Mercuriale
de novembre 2007
" La pire des
inégalités surgit quand on veut rendre
égal ce qui ne l'est pas" (Aristote)
La devise française Liberté
Egalité Fraternité
charme
les esprits poétiques ou superficiels. Toutefois, la
complémentarité factice
qui s'en dégage ne résiste pas à
l’analyse.
C’est l’union des dupes autour d’une
formule à
la
beauté irréelle.
Je ne sais pas si le citoyen français a
un jour cru à la
liberté. Ce qui est sûr, c’est
qu’aujourd’hui il s’en méfie.
Tout d’abord, il
n’aime pas les libertés collectives,
qu’il taxe de communautaristes. Il doute
aussi de la liberté dans le domaine
économique ; selon les sondages, les
Français sont les européens les plus
opposés au libéralisme. Il n’aime pas
non
plus la liberté culturelle : la
République ne parle qu’une seule langue.
Le républicain français est
gêné par la fraternité. C'est un
laïc ; le mot fraternité lui
rappelle les vertus
chrétiennes, qui sont plus anciennes que la
république. Il y sent des relents
de charité, qu’il s’est
évertué à combattre au nom de la
justice.
Reste l’égalité.
Là, notre homme se sent à l’aise.
L’égalité
est un idéal
de la révolution française,
vénérable
et inadapté comme un vieux livre. Il correspond aux derniers
feux d’une société fermée,
où
tout le monde vit à l’ombre du roi ou
d’une loi.
L’utopie égalitaire a besoin
d’isolement. Voltaire, dans ses Lettres
philosophiques, s’est extasié de
la sagesse des Shogun qui avaient isolé le Japon du reste du
monde à partir de
1635.
Sortie de l'isolement, l'utopie égalitaire bascule vers la
tentation totalitaire, ce qui n'est pas mieux.
Le repli centralisé est aujourd’hui la version
française de l’utopie
égalitaire, hésitant entre l’exception
et l’universalité, revendiquant les deux
à la fois.
Au XIXème siècle, la France
était
à son apogée. Le cerveau central pouvait irradier
sa
puissance jusqu’aux confins de l'empire. Tout ce qui
n'était pas central pouvait être égal :
sans identité et sans initiative. Mais le temps
n’est plus aux empires, aux nations suffisantes ou aux
génies
solitaires. Les PC en réseau ont une puissance sans commune
mesure
avec un ordinateur non connecté à Internet,
même si
cet ordinateur est de la taille de Paris, même si un grand
homme
est devant le clavier.
Les identités
individuelles et collectives sont disparates.
Pour supprimer les disparités, la République les
écarte de la sphère publique. Il ne reste que
l’identité citoyenne, qui se
révèle plus
pauvre et plus
déprimante que toutes ces identités multicolores.
Pas
étonnant : les unes sont assumées, l'autre est
octroyée.
Les dynamiques
régionales sont disparates. La centralisation,
pour atténuer les disparités, les paralyse
toutes. Cependant la
dynamique centrale n’est plus suffisante ; en
conséquence, l'ensemble décline
même si ce n’est pas encore visible du centre. La
République française est un cerveau autiste dans
un grand corps flasque.
Pour nous autres périphériques,
l’égalité républicaine est
un
prétexte rabaché, qui bloque nos
identités et nos
initiatives. Le comble est que nous trouvons toujours,
face à nous, un profiteur, nanti d’un statut ou
d’un
régime spécial, pour nous
faire la morale.
A leur
égalité, nous préférons
largement la péréquation
équitable. C’est, non pas la
répartition de rôles semblables dans la
fourmilière
citoyenne, mais le partage des résultats dans une
société plurielle.
D’un point de
vue pratique, les
systèmes de péréquation sont
plus faciles à mettre en place que les systèmes
égalitaires, car ils se font
sur la répartition des résultats, alors que
l’égalité impose d'inutiles et stupides
contraintes
de
départ. La péréquation
libère
l’initiative, ne bloque pas la création de
richesse, ne
nécessite pas l'alignement des cerveaux. Dans bien
des pays modernes, l’État est devenu le lieu
où
s’établit la péréquation. En
France,
comme le veulent les vieux livres vénérables,
c’est
le lieu où se fixe la norme et où
siège le
pouvoir.
Les statistiques sont sans appel. Les Bretons sont, dans
l’Hexagone, ceux qui donnent le plus aux ONG et ceux qui
créent le plus
d’associations. Qu’on les laisse
s'organiser, parler leur
langue et produire à leur manière. Ils savent
partager et
n'ont pas de leçon à recevoir la-dessus.