CNB

Breiz Atao 1943-1944


          Le document suivant, un des rares textes publics de Célestin Lainé, suit l'assassinat de l'abbé Perrot et précède de peu la création de la Bezenn Perrot.

          Il expose la problématique du mouvement breton pendant la guerre, vue par les nationalistes bretons (et non par les universitaires, soixante ans après). On y découvre la logique qui a conduit à la création de la Bezenn. 


Lettre ouverte au CHEF du Parti National Breton

         L’article de Triskell, « Précisions nécessaires » et le silence qui l'accueille m'obligent à sortir aujourd’hui de mon mutisme volontaire pour ne pas être réputé consentant à ce que j’estime une trahison.
 
 
        A la page 36 de la brochure Notre Lutte pour la Bretagne, publiée en 1941 par l'actuelle direction, nous lisons :
         « La doctrine du Parti National Breton, c’est le Nationalisme breton mis au point par Breiz Atao au cours de ses vingt années d’existence. »
         A la fin de l'article de Triskell, publié en 1943, nous lisons :
       « S'il est des patriotes bretons qui regrettent la violence et l'agressivité de « l'ancien Breiz Atao », qu’ils en reprennent les méthodes d’action et les formules. »
       On ne peut mieux annoncer qu'entre ces deux dates l'actuelle direction du Parti a totalement changé son point de vue. Il est donc très étonnant de lire dans le même article de Triskell : « Quant à notre position politique, elle ne subit aucun changement et je la précise une fois de plus. »
 

 
       Ce reniement de « l'ancien Breiz Atao » est d'ailleurs bien plus profond qu'il ne paraît. Ce ne sont pas seulement les méthodes d'action et les formules qui sont rejetées, c'est aussi le personnel de « l’ancien Breiz Atao ».
          La présence de M. GUIEYSSE était jusqu'au mois passé le garant de l'adhésion de l'ancien Breiz Atao, celui de la déclaration de Pontivy où certaines absences furent remarquées. M. GUIEYSSE était le dernier lien notable entre l'actuelle direction et les hommes qui avaient mené l'action dans les jours dangereux précédant la guerre, qui avaient été condamnés pendant la guerre, qui par leur conduite, avaient intéressé les autorités allemandes au Mouvement breton, et grâce auxquels beaucoup d'ex-prisonniers doivent leur présence même dans l’actuelle direction. C'est malgré tout un résultat de la politique de l’ancien Breiz Atao.
        M. GUIEYSSE a voulu faire comme saint Thomas. Il a voulu vérifier à la source la version officielle répandue dans le Parti par les soins de la direction. Il y a malheureusement acquis la conviction que les choses s'étaient passées tout autrement. Nous savons tout ce que cela a entraîné de la part de l’actuelle direction du Parti : refus de discussion, accusation de monstrueux (sic) manque de confiance, et démission imposée.
 

 
       Ce reniement de l'ancien Breiz Atao dans les méthodes d'action, les formules et le personnel n'est pas non plus un événement fortuit, C'est le lent aboutissement d'un travail souterrain. Au Congrès des Cadres de Rennes en 1942, M. BOURDON, évidemment inspiré, avait fait une sortie très remarquée contre ces songe-creux de l'ancien Breiz Atao qui ne savaient rien réaliser à cause de leur intransigeance («  Nous ne sommes ni des fous, ni des forcenés »Triskell 1943 !), tandis que l'habileté et la souplesse de la nouvelle équipe (des patriotes réfléchis qui savent ce qu’ils veulent et qui savent prendre les moyens de parvenir à leur but », Triskell 1943), etc., etc...
     La sensation fut assez grande pour que le Chef du Parti dut alors désavouer M. BOURDON. Aujourd'hui il prouve qu'il est d'accord avec lui.
    L’hiver dernier, l’Heure Bretonne arbora un éditorial du Chef du Parti avec - si j'ai bonne mémoire -  la manchette : « Afin que nul n'en ignore, précisons une fois de plus nos intentions : un Etat autonome breton dans un Etat fédéral francais. » L'ancien Breiz Atao avait, il est vrai, admis cette possibilité comme un pis-aller provisoire mais sûrement pas comme son but ; et ce but n’est guère différent de celui de M. FOUERE qui, lui, au moins, a réussi à se faire admettre au Comité Consultatif de la Préfecture Régionale.
     Toute ces « précisions » ressemblent fâcheusement à des « altérations ».
 
 
 
      Revenons encore à Triskell 1943 :
    « Le Parti National Breton ne modifie pas sa position politique pas plus à l'extérieur qu'à l’intérieur. Il reste acquis à l’idée de la réorganisation européenne qui donnera à tous les peuples, aux petits comme aux grands, la libre disposition de leur destin. »
     S’agit-il de la réorganisation européenne à laquelle travaille l’Allemagne ?
     Rien ne l’affirme. Il pourrait tout aussi bien s’agir de l’Angleterre, voire de la Russie.
     Ce style « Charte de l’Atlantique » est un bel exemple du produit des hommes occupés à dominer leur époque en se dominant eux-mêmes. Tout est si bien dominé que rien ne transparaît. C’est le parfait étouffoir pour adhérents.
     Que cette politique intéresse les Allemands au succès de la cause bretonne, j’en doute fort ; mais ce dont je suis sûr, c’est qu’elle ne suffit pas non plus à y intéresser ni les Anglais ni les Russes. J’appelle cela jouer perdant sur tous les tableaux de cette guerre.
 

 
       L'article de Triskell abat publiquement les cartes : l’ancien Breiz Atao est renié avec ses méthodes d’action, ses formules et son personnel. En réalité je vois là l’opposition de deux espèces d’hommes.
      L’une qui a l’échine souple, qui proclame ce qu’il faut pour obtenir de se voir confier l’héritage de l’ancien Breiz Atao avec notre appui efficace, et qui, l’ayant obtenu, renie progressivement son programme.
     Une espèce qui « tend la main » à tout le monde en le criant sur les toits, tel un mendiant importun et indiscret.
      Une espèce qui ne se compromet avec personne pour pouvoir se raccrocher au vainqueur « quelle que soit l’issue des événements ».
       Une espèce qui veut triompher par les finasseries.
      L’autre qui a l’échine raide, qui s’en tient mordicus au principe de ce qu’elle a déclaré, et c’est pourquoi le nom de Breiz Atao reste à lui seul toute une doctrine et le restera.
     Une espèce qui a trop de fierté celtique pour tendre indiscrètement la main – pas plus avant la guerre que pendant ni après – et qui tient ferme la main qu’elle tient.
      Une espèce qui ne compte pas sur les finasseries pour venir à bout de ses ennemis, parce qu’elle ne craint pas les revers.
      Une espèce qui a reconnu l’allié allemand pour des raisons profondes et bien avant la guerre.
      Une espèce qui dans sa foi solide a misé tout et ferme sur la carte allemande et n’admettrait pas de camoufler sa mise.
     Les « anciens Breiz Atao » sont en général de cette espèce et je prétends que c’est une espèce plus celtique que celle qui les exclut présentement de notre Parti National Breton de Breiz Atao.
 
 

     On pourrait admettre votre attitude si vos reniements avaient apporté des avantages substantiels à la réalisation d'un État breton, Mais où sont ces avantages ?
      Les Evêques sont restés hostiles et toutes vos avances de ce côté n’ont reçu que des rebuffades.
     Les Français n’ont pas été amadoués par votre main tendue et votre demande de participer même au Comité Consultatif de la Préfecture Régionale n’a reçu qu’un mépris hautain.
      Les Allemands ont fini par devenir méfiants devant votre réserve politique, et celle-ci ne vous a pas davantage acquis la confiance des Anglais ni des Russes.
   Votre refus de vexer les terroristes autrement qu’en termes mesurés ne nous dispense pas et ne nous dispensera pas de subir leurs rigueurs (Yann Bricler, Yves Kerhoas, Jean-Marie Perrot, et à qui le tour ?)
     Vous n’avez pas préparé de cadres capables de prendre en main l’administration de la Bretagne ; vous n’avez pas fondé un enseignement ni une école d’Administration bretonne ; vous avez démissionné la majeure partie des personnalités capables de jouer un rôle dans ce sens et vous n’en avez guère acquis de nouvelles. Cette question est aussi peu avancée qu’à votre avènement.
    Votre retournement n'est même pas une nouvelle doctrine et ne se concrétise pour personne, si bien que la foule bretonne vous accueille et vous accueillera toujours malgré vous aux cris de Breiz Atao et de Gwen ha Du.
     Ce dont vous pouvez vous prévaloir est l’accroissement du nombre des lecteurs de l’Heure Bretonne, mais il ne faut pas trop s’exagérer l’importance de ce résultat. La masse lit l’Heure Bretonne à cause de ses bonnes critiques de Vichy. Elle est gaulliste cette masse, et de plus en plus exigeante, car elle croit de plus en plus à la victoire de ses désirs. Votre absentéisme politique ne lui suffit plus. Aujourd'hui elle exige davantage. Vous êtes non les conducteurs de la masse, mais ses prisonniers. Pour la conserver et surtout pour l’accroître, un seul moyen : se rapprocher d’elle. Mais ceci, dans les circonstances actuelles, exigerait des gens à tempérament fort hardi. Quant à moi, je pense que les succès de l’armée allemande seront le « Saint Esprit » le plus efficace pour la conversion des Bretons égarés.
     En résumé, vous pratiquez le reniement à bon compte et sans grande nécessité. Le roi protestant Henri IV avait estimé que Paris valait bien une messe ; il s’était renié, mais du moins il avait eu Paris. Comment l’estimerait-on s’il s’était renié sans avoir eu Paris ?
 

 
       J’estime donc que l’actuelle direction du Parti a trahi l’héritage du Parti National Breton de Breiz Atao, héritage qui a été remis entre ses mains pour qu’elle le développe et non pas pour qu’elle le renie.
         Le Parti est majeur et point n’est besoin de traiter ses membres les plus notables perinde ac cadaver, comme des enfants de douze ans dont on exige une soumission aveugle même aux reniements les plus évidents.
          La base du parti est idéologique et non personnelle ; elle tient à la situation de la Bretagne et à ses besoins, non à la personnalité d’un homme. Le nom de M. DEBAUVAIS lui-même apparut toujours très subordonné au nom collectif de Breiz Atao.
      Le parti a connu et connaîtra d’autres Directions ; aucune n’a le pouvoir de renier « La doctrine du Nationalisme breton mis au point par Breiz Atao au cours de ses vingt années d’existence » sans faillir à son mandat.
        Le Parti de l’actuelle direction n’a plus le droit de porter le titre de Parti National Breton hérité de celui de Breiz Atao. Ce titre doit être relevé par les Chefs départementaux qui élurent M. DELAPORTE et qu’il élimina pour leur fidélité aux méthodes d’action et aux formules de l’ancien Breiz Atao.
      Pour autant qu’il y ait une nouvelle doctrine, c’est désormais le seul bon plaisir de MM. DELAPORTE. La direction qui l’a imaginée n’a donc droit qu’au titre de Direction du Parti Delaportiste Breton.
 
C. LAINE
Secrétaire général de l’ancien Breiz Atao

PNB1943-1 PNB1943-2

Source : Original (copie ci-dessus)

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