Mercuriale de janvier 2008

« Le refus de la société pluraliste et ouverte n’est pas une simple aberration,
pas plus que ce refus n’est le produit d’une conjoncture économique difficile » (Zeev Sternhell)
 
           La Révolution de 1789 a fait émerger deux personnages mythiques, qui ont marqué la politique française jusqu’à nos jours. Le jacobin se définit  par une ambition-culte : la France une et indivisible. Le sans-culotte se caractérise par une personnalité-culte : c’est le révolutionnaire parisien, gouailleur, chauvin, libre-penseur, partisan du coup de force, méprisant les procédures démocratiques.
 
         Ces deux personnages sont des mythes fondateurs de la république. L’histoire de France est imprégnée de l’idée fixe de l’un et des imprécations de l’autre. Le jacobin organise le centralisme napoléonien, tandis que le sans-culotte, devenu grognard de l’empire, dévaste l’Europe. Après l’épopée napoléonienne, l’essor du libéralisme inquiète le jacobin et fait conspirer le sans-culotte. L’effondrement de 1870 les remet tous les deux au premier plan. La Commune de Paris est l’heure de gloire du sans-culotte ; la Troisième république sera celle du jacobin.
 
             Chaque siècle semble générer de nouveaux clivages politiques. Le XIXème siècle avait partagé les identités politiques entre républicains, bonapartistes, légitimistes et orléanistes. Jusqu’en 1871, jacobins et sans-culottes étaient unis dans le camp républicain.
            La Commune de Paris, le boulangisme et l’affaire Dreyfus brouillent les cartes. Les notions de gauche et de droite s’imposent. Elles vont dominer tout le XXème siècle. Les jacobins se répartissent dans tous les partis gouvernementaux, avec néanmoins pour référence le Parti Radical de Gambetta et de Clémenceau. Le socialisme putschiste des sans-culottes projette les uns vers l’extrême gauche communiste, les autres vers le fascisme.
            Depuis les années 1960, les révolutions technologiques et la globalisation des échanges bousculent les classifications habituelles, ce qui provoque des retours aux sources. A droite le Front National, fier de ses racines plébéiennes, revendique l’esprit de Valmy. La fin du communisme soviétique favorise la constitution d’un pôle républicain, où jacobins et sans-culottes se retrouvent.
           Les vieux frères, éparpillés par les cloisonnements droite-gauche, avancent des mots d’ordre communs, qui sont autant de signes de reconnaissance. L'a
nti-mondialisme et l'anti-communautarisme correspondent au chauvinisme des uns, au souci d'unité de la république des autres. L'antilibéralisme est lié à la revendication égalitaire des uns, au sens de l'État des autres. Les retrouvailles des sans-culottes et des jacobins, transgressant les frontières droite-gauche, ont été bruyamment scellées par le vote Non au traité constitutionnel européen en 2005.
 
            On dit parfois que les USA préfigurent ce que sera l’Europe. Il est possible que la France évolue vers un clivage républicain-démocrate. Le pôle républicain, étatiste, méfiant envers le pluralisme, arc-bouté sur l’exception française, donneur de leçons, existe déjà et veut exister plus encore. Sa doctrine ressemble furieusement à ce que les néo-conservateurs américains définissent comme la "doctrine Bush". Selon William Kristol, "c'est  une philosophie clairement issue de l'exceptionnalisme américain, une croyance dans la singularité et la vertu du système politique américain, qui fait des Etats-Unis un modèle pour le monde."  
           
En France comme aux USA, nous ne sommes pas tant devant un nationalisme que devant une utopie agressive. Il serait superficiel de n'y voir qu'une volonté de richesse ou de pouvoir. L'utopie républicaine se veut sociale et culturelle, fondamentale. C'est justement ce qui la rend  destructrice et ennemie de la diversité. Les fondamentalistes nient l'existence de l'autre ; il ne reconnaissent que l'allié ou l'ennemi. Les impérialismes des "valeurs de la République" ou de "l'axe du Bien" n'admettent pas qu'il puisse exister des identités extérieures à leurs dilemmes, irréductibles à leurs géométries, étrangères à leurs problématiques. 

            Nous autres Bretons n’avons rien à attendre d’un pôle républicain. Mais avons-nous quelque chose à attendre d’un pôle démocrate français ? Sauf faillite économique ou contrainte européenne qui imposerait en France une politique girondine, un tel pôle reste virtuel.
         Parier sur l’émergence d’un pôle démocrate en France est possible, mais hasardeux. Le projet indépendantiste breton est à la fois plus excitant, plus gratifiant, plus concret, et moins dépendant de volontés externes.

JPLM


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Mercuriale 2008_01 .V1.1