« Le refus de
la société pluraliste et ouverte n’est
pas une simple aberration,
pas
plus que ce refus n’est le produit d’une
conjoncture économique difficile » (Zeev
Sternhell)
La
Révolution de 1789 a fait émerger deux
personnages
mythiques, qui ont marqué la politique française
jusqu’à nos jours. Le jacobin
se définit par une ambition-culte : la
France une et indivisible. Le sans-culotte se
caractérise par une
personnalité-culte : c’est le
révolutionnaire parisien, gouailleur,
chauvin, libre-penseur, partisan du coup de force, méprisant
les procédures démocratiques.
Ces deux
personnages sont des mythes fondateurs de la
république. L’histoire de France est
imprégnée de l’idée fixe de
l’un et des
imprécations de l’autre. Le jacobin organise le
centralisme napoléonien, tandis
que le sans-culotte, devenu grognard de l’empire,
dévaste l’Europe. Après
l’épopée napoléonienne,
l’essor du libéralisme inquiète le
jacobin et fait
conspirer le sans-culotte. L’effondrement de 1870 les remet
tous les deux au premier plan. La
Commune de Paris est l’heure de gloire du
sans-culotte ; la Troisième
république sera celle du jacobin.
Chaque siècle semble générer
de nouveaux clivages
politiques. Le XIXème siècle avait
partagé les identités politiques entre
républicains, bonapartistes, légitimistes et
orléanistes. Jusqu’en 1871,
jacobins et sans-culottes étaient unis dans le camp
républicain.
La
Commune de Paris, le
boulangisme et l’affaire Dreyfus
brouillent les cartes. Les notions de gauche et de droite
s’imposent. Elles
vont dominer tout le XXème siècle. Les jacobins
se
répartissent dans tous les partis
gouvernementaux, avec néanmoins pour
référence le
Parti Radical de Gambetta et de Clémenceau. Le
socialisme putschiste des sans-culottes
projette les uns vers l’extrême
gauche communiste, les autres vers le fascisme.
Depuis les années
1960, les révolutions technologiques et la
globalisation
des échanges bousculent les classifications
habituelles, ce qui provoque des
retours aux sources. A
droite le Front National, fier de ses racines
plébéiennes, revendique
l’esprit de Valmy. La fin du
communisme soviétique favorise la constitution
d’un
pôle républicain, où jacobins
et sans-culottes se retrouvent.
Les vieux frères,
éparpillés par les
cloisonnements droite-gauche, avancent des mots d’ordre
communs,
qui sont autant de signes de reconnaissance. L'anti-mondialisme
et l'anti-communautarisme correspondent au
chauvinisme des uns, au souci d'unité de la
république des autres.
L'antilibéralisme est lié à la
revendication
égalitaire des uns, au sens de l'État des autres.
Les
retrouvailles des sans-culottes et des jacobins, transgressant les
frontières droite-gauche, ont été
bruyamment
scellées par le vote Non au
traité constitutionnel européen en 2005.
On
dit parfois que les USA
préfigurent ce que sera l’Europe. Il est
possible que la France évolue vers un clivage
républicain-démocrate. Le pôle
républicain, étatiste, méfiant envers
le
pluralisme, arc-bouté sur l’exception
française, donneur de leçons, existe
déjà et veut exister plus encore. Sa doctrine
ressemble
furieusement à ce que les néo-conservateurs
américains définissent comme la "doctrine Bush".
Selon
William Kristol, "c'est
une philosophie clairement issue de l'exceptionnalisme
américain, une croyance dans la singularité et la
vertu
du système politique américain, qui fait des
Etats-Unis
un modèle pour le monde."
En
France comme aux USA, nous ne sommes pas tant devant un nationalisme
que devant une utopie agressive.
Il serait superficiel de n'y voir qu'une volonté de richesse
ou
de pouvoir. L'utopie républicaine se veut
sociale et culturelle, fondamentale. C'est justement ce qui la
rend destructrice et ennemie de la
diversité. Les fondamentalistes nient l'existence de l'autre
; il ne reconnaissent que l'allié ou l'ennemi. Les impérialismes
des "valeurs de la République" ou de "l'axe
du Bien" n'admettent pas qu'il puisse exister des identités
extérieures à leurs dilemmes,
irréductibles
à leurs géométries,
étrangères
à leurs problématiques.
Nous
autres Bretons
n’avons rien à attendre d’un
pôle
républicain.
Mais avons-nous quelque chose à attendre d’un
pôle
démocrate français ?
Sauf faillite économique ou contrainte européenne
qui
imposerait en France
une politique girondine, un tel pôle reste virtuel.
Parier sur
l’émergence d’un pôle
démocrate en France est
possible, mais hasardeux. Le projet indépendantiste breton
est à la fois plus
excitant, plus gratifiant, plus concret, et moins dépendant
de volontés externes.