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L'indépendance de la Slovaquie (1993) |
Contre
ceux qui se réclament de l'indépendantisme, un
certain
nombre d'arguments sont
mis en avant : 1. Il
faut pouvoir justifier de droits historiques, c'est-à-dire
d'antécédents : un Etat qui aurait
subsisté
pendant plusieurs siècles, et dont
l'indépendantisme
contemporain constituerait une résurgence, un rappel
acceptable,
sinon légitime
; 2. Il
faut pouvoir justifier dès aujourd'hui que notre budget
national
serait
équilibré, et que l'indépendance
serait
économiquement viable ; 3. Il
faut pouvoir justifier de notre bonne volonté par une
opposition
historique à
la dictature et au totalitarisme, en particulier pendant le
XIXème siècle, au
cours duquel les conservatismes et les aspirations
démocratiques
se sont clairement
opposées ; 4. Il
faut avoir été du bon côté
pendant la guerre
39-45 ; 5. Il
faut que l'Etat dont on veut se séparer soit totalitaire,
exagérément
centraliste, éventuellement incompétent. 6. Il
faut pouvoir justifier d'un farouche volonté de
séparation, prouvée par des
manifestations de masse, et si possible par quelques sympathiques
martyrs. Nous autres Bretons, avec toutes nos justifications historiques, notre dur labeur pour que la Bretagne soit économiquement viable, notre rejet du Breiz Atao et des Chouans, notre obsession démocratique, notre ouverture aux autres, nous avons l'air de quoi ? |
A-t'il
jamais existé, par le passé, une Slovaquie
indépendante ? La question se pose
sérieusement.
Entre
623 et 658, un commerçant frank du nom de Samo organise les
tribus slaves
vivant sur le territoire de la Slovaquie actuelle contre les Avars. En
fait, le
royaume de Samo se défendra surtout contre les
prétentions des rois franks, en
particulier Dagobert (600 - 638), et disparaîtra avec son
créateur.
En 833,
Mojmir unit les deux principautés slaves de Morava et de
Nitra,
et crée
l'empire de Grande Moravie. D'abord vassal de l'empire frank de Louis
le
Germanique, la Grande Moravie deviendra progressivement
indépendante sous le
règne de Ratislav, puis de Svätopluk. C'est
à cette
époque qu'arrivent en
Grande Moravie les deux " apôtres des Slaves ", Cyrille et
Méthode.
En lutte contre le clergé frank, ces derniers
défendent
l'usage de la langue
commune (le slavon) dans la liturgie, et contribuent à la
naissance d'une
graphie spécifique (le glagolithique, devenu le cyrillique).
En
880, par la
bulle Industriae Tuae, le pape Jean VIII accorde à la Grande
Moravie le rang
d'Etat indépendant et de province ecclésiastique.
Mais,
quinze ans plus tard,
les princes tchèques font sécession et se
soumettent aux
Franks. L'empire de
Grande Moravie commence à se disloquer. En 907, à
la mort
du roi Mojmir II, il
sera annexé à l'empire magyar, l'empire des
Hongrois.
L'indépendance de la
Grande Moravie aura duré 74 ans.
Pendant
les 10 siècles suivants, de 907 à 1918, la
Slovaquie
restera rattachée à la
Hongrie, avec des épisodes d'invasions : polonaise (au
début du XIème siècle),
mongole (1241-1242), autrichienne (1242-1246), turque
(XVIème -
XVIIème
siècles).
Au XIXème
siècle, la Bretagne a raté le Printemps des
nationalités, coincée entre la
récupération conservatrice de la
rébellion des
chouans, et l'arrogance de la
France républicaine. La Slovaquie s'est retrouvée
dans
une situation identique.
En 1790, L'empereur Léopold II avait reconnu la Hongrie
comme un
royaume libre
et indépendant dans le cadre de l'empire. La domination
hongroise, à partir de
là, se double d'une magyarisation de tous les peuples
allogènes, slaves en
particulier. En réaction à l'uniformisation, les
idées nationalistes et le
panslavisme se répandirent dans les territoires slovaques,
croates, tchèques et
serbes. Lorsque éclata à Budapest la
révolution
libérale de Kossuth, les
Slovaques, ainsi que les Croates, se rangèrent du
côté des empereurs autrichiens.
Comme les chouans bretons, ils préféraient un roi
lointain plutôt qu'un
gouvernement " démocratique " trop proche, qui leur imposait
la
langue qu'ils devaient parler, le dieu qu'ils devaient adorer, les
coutumes
qu'ils devaient suivre et les lois qu'ils devaient appliquer.
A la
magyarisation a succédé pendant quelques
années la
germanisation de la
Slovaquie, avec une arrogance équivalente. Puis,
après la
signature du
compromis austro-hongrois, en 1867, les libéraux hongrois
reprennent la magyarisation
à outrance des territoires slaves. En 1879, ils
décrètent le Hongrois langue
obligatoire et unique dans tous les territoires dépendant de
Budapest.
Le
différend porte aussi sur la religion. la Hongrie est
majoritairement
protestante, alors que la Slovaquie est restée catholique.
Le 27
octobre 1907 a
lieu le massacre de Cernova. Les gendarmes tirent sur la foule venue
manifester
contre le clergé pro-hongrois ; le bilan est de 15 morts.
En
1918, pour des raisons de géopolitique, les puissances
occidentales décident la
création d'un état de moyenne puissance entre
l'Allemagne, l'Ukraine, la
Hongrie, la Pologne, et l'Autriche : l'état
tchécoslovaque. L'avènement de cet
état est vécu comme un soulagement, y compris par
le
Conseil National Slovaque,
car il permet à la Slovaquie d'échapper
à la
politique d'assimilation
hongroise.
Vingt
ans après avoir créé la
Tchécoslovaquie,
les Occidentaux la sacrifie à leurs
intérêts. En septembre 1938, à la
Conférence
de Munich, ils obligent la
Tchécoslovaquie à céder le territoire
des
Sudètes à l'Allemagne nazie. La
crédibilité du gouvernement de Prague, incapable
d'assurer l'intégrité du
territoire, s'effondre. En octobre, dans la droite ligne des accords de
Munich,
la Hongrie et la Pologne demandent aux puissances occidentales de leur
accorder
les zones de Slovaquie où résident leurs
minorités. La Slovaquie ne veut pas
dépendre, pour une affaire aussi vitale que
l'intégrité de son territoire, des
dirigeants de Prague qui ont bradé une partie du pays. Elle
demande et obtient
l'autonomie, afin d'assurer elle-même sa
sécurité.
Le gouvernement provincial
est confié à un homme politique slovaque qui est
aussi un
ecclésiastique,
Monseigneur Josef Tiso.
La
marge de manœuvre est faible. Les Slovaques n'ont rien
à
attendre des
puissances occidentales, qui privilégient la Hongrie et la
Pologne. Pour ne pas
voir la Slovaquie dépecée sous ses yeux, Tiso
négocie l'intégrité du territoire
slovaque avec Hitler. Le gouvernement tchécoslovaque
réagit en envoyant l'armée
en Slovaquie, en arrêtant les élus slovaques et en
proclamant la loi martiale.
Nous sommes en mars 1939. Une semaine plus tard, l'assemblée
provinciale
slovaque vote l'indépendance à
l'unanimité.
Tout va
très vite. Les troupes allemandes entrent en
Tchéquie
(Bohême) et prennent
aussi position en Slovaquie. Tiso et Ribbentrop, le Ministre allemand
des
affaires étrangères, signent un Schutzvertrag
(Traité de Protection) : les
troupes allemandes quittent la Slovaquie, mais Tiso doit aligner sa
politique
étrangère sur celle du Reich.
En
juillet, la Slovaquie devient une république, et Tiso en est
nommé président en
octobre.
La
Slovaquie indépendante est reconnue par 28 états,
mais
tout se retourne l'année
suivante. En juin 1940, les Anglais reconnaissent le gouvernement
tchécoslovaque de Bénès en exil
à Londres.
A partir de là, Le gouvernement de
Tiso n'est plus un interlocuteur pour les Alliés. La
Slovaquie
indépendante
devient, sur l'échiquier européen, un objet
politique
encombrant.
Dans le
gouvernement slovaque, deux clans s'affrontent. Autour de Tiso se
regroupent
des partisans du neutralisme et d'un nationalisme de survie. Autour du
Premier
ministre Tuka se regroupent les partisans de l'alliance allemande, mus
par des
convictions nazies ou, plus prosaïquement, par opportunisme.
Le 28
juillet 1940, Hitler convoque Tiso à Salsbourg pour lui
montrer
qui est le
maître, et quelle est la règle du jeu. Durcansky,
ministre
des affaires
étrangères de Slovaquie et partisan d'une
politique
neutraliste, doit
démissionner. Tiso propose alors aussi sa
démission, mais
Hitler la refuse et
la hiérarchie ecclésiastique l'en dissuade. Le
coup
d'Etat proposé par Tuka
pour installer un gouvernement ouvertement nazi en Slovaquie est
désavoué par
les Allemands. Hitler préfère manipuler un Tiso
réticent que d'avoir à
contrôler des éléments
fanatisés.
![]() Tiso entouré
d'officiers nazis
|
D'un
point de vue économique et culturel, la première
république slovaque prend des
mesures pertinentes, qui ne sont même pas
contestées par
ses ennemis les plus
farouches. Ainsi le communiste Gustav Husak, un des chefs de
l'insurrection de
1944, écrit que " si cet État avait
été
mené par un autre régime, sans
parler d'un changement d'alliance, il n'y aurait rien eu à
dire
contre lui d'un
point de vue slovaque ". Le régime est paternaliste, avec un mélange d'autorité et d'insouciance. La presse est censurée, et la milice, la Garde Hlinka, rend toute opposition publique risquée. Mais Tiso n'a pas de garde du corps, et personne ne sera condamné à mort durant tout son mandat. Cependant, on ne joue pas avec le diable impunément. Même si Tiso réussit plus ou moins à préserver les Slovaques des rigueurs de l'occupation, il doit accepter l'inacceptable : la répression et la déportation des Juifs. Déjà en 1939, avant toute pression allemande, le gouvernement slovaque avait créé une commission pour limiter le rôle des Juifs dans la société. En 1941, les nazis imposent aux autorités slovaques la déportation en Pologne de 20 000 Juifs de Slovaquie. A partir de 1942, la milice slovaque organise le départ de 57 628 personnes, hommes, femmes enfants. |
On
commence alors à savoir que les déportations
mènent à la mort. Le refus
s'organise, y compris au sein de l'église slovaque.
Toutefois la
position de Tiso
sur le sujet reste louvoyante, douteuse. En septembre 1941, lors de
l'adoption
du Codex Judaïcus par le parlement slovaque il menace
à
nouveau de démissionner
; là encore, ses supérieurs
hiérarchiques au sein
de l'église lui font valoir
que son retrait serait catastrophique. A l'inverse, en août
1942,
il approuve
publiquement les déportations. Puis, en octobre 1942, les
déportations à partir
de la Slovaquie s'arrêtent, sans explication publique.
En
1943, Tiso promet à Veesenmayer, l'envoyé
d'Himmler, que
les déportations de
Juifs vont reprendre ; mais il n'en fait rien.
La
première opposition à la République
slovaque,
compte tenu de son caractère
religieux, vient des protestants luthériens. Ceux-ci sont
proches des Tchèques,
majoritairement protestants. Ils créent donc des liens avec
Bénès et le
gouvernement tchécoslovaque en exil. Plus
indépendants,
les communistes du
Parti Communiste Slovaque deviennent une force d'opposition
significative fin
1943-début 1944. Ils s'allieront avec le Parti Communiste
Tchécoslovaque exilé
à Moscou, avec qui ils créeront le Conseil
National
Slovaque, qui se donne pour
tâche d'organiser l'insurrection.
L'insurrection
avait besoin d'hommes. Elle en trouva d'abord dans les rangs
communistes, mais
aussi chez les soldats slovaques, enrôlés plus ou
moins de
force, et qui
avaient déserté devant l'armée
soviétique.
L'insurrection
avait besoin d'armes. Le Parti Communiste Tchécoslovaque,
exilé à Moscou, fut
un intermédiaire de poids, non seulement vers l'URSS, mais
aussi
vers les
alliés occidentaux qui avaient tout
intérêt
à favoriser les actions militaires
à l'Est pour faire diversion. Les parachutages russes et
américains se
multiplient.
L'insurrection
avait aussi besoin de complicités dans l'appareil
d'état.
La défaite allemande
devant Stalingrad et l'avancée de l'Armée Rouge
étaient, début 1944, des
arguments puissants.
Pour
faire basculer la population, les chefs de l'insurrection promettent
que la
nouvelle Tchécoslovaquie se ferait, non pas sur la base du
programme de Bénès,
mais sur une base plus égalitaire, plus respectueuse de la
Slovaquie. Les
Communistes promettent une solution fédérale.
L'insurrection
slovaque et l'appel aux armes sont lancés le 1er septembre
1944.
Ce fut la
confusion. Les Slovaques prirent les armes, les uns pour la
Tchéco-Slovaquie,
d'autres pour la Slovaquie indépendante et
démocratique,
d'autres contre les
Allemands que Tiso venait d'appeler en renfort en Slovaquie.
La
dernière offensive allemande eut lieu le 17 octobre 1944,
forte
de 35 000
hommes. Les insurgés subirent de lourdes pertes, et durent
se
replier dans
leurs maquis. Toutefois, au début de 1945, ils
étaient
encore 13 500, répartis
en 17 brigades.
Les
Allemands, maîtres du terrain, reprirent la politique de
déportation des Juifs,
et 11 532 personnes furent envoyés vers les camps de la mort.
Les troupes russes et tchécoslovaques entrèrent en Slovaquie dans les premiers mois de 1945. Tiso et son gouvernement s'enfuirent le 1er avril 1945 vers l'Autriche.
En
Avril 1945, le gouvernement de Benès rétablit la
république tchécoslovaque. Le
18 avril 1947, Josef Tiso est condamné à mort et
exécuté. Le 25 février
suivant, un putsch communiste oblige Benès à
quitter le
pouvoir. En Mai 1948,
la Tchécoslovaquie devient une république
populaire sur
le modèle soviétique.
Jusqu'en 1953, le pays connaîtra un régime de
terreur
ponctué de purges, de
procès d'opposants et d'exécutions.
En
1954, les héros slovaques de l'insurrection de 1944 sont
condamnés en tant que
" nationalistes slovaques bourgeois " et écartés
du
pouvoir,
emprisonnés ou exécutés. A. Novotny
prend le
pouvoir à la fois dans les rouages
de l'État et dans le parti communiste. La Slovaquie perd son
existence légale
dans le cadre d'un État centralisé. Les "
nationalistes
slovaques
bourgeois " seront réhabilités à
partir de 1962.
Les mécontentements s'accumulent. Novotny démissionne en Janvier 1968. Le slovaque Dubcek, secrétaire du PC slovaque depuis 1963, prend alors la direction du parti communiste tchécoslovaque. Avec Svoboda, président de la République, il imagine d'instaurer un " socialisme à visage humain ".
La
censure fut abolie, ce qui constituait une mesure innovante et
risquée en
régime communiste. Un réexamen du
passé stalinien
fut entamé. Des associations
pour les Droits de l'homme furent créées et
purent
s'exprimer.
L'une
des réformes les plus importantes fut la
fédéralisation du pays en deux
républiques socialistes. Cette réforme ne
choquait pas
l'Union soviétique, qui
est elle-même organisée en républiques.
Ce
processus fut accompli en trois
phases. La première, qui dura jusqu'à juin 68,
fut le
débat sur le fédéralisme
au sein des instances tchécoslovaques, tchèques
et
slovaques. En mars, pour la
première fois, des intellectuels slovaques
demandèrent la
fédéralisation du
pays. Le 6 avril, le parti communiste tchécoslovaque appela
au
débat. Le 9
avril, le parti communiste tchèque créa une
commission
pour préparer la
fédéralisation. Le parti communiste slovaque fit
de
même le 16 avril.
Des
blocages apparurent sur deux fronts. D'abord la question des
entités fédérées.
Devait-il y avoir seulement la Tchéquie et la Slovaquie ? La
fédération
devait-elle comprendre trois unités, Tchéquie,
Slovaquie,
et Moravie-Silésie ?
Ensuite, les pouvoirs répartis entre les unités
devaient-ils être symétriques,
malgré l'asymétrie démographique et
économique ?
La
seconde phase du processus fut initiée par la
création du
Conseil National
Tchèque, le 24 juin. Les détails du processus de
fédéralisation furent abordés,
en particulier la distribution des pouvoirs entre les
différentes chambres. La
question de la démocratisation de la vie politique se posait
en
termes
pratiques. Le 26 juillet, le gouvernement acceptait le principe de la
fédération
de deux républiques, un parlement à deux
chambres, la
parité à la Chambre des
Nationalités.
La
troisième phase, qui consistait en la mise en
œuvre et en
la rédaction de
textes constitutionnels, était prévue pour le 28
octobre,
cinquantième
anniversaire de la création de la
Tchécoslovaquie. Le "
Printemps de
Prague " fut brisé le 20 août par l'invasion
militaire des
troupes du
Pacte de Varsovie, commanditées par l'Union
Soviétique.
La
libéralisation du pays fut interrompue, mais le processus de
fédéralisation se
poursuivit. Le 1er janvier 1969, la Tchécoslovaquie devint
un
État fédéral de
deux républiques. La Constitution assurait
l'autodétermination de la Tchéquie
et de la Slovaquie, jusqu'au droit à la
sécession. Les
institutions, Conseil
National Tchèque et Conseil National Slovaque, avaient des
pouvoirs
symétriques, et la parité était
garantie au sein
de la Chambre des
Nationalités. La fédération se
réservait
des pouvoirs exclusifs sur les
affaires étrangères, la diplomatie, les
ressources
naturelles et énergétiques,
ainsi que la législation et l'administration. Les
républiques avaient des
pouvoirs exclusifs en matière de santé, de
culture et
d'éducation. Elles
mettaient en œuvre la législation
fédérale.
Bien
évidemment, le monopole du pouvoir restait
centralisé aux
mains du Parti
Communiste. Les institutions républicaines et
fédérales n'étaient que des
apparences. Mais ces apparences entraient progressivement dans les
mœurs et
dans les décisions techniques. Au nom du principe de
développement symétrique,
le gouvernement fédéral engagea des
investissements
massifs en Slovaquie.
Durant les années 70, la Slovaquie rattrapa une partie de
son
retard économique
sur la Tchéquie. En 1948, le produit national brut de la
Slovaquie atteignait
61,2% de celui de la Tchéquie. En 1971, il était
de
78,9%. L'effort fut
poursuivi au cours du cinquième plan quinquennal
(1971-1976).
En
1985, Mikhail Gorbatchev, chef du parti communiste d'Union
Soviétique, réalisa
que le repli communiste était non seulement contre-productif
d'un point de vue
économique, mais qu'il devenait suicidaire d'un point de vue
stratégique,
diplomatique, culturel. Il lança une politique de
restructuration économique,
appelée Perestroïka, et une politique de
libéralisation de l'expression, appelée Glasnost. Les leaders tchécoslovaques réagirent
négativement. La dissidence
tchèque était plutôt
orientée vers la
liberté politique, alors que la
dissidence slovaque revendiquait plutôt la liberté
religieuse. La répression
anti-catholique s'exacerba en Slovaquie en 1988.
En 1989, lorsque Gorbatchev décida que l'Europe centrale n'était plus dans la sphère des intérêts soviétiques, les tensions apparurent dans tous les pays de l'Est. Le 17 novembre 1989, le gouvernement tchécoslovaque réprima brutalement une manifestation étudiante. Les Tchèques s'organisèrent au sein du Obcanske Forum (Forum Civique) présidé par Vaclav Havel. En Slovaquie la dissidence était moins politisée et moins organisée qu'en Tchéquie ; elle se cristallisa autour du VPN, Verejnost proti nasiliu (" Public contre la violence "), sans que l'on puisse décerner à ce mouvement un rôle moteur. Le 10 décembre, le régime s'effondrait et le 29 du même mois Havel devenait le chef de l'État tchécoslovaque. En un mois, la " révolution de velours " avait renversé sans violence le régime communiste.
Dès
décembre 1989, le VPN attira suffisamment de
personnalités slovaques pour
contrôler le gouvernement de la république. Un
juriste du
nom de Vladimir
Meciar devint ainsi du jour au lendemain ministre de
l'intérieur. Personnage
massif à la silhouette de boxeur, il avait suivi ses
études à Moscou et
Bratislava. Il avait été exclus du parti
Communiste en
1970 pour avoir critiqué
l'invasion de 1968. Le VPN l'avait choisi pour son énergie
et
son esprit de
décision.
Meciar,
organisateur exceptionnel, prépara dès les
premiers mois
de 1990 les futures
élections, tandis qu'émergeait un autre parti
politique,
le KDH, Krestanske
Demokraticke Hnutie (Mouvement Chrétien
Démocratique). Le
KDH éclata rapidement
en deux tendances, nationaliste et modérée. Un
parti
indépendantiste, le SNS,
Slovenska Narodna Strana (Parti National Slovaque) vit le jour juste
avant les
élections de juin 1990. |
![]() Vladimir Meciar |
Aux
élections tchèques du 8-9 juin, le Forum Civique
obtint
la majorité des vois
(53,2%). Aux élections slovaques, le VPN obtint 29,3% des
suffrages, le KDH 19,2%,
et le SNS 13,9%. Les anciens communistes furent rejetés.
D'après les résultats
électoraux et les sondages, l'indépendantisme
restait une
revendication très
minoritaire, et la fierté nationale des Slovaques aurait pu
se
satisfaire d'une
solution fédérale et d'une reconnaissance de
leurs droits
par les Tchèques.
Meciar
fut chargé de former le gouvernement slovaque, qui devait
gouverner la
Slovaquie jusqu'aux prochaines élections, prévues
deux
ans plus tard.
Les
discussions s'engagèrent entre le gouvernement slovaque, le
gouvernement
tchèque, et le gouvernement fédéral.
Les
discussions furent âpres et il fut
fait appel à des experts internationaux qui exprimaient des
avis
différents.
La
première question portait sur la symétrie du
partage des
pouvoirs. Il existe
des fédérations avec partage
symétrique (USA,
Allemagne, Autriche, Australie)
et d'autres avec des partages asymétriques des pouvoirs
(Canada,
Belgique, Fédération russe). En cas de grandes
différences de culture, de langue ou de
religion, la recherche de la parité contient un risque de
blocage des
institutions, aggravé par les disparités de
taille ou de
population. Ce risque
existait entre la Tchéquie industrielle et protestante, et
la
Slovaquie
catholique, plus rurale, et deux fois moins peuplée.
D'autre
part, pour arriver à une fédération
équilibrée, il existait deux
stratégies
principales. La première était la
dévolution :
Elle consistait à augmenter
l'étendue des prérogatives des unités
fédérées, dans leur propre domaine. La
seconde était la " consociation ". Elle consistait
à
permettre aux
composantes de jouer un rôle de plus en plus important dans
le
processus de
décision au niveau central. Des stratégies mixtes
étaient envisageables, comme
en Belgique, mais l'échec stratégique conduirait
logiquement à un
affaiblissement des liens entre les unités
fédérées, pour aboutir à
une
solution sur le modèle du Commonwealth britannique ou de
l'Union
Européenne.
La
troisième portait sur les minorités nationales.
Sur une
population totale de 16
millions d'individus, le pays comptait 7,5 millions de
tchèques,
5,5 millions
de slovaques, et 3 millions de moraves-silésiens. En
Slovaquie
même, on
comptait 600 000 hongrois, 70 000 polonais, et 60 000 ukrainiens et
ruthènes.
Dans les deux républiques vivaient aussi plusieurs centaines
de
milliers de
Roms, et subsistaient aussi 60 à 100 000 allemands, reliquat
des
3 millions
d'expulsés après la guerre,.
Des
questions d'organisation pratique divisaient ceux qui
considéraient que la
rédaction de la nouvelle constitution
Tchécoslovaque
devait précéder la
rédaction des constitutions des deux républiques,
et ceux
qui souhaitaient le
contraire. Il fut convenu que Tchéquie et Slovaquie
devraient
entrer dans
l'Union Européenne comme deux entités
séparées. Le 1er janvier 1991, chaque
république devint pleinement responsable de sa politique
économique, et
accédait au droit de nouer des relations diplomatiques
spécifiques,
parallèlement à la diplomatie
fédérale.
Pendant
les années 90 et 91, des manifestations et des
rassemblements
populaires furent
organisées pour réclamer la
souveraineté slovaque,
en particulier par la
vieille organisation culturelle Matica Slovenska (la Matrice slovaque),
fondée
en 1863, qui transcendait les frontières partisanes. Le
parti
nationaliste SNS
popularisait lui aussi la perspective indépendantiste, mais
ne
réussit jamais à
atteindre une réelle crédibilité.
Le
nationalisme slovaque fut aussi attisé par la presse
tchèque. Meciar était
brocardé quotidiennement. Les moqueries et la condescendance
envers les
Slovaques étaient une tradition journalistique à
Prague ;
mais chez un peuple
qui retrouvait sa dignité, elles étaient devenues
insupportables. Le
tchécoslovaquisme apparut aux Slovaques comme un paravent
des
prétentions
tchèques. Les historiens slovaques stigmatisaient un
passé de relations
inégales. Les sociologues montraient que la revendication
identitaire tchèque
était valorisée à titre de patriotisme
et de
culture, alors que la
revendication slovaque était rejetée à
titre de
particularisme, cléricalisme,
fascisme. Les économistes montraient que
l'indépendance,
contrairement aux
affirmations des officiels de Prague, permettrait de
rééquilibrer les comptes
de la Slovaquie et de résorber le chômage.
L'intelligentsia tchécoslovaque traita
ces appels par le mépris.. Le fossé se creusait
entre les
deux nations sans que
l'entourage de Vaclav Havel n'y accordât d'importance.
Le 23
avril 1991, Meciar fut écarté du presidium par un
vote du
parlement. Alors que
Prague se réjouissait de sa chute, des manifestations de 50
000
personnes
furent organisées pour le soutenir. Les sondages
révélaient que 91% des
Slovaques le considéraient comme " un garant du
développement démocratique
de la Slovaquie ".
Meciar
créa son propre parti, le HZDS, Hnutie Za demokraticke
Slovensko
(Mouvement
pour une Slovaquie Démocratique). Il prit position pour une
confédération avec
la République tchèque et adopta un ton
résolument
nationaliste, ce qui renforça
sa popularité. Face à lui, les
Tchèques restaient
sur leur position
fédéraliste, ce qui les faisaient
apparaître en
Slovaquie comme des
conservateurs sans audace et sans imagination, crispés sur
leur
pouvoir.
La
diaspora, représentée par le Congrès
Mondial
Slovaque, appela en août 1991 à ne
pas manquer une occasion historique d'accéder à
la
liberté et à la souveraineté
étatique.
En
septembre 1991, 30 000 personnes manifestaient à Bratislava
pour
un " État
souverain ", alors que 3 000 personnes manifestaient pour un "
État
commun " avec les Tchèques.
Aux
élections du 5-6 juin 1992, le HZDS de Vladimir Meciar
obtint 74
sièges sur
150. Le SDL, parti de la Gauche démocratique
composé
d'anciens communistes
convertis au nationalisme, obtint 29 sièges. Le KDH
s'effondra
à 18 sièges et
le SDS plafonna à 15.
En
République tchèque, Vaclav Klaus avait suivi une
voie
parallèle à celle de
Meciar. Issu du Forum civique, il avait créé son
propre
parti, l'ODS, Obcanska
democraticka Strana (Parti
civique démocratique). Il
obtint la majorité des
sièges au parlement tchèque. Il voulait aller
vite pour
démocratiser le pays et
le propulser dans une économie de marché.
Dès le
8 juin, les représentants de Meciar et ceux de Klaus se
rencontrèrent. Le mois
de septembre fut accepté comme la dernière
échéance possible pour un accord
constitutionnel entre les deux républiques. Ce pari sur le
temps
mit les deux
partis devant la nécessité de s'accorder ou de se
séparer définitivement.
Plusieurs
incidents vinrent perturber les agendas. Au Parlement
fédéral, les députés
slovaques refusèrent de voter la
réélection de
Vaclav Havel, qui démissionna de
la présidence tchécoslovaque. Le 17 juillet, le
parlement
slovaque proclama la
souveraineté de la république. La confiance avait
disparu
et la discussion
était devenue stérile. Les propositions de
traités
bilatéraux se perdaient dans
d'interminables discussions. Le 25 novembre, le Parlement
fédéral vota la
dissolution de la Tchécoslovaquie.
Le 1er
janvier 1993, la république slovaque indépendante
voyait
le jour. Meciar
devenait Premier ministre. Michal Kovac était élu
président de la République le
15 février 1993. Le paiement des pensions d'un
État
à l'autre, ainsi que la
reconnaissance des diplômes fut assuré. La
propriété de l'État
tchécoslovaque
fut partagée en proportion du poids
démographique. Aucune
dispute territoriale
n'existait entre Tchèques et Slovaques. La monnaie commune
ne
vécut que
quelques semaines.
Deux
ans après la séparation, le produit national brut
des
deux républiques
atteignait une croissance de 4%.
La république slovaque actuelle est la " Seconde République Slovaque " (après celle de Josef Tiso). Le drapeau national actuel est celui de la première République. En revanche, la fête nationale du 1er septembre commémore... le début de l'insurrection de 1944.