Paul Claudel

Paul CLAUDEL (1868 - 1955)

Poète tout terrain



"Si M. Paul Claudel mérite quelque admiration, ce n'est ni comme poète,
ni comme diplomate, ni comme Français, c'est comme maître-nageur."

(André-Paul Antoine, journaliste à l'Information, après la mort de Claudel)


             Depuis 1935 et pendant la guerre, Paul Claudel était l'un des six administrateurs de la société des moteurs Gnôme et Rhône. Pendant l'Occupation,  l'entreprise travaillait pour la machine de guerre allemande.
             Selon l'hebdomadaire L'indépendance française, cité par Le dictionnaire des girouettes :
"sans aucune nécessité et sans aucun travail, simplement pour avoir assisté six fois au Conseil d'administration , il a touché 675 000 francs. Bénéfices de guerre, bénéfices de la guerre allemande"
.

Premier mouvement : A bas la république !

Dans son journal, Paul Claudel ne se montre pas particulièrement fâché de la chute de la République en 1940, et de son remplacement par le régime autoritaire du maréchal Pétain :

Le 10 juillet 1940 :
        " Vote de l'Assemblée nationale et fin du régime parlementaire et de la domination des francs-maçons et des instituteurs"

Ensuite :
         " La France est délivrée après 60 ans de joug du parti radical et anti-catholique (professeurs, avocats, juifs, francs-maçons). Le nouveau gouvernement invoque Dieu et rend la Grande-Chartreuse aux religieux. Espérance d'être délivré du suffrage universel et du parlementarisme."

Le 24 septembre 1940, il est encore plus explicite: 
         " Ma consolation est de voir la fin de cet immonde régime parlementaire qui, depuis des années, dévorait la France comme un cancer généralisé. C'est fini... de l'immonde tyrannie des bistrots, des francs-maçons, des métèques, des pions et des instituteurs..."

           Le poète publie dans le Figaro du 10 mai 1941 le chef-d'oeuvre suivant, récité la veille à Vichy par l'actrice Eve Francis à l'occasion d'une représentation de L'Annonce faite a Marie :

Paroles au Maréchal   (poème)
 
Monsieur le Maréchal, voici cette France entre  vos  bras, lentement
qui n'a que vous et qui ressuscite a voix basse.
II y a cet immense corps, à qui le soutient si lourd et qui pèse de tout son   poids.
Toute la France d'aujourd'hui, et celle de demain avec elle, qui est la
même qu'autrefois!
Celle d'hier aussi qui sanglote et qui a honte et qui crie tout de même
elle a fait ce qu'elle a pu!
C'est vrai que j'ai été humiliée, dit-elle, c'est vrai que j'ai été vaincue.
II n'y a plus de rayons à ma tête, il n'y a plus que du sang dans de la boue.
II n'y a plus d'épée dans ma main, ni l'égide qui était pendue à mon cou.
Je suis étendue tout de mon long sur la route et il est loisible au plus lâche de m'insulter.
Mais tout de même il me reste ce corps qui est pur et cette âme qui ne s'est pas déshonorée!
..............................................................................................................................
Monsieur le Maréchal, il y a un devoir pour les morts qui est de ressusciter.
Et certes nous ressusciterons tous au jour du jugement dernier.
Mais c'est maintenant et aujourd'hui même qu'on a besoin de nous et qu'il y a quelque chose a faire !
France, écoute ce vieil homme sur toi qui se penche et qui te parle comme un père.
Fille de Saint-Louis, écoute-le ! Et dis, en as-tu assez maintenant de la politique ?
Cette proposition comme de l'huile et cette vérité comme de l'or...

Second mouvement : Vive la république !

                    Trois ans et demi plus tard, le même Figaro publie dans  son numéro du 23 décembre 1944 un autre poème. Il avait été récité quelques semaines plus tôt, en octobre 44, au cours d'une matinée du Théâtre-Français consacrée aux "Poètes de la Résistance"... dont Claudel  fait désormais partie. 
                    Le moins qu'on puisse dire c'est que notre ami ne s'est pas foulé. Il a repris le même  scénario : la France parle et  reconnait son représentant légitime. Pétain était le père ; de Gaulle est le fils. 

Au général de Gaulle   (poème).

Tout de même, dit la France, je suis sortie !
Tout de même, vous autres! dit la France, vous voyez qu'on ne m'a pas eue et que j'en suis sortie!
Tout de même, ce que vous me dites depuis quatre ans, mon général, je ne suis pas sourde!
Vous voyez que je ne suis pas sourde et que j'ai compris!
Et tout de même, il y a quelqu'un, qui est moi-même, debout ! et que j'entends qui parle avec ma propre voix!
VIVE LA FRANCE ! II y a pour crier : VIVE LA FRANCE ! quelqu'un qui n'est pas un autre que moi !
Quelqu'un plein de sanglots, et plein de colère, et plein de larmes ! ces larmes que je ne finis pas de reboire
depuis quatre ans, et les voici maintenant au soleil, ces larmes ! ces énormes larmes sanglantes!
Quelqu'un plein de rugissements, et ce couteau dans la main, et ce glaive dans la main, mon général, que je me suis arraché du ventre!
Que les autres pensent de moi ce qu'ils veulent ! Ils disent qu'ils se sont battus, et c'est vrai!
Et moi, depuis quatre ans, au fond de la terre toute seule s'ils disent que je ne me suis pas battu, qu'est-ce que j'ai fait?
...................................................................................................................
Et vous, monsieur le Général, qui êtes mon fils, et vous qui êtes mon sang, et vous, monsieur le soldat ! et vous, monsieur mon fils, à la fin qui êtes arrivé !
Regardez-moi dans les yeux, monsieur mon fils, et dites-moi si vous me reconnaissez !
Ah! c'est vrai, qu'on a bien réussi à me tuer, il y a quatre ans ! et tout le soin possible, il est vrai qu'on a mis tout le soin possible à me piétiner sur le cœur !
Mais le monde n'a jamais été fait pour se passer de la France, et la France n'a jamais été faite pour se passer d'honneur!
Regardez-moi dans les yeux, qui n'ai pas peur, et cherchez bien, et dites si j'ai peur de vos yeux de fils et de soldat !

          Le plus étonnant est que Claudel, vieux, riche et comblé d'honneurs, n'avait nullement besoin de prodiguer ces basses flatteries envers le pouvoir, quel qu'il soit.
          Il y a sans doute, chez les poètes, des nécessités cachées...


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