Monogrammes Alain d'Albret
Monogrammes sculptés sur les voûtes du château d'Alain d'Albret, à Nérac. Certains y voient les initiales entrelacées d'Alain et d'Anne de Bretagne.

Alain d'Albret 1491



Lettres patentes de restitution et abolition


       Le document suivant présente les lettres patentes de grâce et de restitution, de Charles VIII, roi de France, en faveur du sire d'Albret et de ses compagnons.
       Alain d'Albret a livré Nantes aux Français  le 4 avril 1491. Par cette trahison, qui ouvrait une brèche dans la défense bretonne, le Gascon jettait l'éponge sur ses projets bretons, pour lesquels il avait pourtant pris des risques énormes.

      L'un des intérêts de ce document est la reconnaissance, par le roi Charles VIII, du mariage d'Alain d'Albret et d'Anne de Bretagne par "paroles de présent"   . C'était donc le premier mariage d'Anne de Bretagne, et le Gascon s'est senti à juste titre "fraudé de son intention" lorsque Anne s'est mariée avec Maximilien d'Autriche.

Cette lettre, qui fait partie des archives d'Albret, se trouve aux Archives des Pyrénées Atlantiques à Pau (E 87). Le déchiffrage ci-dessous est dû à M. Clément-Simon (fin du XIXème siècle).


Charles, par la grâce de Dieu, roi de France (...)

         Comme se soient menés plusieurs différens entre aucuns princes et seigneurs de nostre sang à l'occasion de quoi ont fait grandes assemblées de gens de guerre (1), se soient fortifiés, etc., entre autres nostre cousin le sire Alain d'Albret se fut retiré à Moulins, devers feu notre oncle le duc de Bourbon, connétable, où il fit venir et marcher les 100 hommes d'armes  dont il avait de par nous charge et autres, et les fit conduire par Raymond de Cardaillac, dit de St-Cir, son lieutenant, pour joindre avec notre frère le duc d'Orléans (2), le comte de Dunois et autres, lors étant assemblés en armes en la ville de Beaugency où il convient d'aller en perssonne pour rompre leur entreprise et les fimes départir ; lequel d'Albret prit aussi certaine alliance avec notre beau-père le roi des Romains (3) et lui bailla son scellé sous couleur de vouloir faire assembler les Etats pour le bien de notre royaume ...
       Et depuis ledit Albret s'en vint devers nous et de nostre congié et vouloir s'en alla et retira en ses terres et seigneuries de Gascogne et au royaume de Navarre (4).
         Et l'année après ensuivant repartit de Navarre avec grand nombre de gens de pied et de cheval, tant espagnols que Navarrais, et marcha par ses terres et seigneuries de Gascogne, jusqu'en sa ville et place de Casteljaloux, là se fortifia et séjourna par aucuns jours, nous estans lors en notre cité de Bourdeaux, et lui fimes commandement de venir par devers nous et départir son armée. Lors il partit de Casteljaloux, passa avec son armée les rivières de Garonne, Dordogne et autres et marcha jusqu'au pays de Périgord en une sienne ville (5) nommée Nontron, avec l'intention d'aller plus avant et se joindre au duc François de Bretagne, pour certaines alliances que notre dit frère d'Orléans et lui avaient au dit duc. Mais obstant certaine armée que envoyasmes il fut empesché et assiégé dans Nontron , et nos lieutenants firent avec lui certain traictié, et il jura de nous servir loyaument d'ores en avant, et de venir devers nous toutes et quantes fois l'en requerrions, et despuis ratifiasmes ce traictié.
      Et au moyen du dit traictié, le dit d'Albret se retourna en ses terres de Gascogne et y fit demeure jusques environ la fête de Toussaint, lors ensuyvant, qu'il en partit pour venir vers nous ainsi que lui avions mandé.

      Et estant à Montignac, survint devant lui un des gens du feu comte de Comminges nommé Frozil, ayant charge des Srs d'Orléans, de Dunois et de Comminges lesquels auparavant s'estoient retirés en Bretaigne (6) devers le dit feu duc François... lesquels firent savoir au dit d'Albret que s'il voulait aller en Bretaigne au secours du dit duc, ils ne faisaient point de doute que le mariage d'Anne, fille aînée du dit duc et lui ne s'accomplit, pour lequel mariage traicter et conduire les susdits avaient donné les uns aux autres leurs scellés. (7)

      Et le dit d'Albret pour mieux s'assurer envoya en Bretaigne un de ses gens devers les susdits lesquels lui envoyèrent bientôt après un nommé Geoffroy de St-Martin, jadis procureur d'icelui d'Albret en Bretaigne, par lequel le duc d'Orléans et autres lui firent dire comme dessus, qu'il eut à faire diligence pour s'en venir, que le duc de Bretaigne l'en priait très affectueusement et se faisait fort qu'il épouserait Anne tost après qu'il seroit arrivé et qu'il trouvast moyen que Raymond de Cardaillac et ses 100 lances quitassent le parti du roi pour venir en Bretaigne ; lequel d'Albret, considérant le grand bien qu'il retirerait du dit mariage, se dirigea vers Bretaigne au mois de janvier ensuyvant. Mais fut empesché par aucuns de nos gens qui en furent avertis et s'en retourna en ses terres de Gascogne où il fut environ un mois.
      Et d'icelles s'en alla vers le roi de Navarre (8), puis vers le roi de Castille avec lequel pour la pacification du royaume de Navarre et estre favorisé au dit mariage fit certain traictié d'alliance lequel roi de castille envoya avec le dit d'Albret certains gens de guerre au secours du feu duc François.
      Et le dit d'Albret passa par mer 3000 hommes de guerre ou environ et arriva en Bretagne en espérance du dit mariage pour les seuretés et promesses qui lui en avaient été faites ... et fit tant que les 100 lances ou la pluspart abandonnèrent nostre service pour celui du feu duc François et despuis s'est toujours employé avec le dit St Cir et autres (...) . Et despuis se trouvaient à faire marcher l'armée du dit duc à Saint Aubin (9) (...) où nous fûmes vainqueurs.
Et oultre ont lui et ses gens fait plusieurs courses, prisonniers, butin, etc., ès marches de Poitou et ailleurs (...)
      Et néantmoing toujours en intention du dit mariage, lequel fut fait et consenti et contracté du vivant et consentement du feu duc François par paroles de présent avec la dite Anne comme il dit être notoire au pays (...) (10)

     Et avec le dit St Cir, Odet d'Aydie et autres, a opiné et praticqué à faire venir grand nombre d'estrangiers, et a envoyé un de ses gens vers le roi d'Angleterre et lui a escrit lettres faisant mention du dit mariage afin que au parachèvement d'icelui le dit roi voulust lui aider (...) et a fait en Bretagne sa résidence et demeuré l'espace de trois ans ; lesquelles choses faictes au mespris du traictié de Nontron et pour le dit mariage qu'il espérait chaque jour et aussi pour le droit qu'il prétendait en la duchié de Bretaigne à cause de ses enfants.(11)
     Considérant aussi que le Sr de Rieux maréchal de Bretaigne et autres après le trépas du feu duc François l'auroient reçu et lui auraient fait serment comme à leur seigneur et duc à l'occasion de quoi et de la dite résistance faicte par lui plusieurs grands scandales, maux, crimes de leze majesté, etc., se soient ensuyvis.

      Lequel d'Albret se voyant empesché en l'accomplissement du dit mariage, fraudé de son intention (12) (...) à cause que despuis certain temps en ça notre beau-père le roi des Romains dit avoir épousé par procureur icelle Anne laquelle sous cette couleur est nommée despuis Royne des Romains et de Hongrie.
        Considérant le grand préjudice que serait à notre royaume que la ville de Nantes tombât au pouvoir du roy des Romains à quoi il s'efforçoit de parvenir. Espérant encore nostre dit cousin d'Albret et désirant parvenir au dit mariage moyennant nostre bon aide et faveur, et pour que ses enfants prétendent avoir droit en la duchié (13), et pour autre cause, puis aucun temps en ça ai fait certain traictié avec nous touchant la reddition en notre obéissance de la cité de Nantes, par lequel lui promettons pardon, etc. Et comme il a de son côté accompli les conditions, en nous délivrant la dite cité de Nantes, nous a requis lui octroyer nos lettres patentes de restitution et abolition.
       Pour ce, considéré le grand péril et danger de mort, que les dits d'Albret, St Cir et autres, ses serviteurs, se sont mis et exposés vertueusement en faisant la prise et reddition de Nantes, le grand service contre nos anciens ennemys les Anglois, qui chaque jour s'efforce nous faire grevance et dommaige, lequel service pourra nous donner moyen de parachever la réduction totale du dit pays de Bretaigne (14); voulant conserver le dit traictié etc., avons remis quitté et pardonné aux dits sieurs d'Albret, Odet d'Aydie, de St Cir, Reynaud de St-Chamaus dit de Lissac, etc., et les réintégrons en leur bonne famie et renommée, en tous et chescuns leurs biens, (...)


(1) Référence à la "Ligue du Bien Public", révolte des féodaux contre l'autorité royale.



(2) Le duc d'Orléans est le futur roi Louis XII, pour l'heure un des chef des révoltés.


(3) Le roi des Romains est Maximilien d'Autriche, empereurdu Saint Empire Romain de Nation Germanique. Charles VIII est marié à la fille de Maximilien.

(4) Le fils d'Alain, Jean d'Albret, est roi de Navarre. Alain en est le gouverneur.




(5) Alain a hérité de sa femme, Françoise de Bretagne, le comté du Périgord.






(6) Les féodaux de la Ligue du bien public se sont réfugiés  en Bretagne, état indépendant.

(7) Le mariage d'Anne et  d'Alain d'Albret aurait permis de réunifier toutes les grandes familles de Bretagne. Voir  GENEALOGIE.
De plus Alain d'Albret, depuis la chute des Armagnacs, était le féodal le plus puissant du royaume.







(8) Le roi de Navarre est son fils  Jean.
Le roi de Castille est Ferdinand d'Aragon, mari d'Isabelle de Castille. Celui-ci lorgnait sur la Navarre, déchirée par une guerre civile entre partisans des Beaumont et des Gramont.



(9) Les troupes d'Alain d'Albret se sont battues pour l'indépendance bretonne à la bataille de St Aubin du Cormier le 24 juillet 1488.



(10) Charles VIII révèle que Anne et Alain ont bien été mariés  (par "paroles de présent", dans la mesure où Anne n'était pas pubère)





(11) Voir GENEALOGIE.
Alain descendait  du duc de Bretagne Jean IV.
Sa femme Françoise de Bretagne descendait de Charles de Blois et Jeanne de Penthièvre.
Leurs enfants avaient donc des prétentions fortes et légitimes au trône ducal.




(12) Anne s'est marié par procuration à Maximilien d'Autriche  le 19 décembre 1490.





(13) De toute évidence, Charles VIII n'a pas encore décidé de se marier avec Anne.





(14) L'objectif du roi de France est bien la "réduction totale du dit pays de Bretaigne", n'en déplaise à Anne de Bretagne et à ses partisans actuels.


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ContreCulture / A.Albret version 1.0