La persécution des Francs-Maçons


Le nazisme persécuta, nous dit-on, les Juifs et les Francs-Maçons.

Est-ce bien raisonnable de comparer au génocide des Juifs
les contrariétés subies par ces vénérables associations ?
Franc-maçonnerie

La Franc-Maçonnerie française entretient avec la Bretagne des rapports d'incompréhension. La revendication des Bretons de contrôle sur leurs propres affaires a jusqu'à présent été considérée comme contradictoire avec l'idéal maçonnique d'une France une et indivisible.

En 1789, Mirabeau, dont l'appartenance maçonnique est soupçonnée sans être avérée, nous exprima clairement ce que devait être notre "liberté" : "Vous êtes Bretons ? Ce sont les Français qui commandent".

En 1790, Le Chapelier, député de Rennes et Franc-maçon, fut le plus virulent à condamner les libertés bretonnes au nom de l'existence d'une démocratie française :

"La Bretagne avait des franchises ; nous les avons soutenues, chéries, défendues tant que les Français ont été endormis sous les chaînes du despotisme (...). Quand le peuple abandonne ses privilèges, est-ce aux parlements à les réclamer ?"
Cité par Y. Le Febvre, Essai sur la pensée bretonne, 1919. p 106

En 1899, L'Association des Bleus de Bretagne est fondée par des Francs-Maçons pour contrer l'émergence du régionalisme et du nationalisme breton. Les Bleus de Bretagne se proposaient de libérer les Bretons de la religion et de les enchaîner à la République française.

"Ce sera notre devoir de nous dresser résolument contre tous ceux qui voudraient diviser la patrie, avec des desseins obscurs ou suspects, au nom de la race, de la langue, des moeurs provinciales et des privilèges ou franchises reconnues par les traités de 1491 et de 1532"
Yves Le Febvre, Essai sur la pensée bretonne, 1919. p 114

En 2002, le Grand-Orient prend position contre l'enseignement du breton par immersion. L'allergie a récidivé en 2006, lors d'un colloque au Sénat.

Aujourd'hui encore, le rite français du Grand-Orient de France nous aborde avec le catéchisme de l'Etat-nation. Il n'est que de voir les propositions de rituels (accessible aussi sur le site www.godf.org, rubrique "cérémonies civiles républicaines") élaborés par la Commission Laïcité du GOF. La reprise des mythes français, sans aucun esprit critique, est précédée d'un texte d'Emmanuel Todd, qui en révèle l'esprit : assimilation et non intégration, destruction des systèmes anthropologiques immigrés, alignement sur les moeurs majoritaires. La soumission à la norme est le grand objectif.
Le syllogisme est simple. La "population d'accueil" ne supporte pas la diversité culturelle, ça la rend "anxieuse". Le confort de cette population est une valeur supérieure à toute autre. Il faut donc aligner les allogènes, les déviants, les immigrés. 

L’acceptation du terme d’assimilation, avec toutes ses conséquences morales et administratives, faciliterait la gestion d’un processus de destruction des systèmes anthropologiques immigrés que n’arrête nullement la pudeur des élites. La conversion à un assimilationnisme franc impliquerait un rejet sans honte, sur le territoire national, de tous les éléments anthropologiques extérieurs au fond commun minimal français. (...)
L’incapacité d’affirmer que la France existe, et que le destin des immigrés ne peut y être qu’un alignement sur les moeurs majoritaires, stimule l’anxiété de la population d’accueil.(...)
(Pages 5 et 6)

Le Grand-Orient brandit la devise "liberté-égalité-fraternité" et l'étendard de la laïcité. Il les brandit d'ailleurs depuis très longtemps. Et le temps, inexorable, a passé. Les drapeaux qui furent autrefois ceux de la liberté sont devenus ceux de l'ordre établi. Le rebelle est devenu gendarme.

De frère Gambetta à frère Mélenchon, le Grand-Orient présente un potentiel d'opposition aux nouvelles libertés que nous ne pouvons négliger. Parmi les nouveaux droits fondamentaux, le droit à l'identité a été brillament formulée dans la nouvelle Constitution de la Bolivie (Voir Constitution Bolivienne)

Bannière maçonnique Rennes L'opposition aux nouveaux droits fondamentaux est essentiellement celle du Grand-Orient, qui est l'obédience la plus influente.
Les autres associations ont l'air plus ouvertes. Certaines loges de la GLNF (Grande Loge Nationale Française) ont même des appellations bretonnes. La bannière ci-contre, de la loge 794 de Rennes, est assez sympathique. Mais que font-elles pour  permettre aux Bretons de gérer leurs propres affaires ?  
Que peuvent-elles, d'ailleurs ? Le bon voisinage  avec le Grand Orient crée des nécessités plus impérieuses que les droits fondamentaux déclinés par l'Europe (Convention-cadre sur les minorités nationales et Charte des langues régionales et minoritaires) ou par le Comité des droits économiques sociaux et culturels (CESR) de l'ONU.

Pour l'anecdote, il faut signaler que Morvan Marchal, qui créa en 1923 le drapeau breton actuel, était Franc-Maçon. Il s'inspira des drapeaux qui symbolisaient à l'époque la démocratie ancienne et moderne, celui de la Grèce et celui des Etats-Unis.
Gwenn-ha-Du
Drapeau grec Drapeau US


Persécution des Francs-Maçons : les chiffres

Le Grand-Orient revendique, pour imposer sa respectabilité, une persécution par les nazis. Total respect !
Mais, à y regarder de près, on est vite décu.


Commençons par le bilan. Si l'on s'en tient aux indications données lors du procès de 1946, il y eut, en tout et pour tout, six mille Francs-Maçons "inquiétés" pendant la guerre, sur un total de 50 000 environ. Soit 88% qui ne le furent pas. Il serait intéressant de connaître le pourcentage de Français qui furent "non-inquiétés" pendant la même guerre.
545 Francs-maçons furent fusillés ou moururent en déportation.
989 maçons furent déportés (Chiffres concordants : P. Chevallier ; D Rossignol Voir Sources)
Lors du convent de 1945 du Grand-Orient de France, le frère Viaud annonça une liste de plus de 500 disparus pendant les années de guerre, sur les 28 000 membres présents en 1939 (source : La Maçonnerie, Eglise de la république (1877-1940), P. Chevallier, Ed Fayard 1975, p 393)

Pendant l'année 1943, pour la liquidation des loges et ateliers supérieurs du Grand-Orient ainsi que pour les enquêtes de dérogations : 322 personnes répondront aux convocations, 330 procès-verbaux d'audition ont été faits. Il a aussi été établi 133 procès-verbaux de persquisition avec inventaires des objets saisis. La répression n'était manifestement ni brutale ni massive. Quand un attentat est perpétré en Bretagne ou en Corse, on arrive facilement à de tels chiffres.

Les morts et les emprisonnements étaient-ils dûs à une appartenance à la Franc-Maçonnerie ?
En 1945, Arthur Groussier, qui fut Grand-Maître du Grand-Orient de France pendant la guerre, le dit sans aucune ambiguité : "Les Maçons qui ont été poursuivis et maltraités l'ont été comme résistants, et non pas comme Maçons."

Alors c'est quoi, cette histoire ?



La Franc-Maçonnerie avant 1940. Genèse de l'antimaçonnisme en France

"La Franc-Maçonnerie de nos jours, bien que tout à fait creuse, sert d'aliment à beaucoup d'âmes"
Ernest Renan

La Franc-maçonnerie est un regroupement d'hommes autour d'idées philosophiques humanistes. Ce ne sont pas les seuls, bien entendu. Mais ils en sont.
En France, ils émergent à partir de la fin du XIXème siècle comme un curieux mélange de philosophie, de foi républicaine, d'anticléricalisme, et d'un efficace réseau de connivences. Ces connivences concernent essentiellement les fonctionnaires et les candidats aux élections, qui voient leurs carrières freinées ou accélérées selon des critères indépendants de leur compétence.

-  Au convent du Grand-Orient (assemblée générale maçonnique) de 1888, le frère Colfavru assure que, dans les trois dernières années, les Francs-Maçons fonctionnaires ne s'étaient pas adressés en vain aux membres du Conseil. Parallèlement, Francolin remarquait que trop de frères, n'ayant pas trouvé dans l'Ordre la satisfaction de leurs intérêts personnels ou politiques, le quittaient avec empressement.
- Une circulaire du Grand Orient du 11 janvier 1892, révélée lors de l'affaire des fiches en 1904, organise une vaste enquête sur les opinions politiques des militaires, hauts fonctionnaires, magistrats.
- En 1894, lors du Congrès des loges du Centre, le frère Fruit, sous-préfet de Segré, présente une motion demandant que les frères au pouvoir placent le plus de Maçons possibles dans les ministères et à la tête des différentes administrations.
- Le convent de 1899 demande d'exclure des fonctions publiques les élèves provenant de l'enseignement confessionnel.
- Dans son ouvrage Hiram couronné d'épines, A. Lantoine écrit : "La démocratie a fait de la Franc-Maçonnerie un bureau de placement pour fonctionnaires..."
Selon le témoignage de J. Bidegain, cité par P. Chevallier (voir sources), les demandes d'intervention du Grand-Orient auprès du gouvernement atteignirent en 1904 environ 1500 pour l'année, soit une moyenne de cinq par jour.
- En 1924, au lendemain de la victoire électorale du cartel des gauches, les appels étaient si nombreux qu'il fut décidé que les interventions et les demandes de passe-droits se ferait directement aux parlementaires Francs-Maçons plutôt que d'être centralisées par le Grand-Orient.
- les Francs-Maçons sont philosophes, mais pas ennemis des décorations. En 1924 et 1925, quand le Cartel des Gauches est au pouvoir, le Conseil du Grand-Orient reçut de nombreux remerciements de Maçons à propos de leur nomination ou de leur promotion dans l'ordre de la légion d'honneur.
(faits extraits du livre de P. Chevallier -voir sources-, qui ne peut être suspecté d'antimaçonnisme)


L'antimaçonnisme peut prendre des formes irrationnelles : imaginaire complotiste, craintes mystiques.
Mais il peut aussi être le fruit d'une opposition philosophique et politique. En effet, la démocratie suppose une séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Or la Franc-Maçonnerie française, reniant les interdits de la Franc-Maçonnerie internationale, créait au sein de ses loges des connivences entre les tenants des différents pouvoirs. Ces liens n'étaient pas seulement philosophiques. Ils étaient opératifs, secrets et incontrôlables par le peuple.
L'antimaçonnisme est plus concrètement une frustration de ceux qui imaginaient naïvement que la République Française récompensait le mérite, et que les juges étaient impartiaux.
Si un franc-maçon vous traîne en procès sachant que le juge est un de ses "frères", la fraternité sera-t'elle arrêtée par la porte d'un tribunal, alors qu'elle ne l'est pas par la porte d'un ministère ?
Cette frustation fut extrême lors de l'affaire des fiches, et c'est là que nous voyons apparaître l'hostilité entre le colonel Philippe Pétain et la Franc-Maçonnerie.
marianne sous la livrée franc-maçonne
Marianne sous la livrée
de la Franc-maçonnerie.

Qui est au service de l'autre ?

L'affaire des fiches

Cette affaire concerne le fichage des cadres militaires par le Ministre de le guerre, le général André, en 1904. Celui-ci fut nommé par Waldeck Rousseau en 1900, en remplacement du général de Gallifet. Ce fut sur proposition de M. de Lanessan, Ministre de la Marine, qui était Franc-Maçon.
André entreprit le fichage et la discrimination des bons et des mauvais militaires, vraisemblablement dès son arrivée au Ministère. En effet, dès sa première entrevue avec Waldeck Rousseau, il affirma sa volonté d'écarter des postes importants tous ceux qui n'étaient pas d'opinions "républicaines".
Il délégua l'investigation au Grand-Orient. Il suffisait qu'un officier aille à la messe pour que sa carrière fut freinée ou bloquée. A l'époque, républicain signifiait anticlérical et les fiches portaient essentiellement sur les croyances et les pratiques religieuses. La politique de discrimination de masse fut dénoncée au Parlement, mais ni le gouvernement radical, ni le Grand-Orient ne renièrent leur volonté de discriminer les fonctionnaires selon leurs opinions.

Pour justifier l'épuration, on évoqua la crainte d'un complot anti-républicain. Cet argument ne tient pas. Dans les courriers entre le Ministère et le Grand Orient ne transparaît aucun souci de ce genre (voir copies de ces lettres dans l'étude sur Emile Combes). D'ailleurs, la discrimination concerne aussi les demandes de mutation ou la Légion d'Honneur, ce qui n'a aucun rapport avec la nécessité de déjouer un complot.
De plus, depuis 1878, on savait qu'un tel complot était impossible. Huit ans après la proclamation de la Troisème république, Gambetta avait commandé une enquête approfondie au Grand-Orient. Celui-ci avait mis à sa disposition les moyens d'investigation de 400 loges. Si la précédente enquête de 1876 pouvait conclure à un risque modéré, celle de 1878 montrait que 63% des cadres affectés aux états-majors et aux écoles militaires professaient des idées libérales ou se déclaraient ouvertement républicains. La Franc-Maçonnerie ne pouvait ignorer ces résultats qu'elle avait elle-même collectés (Source : François Bedarida, L'armée et la République. Les opinions politiques des officiers français en 1876-1878, dans la Revue Historique, 1964, p 119 à 165)

Le général André fut remplacé au Ministère de la guerre par Henri Berteaux, un agent de change Franc-Maçon. Celui-ci déclara à la Chambre des députés, le 4 novembre 1904 : "Messieurs, on a reproché au Ministre de la guerre une trop grande partialité en faveur des officiers républicains. J'aurais plutôt à lui adresser un reproche contraire. Je dis souvent : Il n'a pas fait tout ce qu'il eut fallu faire pour certains officiers républicains..."

Pour plus de détails sur l'affaire des fiches, voir l'étude de Contreculture.org sur Emile Combes ou  L'étude de Wikipedia.

Le colonel Pétain, pourtant connu pour son athéisme et ses convictions républicaines, avait vu sa carrière bloquée par une fiche malveillante.
Les discriminations administratives se poursuivirent après 1904. Pétain pourra constater la vague d'incompétence et de désorganisation qui submergea l'armée française de 1904 à 1914. Au début de la grande guerre, le généralissime Joffre, lui même Franc-Maçon, dut limoger 180 généraux incompétents. L'hostilité que le Maréchal Pétain exprima en 1940 envers la Franc-Maçonnerie n'était pas le résultat de lubies, mais d'une expérience personnelle et de l'observation d'une stratégie qui, si elle favorisait des individus, déstabilisait la cohésion nationale.

1940 : Soumission du Grand-Orient

Le Grand-Orient n'est pas vraiment un phare de la résistance à l'oppression.
Voici la lettre d'Arthur Groussier, président du Conseil de l'Ordre, au maréchal Pétain. 7 août 1940.


A M. le Maréchal Pétain, chef de l'Etat français

Monsieur le Maréchal,
Devant les malheurs de la patrie, tous les Français doivent consentir les plus grands sacrifices ; mais en est-il de plus douloureux que celui de détruire l'oeuvre à laquelle on a donné le meilleur de sa pensée et de son coeur ? Si pénible que celà nous soit, nous croyons accomplir notre devoir présent en nous soumettant à la décision du gouvernement français concernant la Franc-Maçonnerie du Grand-Orient de France, tout en vous présentant, en raison des mensonges répandus sur cet Ordre philosophique, une déclaration aussi solennelle que respectueuse.
Dans l'impossibilité absolue de réunir l'Assemblée ou le Conseil qui détiennent les pouvoirs statutaires en cette matière, mais nous appuyant sur la confiance qui nous a maintes fois été accordée et prenant l'entière responsabilité de notre charge, nous déclarons que le Grand-Orient de France cesse son fonctionnement et que toutes les Loges qui en relèvent doivent immédiatement renoncer à poursuivre leurs travaux, si elles ne l'ont déjà fait.
Sans doute, comme toutes les institutions humaines, la Franc-Maçonnerie française a eu ses faiblesses, mais durant ses deux siècles d'existence, elle compte à son actif de belles pages d'histoire depuis les encyclopédistes jusqu'au maréchal Joffre, vainqueur de la Marne. Elle a brillé par sa grandeur morale, elle ne peut rougir ni de son idéal ni de ses principes. Elle succombe victime d'erreurs à son endroit et de mensonges, car dans son essence elle a le respect de la pensée libre, des convictions et des croyances sincères. Elle a toujours honoré le travail. Son but suprême est l'amélioration morale et matérielle des hommes dont elle voudrait poursuivre l'union par la fraternité. Elle a conscience, dans les événements douloureux que la France vient de traverser, de n'avoir failli ni à sa tradition, ni au devoir national. A de nombreuses reprises, elle a fait appel aux bons offices du président Roosevelt dans le but de maintenir la paix entre les peuples et c'est le coeur saignant qu'elle a vu se déchaîner l'effroyable conflit.
Combien d'hommes politiques et autres a-t-on prétendu être Francs-maçons qui ne l'ont jamais été. Et comme l'on se trompe facilement en affirmant que le Grand-Orient de France, dans les vingt dernières années, a été le maître du pouvoir ou son serviteur.
Il n'a jamais non plus subi une direction étrangère, notamment celle de la Grande-Loge d'Angleterre avec laquelle il n'a aucun rapport, ni officiel ni officieux depuis 1877. En sens contraire, il n'a jamais cherché à influencer aucune puissance maçonnique d'autre pays, qui ont toujours eu le haut souci de leur indépendance nationale.
Si, actuellement, nous ne pouvons donner personnellement la preuve de nos affirmations, puisque nos archives ont été saisies au siège et à nos domiciles par les autorités d'occupation, il doit exister en France non occupée une documentation qui peut sans conteste en démontrer la véracité.
On insinue que nous sommes aux ordres de la finance internationale. Les signataires de cette lettre qui figurent parmi les plus hauts dignitaires de l'Ordre maçonnique sont restés de situation modeste ; la simplicité et la dignité de leur vie, faciles à contrôler, leur permettent de dédaigner une si déshonorable imputation.
La Banque de France est le seul établissement bancaire, avec les chèques postaux, où le Grand-Orient de France possède un compte courant. Des titres, au reste bien modestes, sont des titres français : rentes sur l'Etat et Bons de la Défense nationale.
Enfin, le principal grief qui est fait, c'est d'être une société secrète, ce qui est encore inexact au sens légal du mot. Le 3 janvier 1913, le Grand-Orient de France devenait une association déclarée, ayant personnalité civile en déposant ses statuts et en renouvelant tous les ans, à la préfecture, le dépôt des noms de ses trente-trois administrateurs. Il suffit du reste de consulter l'annuaire universel Didot-Bottin-Tome Paris pour trouver aux "Professions" à la rubrique "Franc-Maçonnerie" toutes les indications du Grand-Orient de France avec les noms et professions des membres du Bureau.
Le Grand-Orient de France comptait parmi les forces spirituelles qui composaient notre nation. Sa fermeture suffira t'elle à apaiser certaines haines ? Puisse-t-elle au moins aider au rapprochement de tous les Français qui, avec des tempéraments différents, ont l'intention de travailler loyalement au redressement moral et à la prospérité de la France.

Nous vous prions, Monsieur le Maréchal, de vouloir bien agréer l'assurance de notre profond respect..."


Langage pétainiste dès le départ : "malheurs de la patrie", "sacrifices".


Soumission totale, c'est-à-dire absence complète de résistance, et promesse de faire régner la soumission.



A aucun moment, il n'est question de défendre la République, qui est pourtant la référence des Francs-maçons. Le mot "République" n'est jamais cité.


L'Angleterre a déclaré la guerre à l'Allemagne, et de Gaulle s'y est réfugié...


Pour complaire aux clichés de l'époque, on s'éloigne au maximum de l'image du Juif, financier cosmopolite. Le Franc-Maçon se veut franchouillard.

S'adresser au chef de l'Etat pour lui demander de consulter le Bottin : l'argument-choc...

Adhésion aux mots d'ordre pétainistes de la révolution nationale et de l'ordre moral.

... notre profond respect...

         Lors du Convent du Grand-Orient de 1945, Arthur Groussier revendique pleinement la paternité du texte. Il a tout fait pour qu'on ne poursuive pas les Francs-maçons. Il remarque que, pendant toute la durée de la guerre, aucun Franc-Maçon ne lui a adressé de reproche pour cette lettre. Les frères moralistes ne sont pas non plus des modèles de la résistance à l'oppression.
Il rajoute :

"Mon sentiment était que pesait sur moi la responsabilité du sort des Maçons. Il ne fallait pas qu'un acte de moi pût servir à faire traiter les Maçons, puisqu'on en avait la liste, comme on a traité les Juifs. Les Maçons qui ont été poursuivis et maltraités l'ont été comme résistants, et non pas comme Maçons."

Les protégés d'Otto Abetz et de Pierre Laval

Les Allemands s'intéressaient au début de la guerre aux Francs-maçons, qu'ils soupçonnaient d'être à la solde des Juifs et de l'Angleterre.

"Les Allemands étaient partis de cette idée que les maçonneries française et anglaise étaient liées contre eux. Ils en revinrent, et nous auraient laissés relativement tranquilles, si ce préjugé n'eut été ressuscité par le service de Vichy, nous tenant responsables de la guerre"
Témoignage de Michel Dumesnil de Gramont, président du Conseil fédéral de la Grande Loge de France.
Cité par D. Rossignol -voir sources- p 96

        Otto Abetz, ambassadeur d'Allemagne à Paris, avaient depuis plusieurs années de fortes amitiés maçonniques en France. Certains auteurs affirment même qu'il était Franc-Maçon. Quoiqu'il en soit, les Allemands interrogèrent les dignitaires mais ne les emprisonnèrent pas. Ils finirent par se désintéresser des affaires maçonniques.
        La prétendue persécution fut le fait des Français. Dans le contexte de guerre, elle fut bénigne. Le gouvernement de Pétain entama une propagande anti-maçonnique. Il fit publier des noms, brisant ainsi l'omerta sacrée. Ceci n'empêche pas que des Francs-Maçons éminents soient présents dans les allées du pouvoir (voir Bête immonde). Pétain s'entoure de Francs-maçons connus : Camille Chautemps, François Casseigne, Ludovic-Oscar Frossard. Le maire de Vichy est confirmé dans ses fonctions ; il est pourtant Franc-maçon.
          Les Francs-maçons sont présents dans toute la presse collaborationniste : Emile Perrin, Alexandre Zévaes, Eugène Frot, Emile Périn, François Chasseigne, Raymond Froideval, Armand Charpentier à l'Oeuvre, Eugène Gerber, Jacques La Brède, René Martel à Paris-Soir, Marcelle Capy à Germinal, Emile Roche, Guy Zucarelli, René Brunet, Jean-Michel Renaitour aux Nouveaux Temps, Jean de la Hire au Matin, Georges Dumoulin, Charles Dhooghe, Paul Perrin à La France Socialiste.

Curieusement, la loi du 13 août 1940 interdisant les sociétés secrètes ne cite jamais explicitement les obédiences de la Franc-Maçonnerie. La loi du 10 novembre 1941 prévoyait de purger l'administration, mais elle fut rendue inefficace quelques mois plus tard. Quand Laval revint au pouvoir, en 1942, il mit à la tête de la commission spéciale un homme à lui, Maurice Reclus. Laval ne lui cacha pas son objectif. Il fallait faire régner dans la commission "un esprit systématiquement libéral, en accordant toutes les dérogations possibles, en essayant de faire rentrer en masse les Maçons éliminés dans l'administration, la magistrature, l'armée, l'université. Dans ce sens-là, allez fort, aussi fort que vous voudrez ; je vous couvre entièrement par des instructions formelles".
C'est ce qui fut fait. Laval refuse d'autre part de signer les différents projets de loi que lui soumet l'Amiral Platon. Il donnera des instructions sans ambiguïtés à Maurice Reclus : "Gagnez du temps, mettez des semaines, des mois, avant de vous prononcer sur le sujet ; amendez-le, videz-le de sa substance, sabotez-le et, finalement, rejetez-le si vous le pouvez" (cité par D. Rossignol, Voir Sources, p 188). Les administrations antimaçonniques, mises en place avec l'accord du maréchal, furent neutralisées.

1944. Soumission, deuxième acte

Adresse au général de Gaulle. 18 octobre 1944

"Le Conseil de l'Ordre maçonnique de France, réuni pour réveiller ses loges, adresse au général Charles de Gaulle, président du gouvernement provisoire de la République française, l'expression de sa profonde admiration pour son attitude courageuse et son action persévérante qui, au milieu des pires difficultés, ont permis à la France de recouvrer son idéal de liberté et ranimé en elle le sens de l'honneur, sa foi démocratique et sa confiance en la grandeur de sa destinée.
Les adeptes de la Franc-Maçonnerie française le remercient vivement ainsi que son gouvernement, d'avoir abrogé les lois du pouvoir illégal de Vichy et de leur permettre ainsi de travailler dans le calme de leurs temples au perfectionnement moral et matériel des hommes, sous l'inspiration de leur belle devise qui est celle de la République : Liberté, Egalité, fraternité.
Partisans de l'union de tous les bons Français qui n'ont pactisé ni avec l'ennemi de l'extérieur, ni avec les traîtres de l'intérieur, les Francs-Maçons français dignes de ce nom, confiants en lui, aideront de toutes leurs forces le gouvernement qu'il préside à rénover toutes les activités spirituelles, politiques et économiques de la France, pour élever les coeurs, redresser les moeurs, rétablir la prospérité du pays, donner au travail la place qui doit lui appartenir dans une société vraiment solidaire, assurer à tous les Français des deux sexes de tous les âges, par leur participation selon leurs forces et leurs talents, à la production commune et au développement de l'économie sociale, une vie de libre dignité à l'abri du besoin, et préparer toutes mesures et toutes ententes pour rapprocher les peuples et assurer la paix du monde..."

Réveiller ses loges : autant dire qu'elle n'étaient pas résistantes

Le pouvoir de Vichy est devenu illégal quand il a été abattu. C'est ce qui s'appelle de l'opportunisme

Les "bons Français" contre les "traîtres" : là encore, soumission aux critères des gouvernants. Vive l'épuration quand on se met du bon côté !

Comme Pétain, de Gaulle ne répondit rien. Il n'envoya même pas un accusé de réception. Mais les quatre grandes obédiences maçonniques furent largement indemnisées, au titre des dommages de guerre.

Le Grand-Orient en Bretagne

Un livre très intéressant a été écrit sur le sujet : 250 ans de Franc-Maçonnerie en Bretagne, Yannic Rome. Liv'éditions 1997
On peut y remarquer que les Francs-Maçons bretons, à partir du dernier quart du XIXème siècle, ont des préoccupations que l'on peut classer en cinq catégories principales :
- L'aide matérielle et spirituelle aux frères dans le besoin.
- L'anticléricalisme indirect, par les mesures administratives que l'on suggère au frère préfet, sous-préfet, ou maire.
- La dénonciation des bretonnants ("Malgré les ordres formels du gouvernement, monsieur Charles Morgant, curé de Guipavas (Finistère) continue à prêcher en breton et à faire le catéchisme en breton ..."  p 111)
- Le noyautage électoral
- Les querelles au sein des loges, contre les loges concurrentes, et aussi pour exister dans un monde hostile ou indifférent.

En Bretagne, les Francs-Maçons se considèrent comme des esprits supérieurs, vivant dans un environnement hostile :

" La loge Science et Conscience et Ernest Renan Réunis (...) émet le voeu que le gouvernement, dans l'intérêt public en général et de celui des naïfs bretons en particulier, fasse dissoudre ..." (p 62-63)

" Très peu de choses ont été faites pour instruire, éclairer le paysan breton ..." (p 63)

" Comme notre At. est en plein pays breton, au milieu de réactionnaires, de conservateurs et d'un clergé omnipotents ..." (planche XIX)

" ...dans un pays où le cléricalisme est encore à son apogée ..." (p 173)

" ... la fine fleur du parti clérical de Nantes suivie d'une foule aveuglée par le fanatisme ..." (p 226)

" ... placés comme nous le sommes dans le milieu le plus réactionnaire de France et entourés d'adversaires qui épient avidement chacun de nos actes et nous vouent journellement à la haine de nos concitoyens..." (p 290)

Parfois, le délire de persécution est particulièrement prononcé. Ainsi la loge de St Nazaire, en 1892 :

"Les maçons sont en butte aux aménités des journaux cléricaux et les syndicats ouvriers nous voient d'un mauvais oeil. Quant aux Républicains, ni de près ni de loin, ils ne veulent de contacts avec nous. L'administration est contre nous ..." (p 240)

A partir des rapports que les frères de Bretagne ont entre eux ou avec les instances centrales, leurs paranoïas, leurs manoeuvres et leurs ambitions, leurs élans aussi, on obtient une vision particulièrement fine de ce qu'est un provincial.
Les Francs-Maçons bretons sont des personnages de Balzac.

Particularité du Grand-Orient : les femmes à la maison !

Les obédiences maçonniques  françaises ont  beaucoup de retard par rapport à leurs frères étrangers.
Le 14 janvier 1882, Maria Deraismes est initiée par la Loge écossaise Les Libres penseurs du Pecq, dans la banlieue de Paris. La Grande-Loge Symbolique suspend aussitôt l'atelier. Cinq mois plus tard la loge frondeuse se soumet platement. Elle envoie à la Grande-Loge une liste de ses membres.  Le nom de Maria Deraismes n'y apparaît plus.
le 4 avril 1893, une obédience dissidente, qui accepte la mixité, est créée. Elle prend pour nom Le Droit Humain. Cette obédience est la seule qui défendra l'idée de l'égalité de droit entre les sexes. Maria Deraisme mourra l'année suivante.
En 1890, le convent du Grand-Orient repousse une proposition d'admission des femmes.
Aujourd'hui, plus de cent ans après, le Grand-Orient de France refuse toujours l'égalité des droits. Il s'en sort par une pirouette : il reconnait l'existence de loges féminines et accepte la présence de femmes dans les loges. Mais il leur refuse l'initiation.

Management et objectifs

Le Grand-Orient est doté d'une structure basée sur une stricte hiérarchie et sur l'accès discriminé au savoir (initiation).
N'importe quel étudiant en première année de management sait qu'une telle organisation est adaptée à des environnements stables, sans grandes évolutions technologiques : monopoles d'État, chaînes d'hôtel, grande distribution, monastères... C'est ce qu'on appelle le management par les procédures.
Il va de soi que les entreprises de nouvelles technologies, les structures innovantes ou les "think-tanks" dignes de ce nom ne peuvent être organisés ainsi. Dans les environnements en bouillonnement, les hommes priment sur les procédures, et l'organisation doit s'y adapter.
La prétention de modernité, ou de réflexion performante sur le bouillonnement moderne, ne peut sérieusement être soutenue par la Franc-Maçonnerie. Du moins devant un étudiant en première année de management...


Sources principales :
Pierre Chevallier,
La Maçonnerie, Eglise de la république (1877-1940), Ed Fayard 1975
Pierre Rocolle, L'hécatombe des généraux, Ed Lavauzelle, Paris, 1980.
François Bedarida, L'armée et la République. Les opinions politiques des officiers français en 1876-1878, dans la Revue Historique, 1964
Yannic Rome. 250 ans de Franc-Maçonnerie en Bretagne. Liv'éditions 1997
Dominique Rossignol. Vichy et les Francs-maçons. Ed JC Lattès, 1981


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