Mercuriale d'avril 2008


        La France citoyenne regarde sa république comme une et indivisible. Mais, à propos du Tibet, elle s'indigne en voyant que les Chinois considèrent que leur république est, elle aussi, une et indivisible. Les Serbes, à propos du Kosovo, ne doivent pas non plus se réclamer d'une république une et indivisible.
      On voit par là que la valeur "Une et indivisible" n'est pas un article d'exportation, dans un pays qui pourtant s'offre au monde comme un modèle à imiter.

      A l'approche des Jeux Olympiques de Beijing, les évènements du Tibet font la une des médias hexagonaux. Pour un peu, on nous ferait croire que la démarche citoyenne consiste à respecter les minorités, à les encourager et à chanter la diversité humaine.
         Coïncidence ? Il est paru récemment le rapport de Gay MacDougall, experte indépendante de l'ONU, sur la situation des minorités en France. [Cliquer ici pour télécharger le rapport complet en format pdf]
         Les médias français n'en parlent pas, et on les comprend. En matière de droits de l'homme et de lutte contre les discriminations, la France, aux yeux de la communauté internationale, n'est pas bien reluisante.
" Les gouvernements français successifs ont maintenu la position selon laquelle il ne doit pas y avoir de reconnaissance officielle des caractéristiques ethniques, religieuses ou culturelles des citoyens, en dépit des recommandations des organes antidiscrimination de l'Union européenne et des Nations Unies. "
" Les membres des communautés minoritaires témoignent fréquemment de la frustration qu'ils ressentent en constatant qu'il ne suffit pas de devenir citoyen français pour être pleinement accepté par le reste de la société. Ils ont le sentiment que la condition de l'acceptation n'est rien moins que l'assimilation totale. Il leur semble qu'à cause d'une vision rigide de l'identité nationale française, ils ont dû rejeter des aspects essentiels de leur propre identité. "

           Les conclusions de l'experte sont limpides :
" Le Gouvernement français devrait :
1) reconnaître l'existence de minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques sur le territoire français et retirer sa réserve à l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, concernant les droits des personnes appartenant à des minorités, et à l'article 30 de la Convention relative aux droits de l'enfant ;
2) ratifier les instruments européens relatifs aux droits de l'homme concernant les droits des minorités, notamment le Protocole numéro 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales. "

      La façon dont un Etat traite ses minorités est un excellent indicateur de sa sincérité démocratique. Dans le cadre français, les minorités ne sont pas combattues, mais niées. Pas de statistiques, pas d'existence légale, pas de reconnaissance. Le seul problème pour le citoyen français, c'est qu'elles sont "visibles". Y compris de l'ONU. Que la France serait belle sans les réalités visibles !
    C'est vrai, il n'y a pas de morts, ou du moins les morts sont-ils exceptionnels jusqu'à présent. Quelques émeutes dans les banlieues, quelques bombes ici ou là. Est-ce parce que les sociétés occidentales sont plus policées ? Est-ce parce que certaines minorités, comme les Catalans, les Ecossais ou les Noirs disciples de Martin Luther King, adoptent des stratégies à la fois non-violentes et efficaces ?

       A travers les Tibétains ou les Kosovars, les Français expriment un amour pour la diversité et le respect des minorités, mais exclusivement pour la diversité externe et les minorités exotiques. Ils reconnaissent l'indépendance du Kosovo  et sont prêts à accueillir le Dalaï-Lama. C'est très bien. Même si je perçois des objectifs qui ne sont pas exclusivement de l'ordre de la générosité, il faut les encourager.
      Il faut qu'ils s'habituent à l'idée que les Bretons, à l'instar des Tibétains, doivent bâtir leur propre politique étrangère et négocier directement avec l'Union Européenne, la Chine, le Canada, la Russie, ou certains pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Qu'est-ce donc qui nous retient ? Les habitudes de la soumission, la peur de déplaire, les lois françaises. Est-ce bien raisonnable de s'y arrêter ? Pour ceux qui font partie de minorités et possèdent l'audace nécessaire, le XXIème siècle promet d'être compliqué, mais passionnant.
JPLM

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Contreculture / Mercuriale 2008/04