ré-examiner cet Acte
d'Union 25 ans après, en 1943.
Le 9
avril 1940, le Danemark est envahi, et tombe sous le contrôle
du Troisième
Reich allemand. Cette invasion fut ressentie en Grande Bretagne comme
une
menace majeure pour le contrôle de l'Atlantique Nord. En
effet, si les
sous-marins allemands, les fameux U-boats, se ravitaillaient dans les
possessions danoises, les îles Feroë, l'Islande, ou
le Groënland, ils
pourraient acquérir une supériorité
particulièrement redoutable dans les
opérations navales. Pour pallier ce danger, un mois après l'invasion allemande du Danemark, les troupes anglaises envahissent l'Islande. Il s'agit bien d'une invasion : l'arrivée des Britanniques ne résulte d'aucune demande, ni même d'aucune négociation avec les Islandais. Les Tommies s'installent d'autorité sur l'aéroport de Keflavik, à 45 kilomètres au sud de la capitale Reykjavik, et dans le fjord de Hvalfjordur, un site portuaire à 50 kilomètres au nord de la ville. Ils seront 25 000 hommes, pour une population d'environ 120 000 Islandais. |
En mars
1941, l'Allemagne déclare un blocus total des eaux
islandaises. Tous les
bateaux islandais sont ainsi impliqués de facto dans la
bataille de
l'Atlantique.
En Mai
1941, obligé de se débrouiller sans le Danemark,
interpellé par l'occupation
britannique et par le blocus allemand, le Parlement islandais se donne
un
régent, Sveinn Björnsson, ancien ministre danois.
Les Islandais n'étaient pas
particulièrement attirés par le nazisme. En
effet, la tradition démocratique y
est forte. L'Althing, créé au Xème
siècle, est le premier parlement populaire
de l'Europe moderne. Tout au long de leur histoire, les Islandais ont
fait
preuve d'une solidarité démocratique,
imposée par leur faible nombre, leur
situation de minorité, et la rigueur de leurs conditions de
vie. En revanche,
ils n'étaient pas a-priori anti-allemands. Avant la guerre,
c'était des
ingénieurs allemands qui avaient construit leurs routes
ainsi que les
canalisations d'eau chaude qui, à partir de l'eau des
geysers,
approvisionnaient la ville de Reykjavik.
Au printemps de 1941, la guerre était devenue mondiale, et l'empire britannique devait se battre sur plusieurs fronts, de l'Europe à la Birmanie, à l'Afrique et aux îles du Pacifique. L'Irlande, meurtrie par la guerre d'indépendance vingt ans plus tôt, était peu disposée à se ranger à ses côtés, et restait neutre. Winston Churchill demanda au président américain Franklin Roosevelt d'envoyer des troupes en Islande, afin de dégager les troupes britanniques qui y étaient immobilisées.
Roosevelt
avait établi des plans pour occuper les Açores et
la Martinique, et dut
reconsidérer sa stratégie. Dans le cadre de la
bataille maritime qui
s'annonçait pour le contrôle de l'Atlantique nord,
les chefs militaires
américains décidèrent de former une
nouvelle unité de Marines à Charleston, en
Caroline du Sud, en fusionnant les Marines de la Côte Ouest
et le 5ème
Bataillon de Défense de Parris Island.
Roosevelt
accepta la proposition de Churchill, à condition que les
Islandais invitent les
Américains. Mais ceux-ci, échaudés par
l'invasion britannique, firent la sourde
oreille. Malgré les pressions, ils refusèrent
jusqu'au dernier moment d'envoyer
l'invitation, et l'arrivée des troupes
américaines dut être repoussée
à l'été
1941, qui était le délai maximum que pouvaient
tolérer les Alliés. Les premiers éléments de l'armée américaine arrivèrent en Islande en août 1941. Ils s'installèrent dans les camps de l'armée britannique. Le 16 août, Churchill s'arrêta en Islande, de retour de Terre-Neuve où il venait de signer avec Roosevelt la Charte de l'Atlantique. Il inspecta les troupes anglaises et américaines. |
En janvier 1942, la probabilité d'une invasion allemande en Islande était devenue quasi-nulle. Ceux-ci étaient trop impliqués en Russie et en Afrique du Nord pour ouvrir un nouveau front. Quelques unités de Marines commencèrent à quitter l'Islande, mais le gouvernement américain émettait alors l'idée de bases US permanentes en Islande, et d'un droit d'ingérence. Ce genre de prétention indisposait fortement les habitants, d'autant que les Islandais participaient à l'effort de guerre maritime. Entre 1940 et 1945, des milliers de marins britanniques et américains furent sauvés du naufrage par des bateaux islandais. D'autre part des centaines d'Islandais périrent, victimes des sous-marins allemands. Les historiens estiment que les pertes islandaises en mer durant la seconde guerre mondiale sont, proportionnellement à la population, aussi grandes que les pertes américaines. |
Le 17
juin 1944, jour anniversaire de la naissance du nationaliste islandais
Jon
Sigursson (1811-1879), le parlement islandais proclama la
République à
Thingvöllur. Sveinn Björnsson en fut le premier
Président.
Le
traité d'Union entre l'Islande et le Danemark devait se
renégocier en 1943,
mais le Danemark était dans l'impossibilité
d'intervenir. Les Islandais
décidèrent d'agir unilatéralement. Ils
organisèrent un référendum au
début de
1944, pour savoir si la population approuvait la sécession.
Il y eut 98,6% de
votants, et 97,3% d'entre eux se prononcèrent pour le oui.
Il était difficile de contester le verdict des urnes. De la part des Britanniques ou des Américains, compte tenu de la façon cavalière dont ils s'étaient comportés dans l'île, il aurait été inconvenant de donner aux Islandais des leçons de démocratie. La nouvelle république fut reconnue par les puissances Alliées et l'Union soviétique. Le roi Christian X, souverain du Danemark occupé par les Allemands, envoya un télégramme pour souhaiter le maintien de l'Union, mais aussi pour s'incliner devant le fait accompli.
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Jon Sigursson (1811-1879)
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L'Islande était indépendante, mais toujours occupée par les troupes américaines. Contrairement aux obligations contractuelles, le gouvernement US ne voulut pas rapatrier ses troupes à la fin de la guerre, et réclama même des bases permanentes dans le pays. Le gouvernement islandais refusa. Un compromis fut signé en 1946 : Les États-Unis garderaient le contrôle de l'aéroport de Keflavik pendant 6 ans et demi.
En 1951, pendant la guerre de Corée, les
États-Unis obtinrent la
permission de faire stationner des troupes en Islande, mais cette fois
sous la
bannière de l'OTAN. En 1985, le Parlement islandais a
interdit tout passage
d'arme atomique sur son sol.
Une
autre question de souveraineté nationale a agité
les premières décennies de la
République islandaise : C'est le droit de gérer
les stocks de poisson autour de
l'île. En 1964, pour lutter contre la surpêche des
bateaux britanniques, le
gouvernement islandais étend ses limites territoriales de 4
à 12 miles autour
de ses côtes. Puis, en 1972, il étend ses limites
à 50 miles nautiques. La
Grande Bretagne envoya des bateaux de guerre pour protéger
ses chalutiers. En
1975, l'Islande remet ça et étend ses limites
territoriales à 200 miles,
provoquant la troisième " guerre de la morue ". En 1976,
après la
rupture diplomatique entre les deux pays (le premier cas entre deux
pays de
l'OTAN), puis le retour à la table des
négociations, la Grande-Bretagne accepta
les nouvelles limites.
Rappelons à ceux qui sont désespérés par les " rapports de force " que la population de l'Islande est d'environ 265 000 habitants et celle du Royaume-Uni d'environ 60 millions.