Flaubert

Gustave Flaubert (1821 - 1880)


Critique acerbe de la bourgeoisie, mais pas seulement...


          La littérature française doit beaucoup aux rentiers, comme Flaubert, Hugo, Baudelaire, Sade, Montaigne, etc. L'air canaille qu'elle se donne trop souvent est celle de ces jeunes nantis qui s'opposent à leur bonne société, mais qui continuent généralement à la fréquenter. Les besoins sont réciproques.
           Les pays pauvres ne peuvent s'offrir une telle pléthore d'esprits libres. La richesse et la liberté littéraires sont liées, entre autres, au nombre de rentiers qu'une société peut entretenir.
               Flaubert fait partie de ces happy few. Il fit jaser dans les salons mondains du Second Empire pour son ouvrage "Madame Bovary". Il fut même poursuivi en justice pour atteinte aux bonnes moeurs. Il fut acquitté grâce à ses relations.
               Il est considéré comme un critique acerbe de la bourgeoisie.

Savourons quelques citations de sa correspondance sur la démocratie, le suffrage universel, le socialisme, l'islam ou la Commune de Paris.



A Louise Colet. Croisset, Nuit de jeudi 2-3 mars 1854.
Le rêve du socialisme, n'est-ce pas de pouvoir faire asseoir l'humanité, monstrueuse d'obésité, dans une niche toute peinte en jaune, comme dans les gares de chemin de fer, et qu'elle soit là à se dandiner sur ses couilles, ivre, béate, les yeux clos, digérant son déjeuner, attendant le dîner et faisant sous elle ? Ah ! je ne crèverai pas sans lui avoir craché à la figure de toute la force de mon gosier.
Je remercie Badinguet. Béni soit-il ! Il m'a ramené au mépris de la masse et à la haine du populaire. C'est une sauvegarde contre la bassesse, par ce temps de canaillerie qui court. Qui sait ! Ce sera peut-être là ce que j'écrirai de plus net et de plus tranchant, et peut-être la seule protestation morale de mon époque.

à Mademoiselle Royer de Chantepie. Paris, lundi 30 mars 1857.
Je suis un libéral enragé. C'est pourquoi le socialisme me semble une horreur pédantesque qui sera la mort de tout art et de toute moralité.

à Mademoiselle Amélie Bosquet. Croisset, mardi soir juillet 1864.
Quant à votre ami, il continue ses lectures socialistes, du Fourier, du Saint-Simon, etc. Comme tous ces gens-là me pèsent ! Quels despotes, et quels rustres ! Le socialisme moderne pue le pion.

à Madame Roger Des Genettes. Croisset, été 1864.
Le socialisme est une face du passé, comme le jésuitisme une autre. Le grand maître de Saint-Simon était M. De Maistre et l'on n'a pas dit tout ce que Proudhon et Louis Blanc ont pris à Lamennais. L'école de Lyon, qui a été la plus active, est toute mystique à la façon des lollards. Les bourgeois n'ont rien compris à tout cela. On a senti instinctivement ce qui fait le fond de toutes les utopies sociales : la tyrannie, l'antinature, la mort de l'âme.

à Edmond et Jules De Goncourt. Croisset, samedi soir, 12 août 1865.
Je viens de lire le livre de Proudhon sur l'art ! On a désormais le maximum de la pignouferie socialiste. C'est curieux, parole d'honneur ! ça m'a fait l'effet d'une de ces fortes latrines, où l'on marche à chaque pas sur un étron. Chaque phrase est une ordure.

à George Sand. Croisset, 29 avril 1871.
(...) Quant à la commune, qui est en train de râler, c'est la dernière manifestation du moyen âge. La dernière ? Espérons-le !
Je hais la démocratie (telle du moins qu'on l'entend en France), c'est-à-dire l'exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l'anti-sociabilité.(...)
La seule chose raisonnable (j'en reviens toujours là), c'est un gouvernement de mandarins, pourvu que les mandarins sachent quelque chose et même qu'ils sachent beaucoup de choses. Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu'il est le nombre, la masse, l'illimité. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n'écoutent plus leur curé ; mais il importe infiniment que beaucoup d'hommes, comme Renan ou Littré, puissent vivre et soient écoutés. Notre salut est maintenant dans une aristocratie légitime, j'entends par là une majorité qui se composera d'autre chose que de chiffres. Si l'on eût été plus éclairé, s'il y avait eu à Paris plus de gens connaissant l'histoire, nous n'aurions subi ni Gambetta, ni la Prusse, ni la commune. (...)

à Ernest Feydeau. Croisset, jeudi 29 juin 1871.
Il y a quinze jours, j'ai passé une semaine à Paris et j'y ai "visité les ruines" ; mais les ruines ne sont rien auprès de la fantastique bêtise des parisiens. Elle est si inconcevable qu'on est tenté d'admirer la commune. Non, la démence, la stupidité, le gâtisme, l'abjection mentale du peuple "le plus spirituel de l'univers" dépasse tous les rêves.(...)
Je n'ai aucune haine contre les communeux, pour la raison que je ne hais pas les chiens enragés.

à George Sand. Croisset, 8 septembre 1871.
Quant au bon peuple, l'instruction " gratuite et obligatoire " l'achèvera. Quand tout le monde pourra lire le petit journal et le figaro, on ne lira pas autre chose, puisque le bourgeois, le monsieur riche ne lit rien de plus. (...)
Le premier remède serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain. Tel qu'il est constitué, un seul élément prévaut au détriment de tous les autres : le nombre domine l'esprit, l'instruction, la race et même l'argent, qui vaut mieux que le nombre.

à George Sand. Paris, avant le 18 octobre 1871.
Je trouve qu'on aurait dû condamner aux galères toute la commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l'humanité . On est tendre pour les chiens enragés et point pour ceux qu'ils ont mordus.
Cela ne changera pas, tant que le suffrage universel sera ce qu'il est. Tout homme (selon moi), si infime qu'il soit, a droit à une voix, la sienne, mais n'est pas l'égal de son voisin, lequel peut le valoir cent fois. Dans une entreprise industrielle (société anonyme), chaque actionnaire vote en raison de son apport. Il en devrait être ainsi dans le gouvernement d'une nation. Je vaux bien vingt électeurs de Croisset. L'argent, l'esprit et la race même doivent être comptés, bref toutes les forces.

à Madame Roger des Genettes, le 1er mars 1878
(...) depuis la guerre d' Orient, je suis indigné contre l' Angleterre, indigné à en devenir prussien ! Car enfin, que veut-elle ? Qui l' attaque ? Cette prétention de défendre l' islamisme (qui est en soi une monstruosité) m' exaspère. Je demande, au nom de l' humanité, à ce qu'on broie la pierre-noire, pour en jeter les cendres au vent, à ce qu' on détruise la Mecque, et que l' on souille la tombe de Mahomet. Ce serait le moyen de démoraliser le fanatisme.


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Contreculture / Flaubert v1.1