Mercuriale de juin 2007


   Faut-il refuser l’étiquette de communautariste ? En France, ce terme est une injure, qui définit l'agresseur plus que l'agressé. « Vous êtes communautariste » signifie d'abord  « je suis laïc et républicain, et vous ne l'êtes pas ». Chacun affirme son identité à sa manière ; après tout, celle-là en vaut bien une autre. J’ai toujours été amusé par les jeunes néophytes de gauche qui affirment leur nouvelle identité politique en débusquant victorieusement chez leurs voisins des expressions de droite.
  La dénonciation du communautarisme a ceci de problématique et d’inquiétant que l’identité personnelle ainsi proclamée est aussi celle de l’État français, c’est à dire d'un pouvoir normatif.
    Il est difficile de discerner, chez les anti-communautaristes, la part d’adhésion à une idée et la part d'adhésion à une norme. L’appel aux pouvoirs publics pour légiférer, le souci constant d’exclure religion et cultures minoritaires hors de la sphère publique, tout un faisceau de comportements place l'anti-communautarisme, non pas dans la catégorie des valeurs, mais dans celle de la discipline.

   Les sociologues américains définissent l'esprit sectaire par le purisme et l'exclusion. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il y a en France une compatibilité entre la pratique anti-communautaire et l'esprit sectaire.
 
   Subventionner raisonnablement l’érection de mosquées ou la diffusion de la langue bretonne ne coûterait pas bien cher, et établirait un climat de tolérance et d’ouverture. Mais, comme tous les hommes d’ordre, l'anti-communautariste a des principes. Des grands et beaux principes intangibles, comme en ont tous les va-t-en-guerre.
   La France est une folle usine à principes, au point d'en exporter dans le monde entier, et d'en refiler même à ceux qui n'en veulent pas. Ainsi en est-il des principes communautaristes, dont nous n'avons aucun besoin. Nous autres Bretons préférons partager des ambitions que des principes.

   Devons-nous nous détourner de cette belle construction intellectuelle qu'est le "communautarisme" ? C'est une perle de la pensée française qui nous est gracieusement offerte. Elle est à la fois ringarde et brillante, bref typique. Constatons aussi qu'elle présente quatre attraits qui devraient plaire à la jeunesse : c'est une idéologie inutile, c'est un bavardage, c'est une provocation, c'est une transgression.

   Choisir des liens et des valeurs en dehors du vieil étal laïc et républicain, qui sent l'eau de Cologne et la Troisième République, s'inscrit dans la modernité. Les joyeux habitants du village global ont de l'énergie, de l'imagination, mais manquent d'abnégation. Le soldat inconnu ne les fait pas rêver. Ils adhérent en masse à des communautés chaudes, humaines, concrètes, fussent-elles virtuelles ou insolites. La Bretagne, à la fois réelle et virtuelle, banale et insolite, fait partie de ces communautés.
  Ramant à contre-courant, la République française s’épuise à se hisser au-dessus de la marée humaine. Le lien citoyen voudrait refouler tous les autres hors de la sphère publique. « Unis dans la diversité » proclame la devise de l’Europe. « Pour rester unis, rabaissons la diversité au niveau de l'anecdote respectable » proclame la laïcité d'État.
   Encore une bonne raison pour se sentir européen plutôt que français.

JPLM


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Contreculture / Mercuriale 2007 06