Fabre d'Eglantine
         Fabre d'Eglantine

Calendrier républicain




          La première république française fut proclamée le 22 septembre 1792, jour de l'équinoxe d'automne.
          Par décrets du 5 octobre et du 24 novembre 1793, la Convention abolissait le calendrier romain. Elle lui substituait un calendrier républicain, c'est-à-dire français.

          Il faut avouer que notre calendrier grégorien est un joyeux fatras, portant la trace de croyances et religions concurrentes et successives. Certains mois portent des traces de paganisme. Janvier vient du dieu Janus. Février, du bas latin februarius, est le mois de la purification. Mars est le mois du dieu de la guerre. Le nom Avril est d'origine étrusque ; sa signification est inconnue. D'autres mois portent le nom d'anciens héros : Juin pour Junius Brutus, Juillet pour Jules César, Août pour Auguste.  D'autres portent seulement des numéros : Septembre pour le septième mois, Octobre pour le huitième, Novembre pour le neuvième, Décembre pour le dixième. L'année romaine commençait au 1er mars.

          Les noms des jours de la semaine dite juive sont eux aussi un mélange de traditions. Lundi est le jour de la lune. Mardi, jour de Mars dans la tradition latine, est le jour de Tiw (Tuesday) dans la tradition germanique. Mercredi (Wenesday) est le jour de Mercure (ou de Wotan). Jeudi (Thursday) est le jour de Jupiter (ou de Thor). Vendredi (Friday) était le jour de Vénus (ou de Frey, ou peut être de Freya dans la tradition germanique) ; Samedi (Saturday) est peut être le jour du sabbat juif (Sabbati dies), ou peut-être le jour de Saturne. Dimanche (Sunday), est le jour du Seigneur, ou du soleil...

          En 1792, les jours, les mois et les années devenaient républicains. Comme tout le monde, il leur fallait  adopter une démarche citoyenne, crénom !
          L'assemblée chargea le secrétaire de Danton, Fabre (dit " d'Eglantine "), de réformer le calendrier.

          Dans un rapport à la Convention, Fabre d'Eglantine expose le projet :

     " La régénération du peuple français, l'établissement de la République, ont entraîné nécessairement la réforme de l'ère vulgaire. Nous ne pouvions plus compter les années où les rois nous opprimaient, comme un temps où nous avions vécu.
        Les préjugés du trône et de l'église, les mensonges de l'un et de l'autre, fouillaient chaque page du calendrier dont nous nous servions. Vous avez réformé ce calendrier, vous lui en avez substitué un autre, où le temps est mesuré par des calculs plus exacts et plus symétriques. "

          Le nom des mois évoque des moments de la vie rurale dans la région parisienne et le centre de la France. Vendémiaire évoque les vendanges, Brumaire les brumes, Frimaire le froid. Les trois mois d'hiver sont Nivôse, évocation de la neige, Pluviôse de la pluie, Ventôse du vent. Le printemps commence avec Germinal, le mois de la germination. Il se poursuit avec Floréal, le mois fleuri, puis Prairial, le mois des prairies. Le premier mois d'été est Messidor, le mois des moissons. Puis vient Thermidor, le mois chaud. L'année se termine par Fructidor, le mois des fruits.

          Chaque mois est divisé en 3 décades de 10 jours. Les noms des jours sont : primdi, duodi, tridi, quartidi, quintidi, sextidi, septidi, octidi, nonidi, decadi.
          Les 5 ou 6 jours complémentaires sont appelés Sansculottides.
         Ces Sansculottides correspondent à des fêtes dont la dernière, la " fête de l'opinion " est la plus curieuse.

         Fabre d'Eglantine la définit ainsi :

          " Tant que l'année a duré, les fonctionnaires publics, dépositaires de la loi et de la confiance nationale, ont dû prétendre et ont obtenu le respect du peuple et sa soumission aux ordres qu'ils ont donné au nom de la loi ; ils ont dû se rendre dignes non seulement de ce respect, mais encore de l'estime et de l'amour de tous les citoyens : s'ils y ont manqué, qu'ils prennent garde à la fête de l'Opinion, malheur à eux ! ils seront frappés, non dans leur fortune, non dans leur personne, non même dans le plus petit de leurs droits de citoyen, mais dans l'opinion.
            Dans le jour unique et solennel de la fête de l'Opinion, la loi ouvre la bouche à tous les citoyens sur le moral, le personnel et les actions des fonctionnaires publics ; la loi donne carrière à l'imagination plaisante et gaie des Français. Permis à l'opinion dans ce jour de se manifester sur ce chapitre de toutes les manières : les chansons, les allusions, les caricatures, les pasquinades, le sel de l'ironie, les sarcasmes de la folie, seront dans ce jour le salaire de celui des élus du peuple, qui l'aura trompé ou qui s'en sera fait mésestimer ou haïr. L'animosité particulière, les vengeances privés ne sont point à redouter ; l'opinion elle-même feroit justice du téméraire détracteur d'un magistrat estimé.

           C'est ainsi que par son caractère même, par sa gaieté naturelle, le peuple français conservera ses droits et sa souveraineté ; on corrompt les tribunaux, on ne corrompt pas l'opinion. Nous osons le dire, ce seul jour de fête contiendra mieux les magistrats dans leur devoir, pendant le cours de l'année, que ne le feraient les lois même de Dracon et tous les tribunaux de France. La plus terrible et la plus profonde des armes françaises contre les Français, c'est le ridicule : le plus politique des tribunaux, c'est celui de l'opinion ; et si l'on veut approfondir cette idée et en combiner l'esprit avec le caractère national, on trouvera que cette fête de l'opinion seule est le bouclier le plus efficace contre les abus et les usurpations de toute espèce. "

              Fabre d'Eglantine a été guillotiné le 17 Germinal, an II (6 avril 1794). Est-ce parce qu'il voulait traiter les fonctionnaires de façon aussi inconvenante ?

Calendrier républicain

            Le nouveau calendrier posa un certain nombre de problèmes. Ainsi les ouvriers ne travaillaient pas le dimanche, selon la tradition ancienne, et chômaient le décadi, selon la tradition nouvelle. Or les sans-culottes se recrutaient dans le milieu des artisans et des commerçants de Paris ; petits patrons, ils se plaignaient de la montée de la fainéantise chez leurs ouvriers.

              Le calendrier révolutionnaire fut aboli par Napoléon le 1er janvier 1806.

                    Il fut rétabli à deux reprises.
                    Une première fois par les Communards de Paris en 1871. Une seconde fois par Mussolini en 1922.


            Le calendrier de Fabre d'Eglantine est un pur produit du nombrilisme français.
          Il fait commencer le temps au 22 septembre 1792. On est en pleine mégalomanie : le temps universel commence quand est proclamée la république française.
           Les mois se veulent universels, mais ils évoquent seulement des moments de la vie dans la région parisienne. Que veut dire Nivôse, mois de la neige, en Haïti ? Que veut dire Frimaire en Nouvelle Calédonie, où il correspond à la saison chaude ? Et Vendémiaire en Angleterre ? On pourrait multiplier les exemples.

L'universalité est bien cruelle envers l'universalisme.


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ContreCulture / Calendrier républicain version 1.1