Mercuriale d'août 2017

Les gènes, les mèmes, les nations

Charles Darwin et Richard Dawkins
Charles Darwin et Richard Dawkins

          Sortons des sentiers battus.

       La revendication bretonne a hérité du nationalisme du XXe siècle, qui établissait un lien fort entre génétique et nation. Sommes-nous condamnés à porter cette charge doctrinale comme un boulet ? Pouvons-nous dépasser dialectiquement cet héritage maudit ?

       Le lien entre génétique et nation découle, en fait, du lien entre biologie et nation. Il est difficile de s’affranchir de ce lien. La nation est une communauté d’êtres vivants. Elle ne peut pas être coupée de la nature et de ses lois, même par un idéal culturel ou éthique. Ce ne serait plus du nationalisme. Les utopies morales sont des paradis artificiels, que la nature humaine a tôt fait de transformer en enfer.

               Les biologistes travaillent sur le "phénotype étendu", c'est-à-dire l'expression du code génétique, non seulement par des caractéristiques physiques, mais aussi comportementales : la migration de l'hirondelle, l'attitude grégaire de la poule, l’agressivité des poissons coralliens, les comportements sexuels ou alimentaires. Au XIXe siècle, Charles Darwin a découvert l’algorithme qui explique la survie et l’évolution des communautés animales : reproduction-mutation-sélection. Au XXe siècle, les éthologues darwiniens ont établi le lien entre les comportements animaux et la survie des espèces.

          Pour expliquer la pérennité des cultures humaines, le schéma génétique a des limites évidentes. Certains comportements humains sont contradictoires avec la survie biologique de l'espèce. Ainsi en est-il de la chasteté chez les prêtres catholiques, de l’abnégation chez les militaires ou de l'attentat-suicide. Pourtant, ces traits culturels se reproduisent avec succès, parfois sur une très longue période. Un biologiste britannique, Richard Dawkins, a émis l'hypothèse de l’existence d’un autre réplicateur que le gène, obéissant lui aussi au schéma darwinien. Dawkins a nommé cet autre réplicateur le "mème".

        Le gène est l’unité de codage génétique. Le mème est l’unité de codage culturel. Le gène se transmet sexuellement, chez l'homme et la plupart des animaux. Le mème se transmet de cerveau à cerveau. Il peut aussi se déposer dans un livre, une vidéo, une mémoire d’ordinateur. Il peut se reproduire par l'imitation, l'apprentissage, la conversation, l'exemple vécu, le livre, internet.  Il est sujet à mutations et à variations. L'environnement exerce une pression sélective.
         Pour l’instant, il n’y a pas de preuve de l’existence matérielle du mème. Mais n’oublions pas que la preuve de l’existence du gène a été apportée bien après que les lois de la génétique aient été découvertes et utilisées en agriculture.

        Les espèces animales sont définies par des pools génétiques. Ainsi, chez les carnivores, sont associés les gènes qui codent le système digestif et ceux qui codent les instincts de prédation. Les mèmes s’associent de la même façon pour structurer des communautés. Ceci est valable, non seulement pour les communautés humaines, mais aussi pour des communautés animales évoluées. Certains comportements y sont acquis et transmis. Ainsi en est-il du lieu de résidence des choucas, du lavage des aliments par des communautés de singes au Japon, de la connaissance des poisons dans les communautés de rats.

        Le lien entre les mèmes et les communautés humaines a été exploré par des auteurs anglo-saxons dont certains ont été traduits en français, comme Susan Blackmore ("La théorie des mèmes") et Howard Bloom ("Le principe de Lucifer"). Le sentiment d’appartenance, la pensée créative, les langues, les habitudes culturelles sont des systèmes évolutifs de type darwinien. Ils sont fondés sur des reproductions, des variations et des sélections permanentes. De telles études peuvent inspirer un nouveau nationalisme, qui pourrait bien être le successeur du nationalisme génétique. Explorons-en quelques aspects.
        Alors que l’idée de "patrimoine génétique" a toujours été discutable, une mémoire commune assumée, stockée à la fois dans les cerveaux des membres de la nation, dans leurs "savoirs-faire" et dans les serveurs informatiques mondiaux, ferait du nationalisme mémétique une force bien plus attrayante que le nationalisme génétique. Il encouragerait la transmission des savoirs de tous ordres, des savoirs-faire, des savoirs-être.
         Le nationalisme génétique visait à la pureté et à l’exclusion. Ce n’est pas le cas du nationalisme mémétique, qui viserait à une richesse immatérielle, partagée et accessible à tous.

         Depuis 40 ans, l’hypothèse du mème a mobilisé de grands esprits de par le monde. Elle s'est popularisée chez les geeks. D'éminents biologistes, psychologues et sociologues se sont penchés sur ces réplicateurs que sont les mèmes. Ils se sont aussi penchés sur leur mode de reproduction et de diffusion. Les stratégies isolationnistes, natalistes ou génocidaires qui imprègnent le nationalisme génétique ne fonctionnent pas avec le mème. Le succès ou l’échec d’un ensemble mémétique, nation, religion, culture, passe par des stratégies qui peuvent être évaluées par la théorie des jeux. Les résultats d’Axelrod sur les effets de la coopération sont particulièrement intéressants.

        Pourquoi introduire une nouvelle hypothèse, d'origine scientifique, dans notre réflexion sur le nationalisme breton ? 
        Parce que la Bretagne est une aventure collective originale et incertaine, sûrement pas une vérité cristallisée.

JPLM

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