Lettre de François BILLOUX, 

député communiste et membre du Comité central du PC, 

au Maréchal Pétain, le 19 décembre 1940



Contexte : Après la signature du pacte germano-soviétique, les communistes se désolidarisent de leurs alliés de gauche et prêchent la paix avec l'Allemagne. Mais ils ont du mal à convaincre de leur bonne volonté de collaborer, d'autant plus que les Allemands n'en veulent pas.

Le député communiste demande à être entendu comme témoin à charge contre Blum et Daladier (président du Conseil socialiste) au procès de Riom qui devait juger les responsables de la guerre et de la défaite française. François Billoux présente les communistes comme les ennemis de l'impérialisme britannique et les seuls précurseurs du pétainisme.

Source : cette déclaration figure à la page 7 de la brochure "Nous accusons !" éditée par le PC en octobre 1940 (texte intégral)

Monsieur le Maréchal,

          II y a un an aujourd'hui, après une détention préventive de quarante jours, j'étais inculpé de reconstitution de ligue communiste dissoute par M. le capitaine de Moissac, juge d'instruction près le troisième Tribunal militaire de Paris. Cette inculpation était basée cependant sur un acte absolument normal pour un groupement légalement constitué et officiellement reconnu à la Chambre des députés : une lettre adressée par le groupe parlementaire ouvrier et paysan a M. le Président de la Chambre des députés.
          Ceux qui ont ordonné, toléré ou procédé à notre arrestation dans 1'interêt général, du régime (Daladier, général Hering, commissaires et juges d'instruction et président du troisième tribunal militaire) ont commis un acte de forfaiture. II est vrai que la Constitution avait déjà été violée lors de la déclaration de guerre et qu'elle devait l'être encore quelques semaines plus tard par notre déchéance de député. Le gouvernement choisissait ce mauvais prétexte (infraction au décret-loi du 26 septembre 1939) parce qu'il ne voulait pas donner la véritable raison de nos poursuites. Nous étions les seuls a nous dresser contre la guerre ; nous étions les seuls pour la paix.
       C'est pour mieux préparer la guerre impérialiste que le gouvernement français avait renforcé la répression communiste. C'était pour mieux la diriger que l'on mettait en prison les représentants de millions et de millions d'électeurs français.
         Certains osent maintenant se présenter comme des hommes de paix. Parmi eux, il y a ceux qui se sont tus en septembre et en octobre 1939. Qui se sont tus jusqu'à la débâcle, aussi bien à la Chambre des députés, au Sénat, qu'au Conseil supérieur de la guerre et ailleurs. En ce faisant, ils ont approuvé et ont donc leur part de responsabilité dans la débâcle, surtout que certains d'entre eux espéraient arriver au pouvoir par un écrasement de notre pays.
         D'autres nous disaient : " Vous avez raison, mais nous nous taisons parce que nous ne voulons pas aller en prison. "
          Et puis, il y avait surtout ceux qui hurlaient avec la meute et, dans des articles ou des discours, découpaient déjà l'Allemagne en petits morceaux.
          Le 26 juin 1940, dans un manifeste, vous disiez, Monsieur le Maréchal : " Je hais les mensonges qui nous ont fait tant de mal. " II faudrait alors, pour dissiper un certain nombre de mensonges, que vous fassiez connaître a l'ensemble de la population de France :
1° Une lettre du groupe ouvrier et paysan adressée le 1er octobre 1939 au Président de la Chambre ;
2° Les comptes rendus des débats de notre procès et la déclaration que j'ai lue au nom de tous mes amis, au terme des débats. Dans cette déclaration, nous disions par exemple :
          " Nous sommes poursuivis parce que nous nous sommes dressés et que nous nous dresserons avec la dernière énergie contre la guerre impérialiste qui sévit sur notre pays, parce que nous appelons le peuple à exiger qu'il y soit mis fin par la paix, parce que nous indiquons au peuple de France le moyen de rendre notre pays libre et heureux. "
Et plus loin : " Le gouvernement français et les capitalistes au nom de qui ils agissent tentent de nous faire croire que les responsabilités de la guerre sont unilatérales, qu'eux-mêmes n'y sont pour rien, que le peuple de France se bat pour la justice, la liberté et 1'indépendance des peuples. Mensonges!... Les responsables de la guerre? Nous nous refusons à nous faire les complices de cette énorme duperie qui consiste dans chaque pays à les rejeter sur les gouvernements ennemis. Il y en a chez nous. En premier lieu l'ex-gouvernement et son chef M. Daladier qui a dirigé 1'Etat contre le peuple, et dans l'interêt d'une minorité de gros possédants. "
          Puis encore : " On nous a traînés devant les tribunaux, parce que nous seuls avons eu le courage d'appeler le peuple à chasser le gouvernement Daladier dont les responsabilités dans la guerre sont écrasantes et qui a introduit dans notre pays des méthodes de réaction et de terreur. Comment osent-ils parler de guerre pour la liberté, ceux qui la détruisent chez nous ? Un tel gouvernement ne représente pas le pays; il ne peut se maintenir que par la dictature. "
Lors de mon interrogatoire, je disais : "Cette guerre sera néfaste pour la France; vaincus, nous serons les esclaves d'Hitler ; vainqueurs, nous serons les domestiques de Chamberlain. Pourtant il y avait et il y a encore une politique d'indépendance française à faire, cette politique qui a conservé la paix à l'Union Soviétique. "
         Et comme je me dressais contre la soumission de nos gouvernements a l'impérialisme britannique, le commissaire du gouvernement Bruzin, qui est maintenant substitut a la Cour suprême de Riom, me faisait interrompre violemment par le président du tribunal et me menaçait d'exclusion des débats et d'une condamnation supplémentaire pour insultes à un pays ami. Personne autre que nous, les communistes, n'a eu le courage de dire la vérité au pays.
        Dans un article élogieux à votre égard, M. Georges Suarez, dans I'Illustration du 30 novembre 1940 (le seul journal ou revue que nous pouvons lire) écrit : " La guerre était une folie, les neuf mois d'inactivité furent un crime. " Pendant ce temps on donnait au pays l'illusion qu'il était gouverné par les arrestations arbitraires de ceux qui avaient défendu la paix ; on emprisonnait, on condamnait.
          Mais qui emprisonnait-on ? Qui condamnait-on ?  Sinon, à quelques exceptions près, seulement les communistes qui sont toujours en prison ou dans des camps de concentration lorsque l'on ne les y a pas mis depuis la fin de la guerre.
         Je me demande bien quel nouveau mauvais prétexte on a trouvé pour cela. Peut-être essaie-t-on de les représenter eux, les seuls vrais partisans de la paix, comme des partisans de la guerre, eux les seuls vrais partisans de l'indépendance de la France et de la fraternité des peuples, comme les agents de l'Angleterre après les avoir présentés comme les agents de l'Allemagne.
         Si vous voulez donc en finir avec les mensonges, Monsieur le Maréchal, il faut aussi libérer immédiatement les Communistes, et les seuls députés qui se sont dressés contre la guerre.
        Etant donné que rien n'a été publié sur les débats à huis-clos de notre procès, où nous avons dénoncé les véritables fauteurs de guerre, je demande à être entendu en qualité de témoin par la Cour Suprême de Riom.

          Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, l'assurance de ma haute considération.

François Billoux, 19 décembre 1940

(1) Collaborateur notoire, fusillé à la Libération


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