Mercuriale de mars 2008


La légende veut qu'être français mène à l'universalité. Etre breton, en revanche, serait un particularisme.
La réalité est toute autre. La Bretagne, comme toutes les nations insuffisantes, ne respire qu'en se confrontant aux autres. Ces autres, ce ne sont pas seulement les Français. Ainsi, il nous est souvent nécessaire de zapper le niveau France, pour ne pas intercaler un palier inutile entre nous et le monde.
De toutes façons, être français ne nous apporterait pas l'universalité. Un exemple très actuel illustre cette situation.

Après la proclamation de la République Populaire de Chine, en 1949, les Chinois ont entrepris de moderniser leur langue. Ils ont simplifié les caractères de leur écriture. Ainsi, le sinogramme signifiant " femme " ne représente plus désormais une silhouette agenouillée. Cette réforme représente un saut culturel considérable.
Ensuite, ils ont construit un système de transcription entre leurs caractères et l'alphabet occidental. Ce système, appelé pinyin, permet aux alphabets romains d'écrire les mots chinois. En 1977, la troisième Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques a demandé que le pinyin soit adopté comme système international. En 1982, l'Organisation Internationale de Normalisation (ISO) a adopté le pinyin comme système de transcription du chinois mandarin en alphabet romain.

Il est du plus élémentaire universalisme, et du plus élémentaire respect de l'autre, d'adopter les systèmes de transcription que les cultures élaborent elles-mêmes pour s'ouvrir aux autres. D'ailleurs, quasiment tous les pays ont adopté le pinyin comme outil de transcription.
Quasiment tous ? A une exception notable. Les Français ne veulent connaître que le système élaboré par l'Ecole Française d'Extrême-Orient (EFEO) au début du XXème siècle, à partir des travaux d'un jésuite (français, faut-il le dire ?) du XVIIème siècle.

Le Français est langue officielle des jeux olympiques de Beijing. Le nom Beijing a été adopté par tous. La France impose que Beijing, dans les documents officiels en français et contre le reste du monde, soit nommée Pékin.
Comme chacun sait, un des critères du colonialisme est de renommer les choses, les lieux et les individus eux-mêmes. C'est une façon de s'approprier le pays et d'arracher aux habitants leur identité première. En Algérie et ailleurs, les Français ont modifié les noms des villes. Les noms des peuples ont été supprimés, pour laisser la place à de nouvelles appellations. Les Kanaks sont devenus Néo-calédoniens. Plusieurs peuples africains sont devenus Ivoiriens ou Tchadiens. Et les Français s'étonnent, attristés et toujours prêts à intervenir, des difficultés de la décolonisation. Comment pourraient-ils résoudre un problème qu'ils ont créé et dont ils font partie ?
A l'intérieur de l'Hexagone, le processus est le même. Un des points culminants de Bretagne, le Tuchenn Kador, est nommé par l'Institut Géographique National " Signal de Toussaines ". Ce nom n'a ni signification, ni histoire. Seulement une intention meurtrière.
L'université française refuse l'orthographe unifiée (peurunvan) du breton, qui s'est construit progressivement en dehors de sa domination. Elle veut imposer ses propres normes graphiques. Sans grand succès, heureusement.
Revenons à notre histoire chinoise. Elle montre que la mentalité colonialiste française est ancrée au cœur même de leur république une, indivisible, laïque et sociale, bref normative. Le refus du pinyin est assumé par la très officielle Commission Nationale de Toponymie (CNT), composée d'éminents linguistes et géographes. Cette CNT, qui dépend du CNIG (Conseil National de l'Information Géographique) est un organisme gouvernemental.

La commission reconnaît elle-même que l'orthographe Beijing est plus proche de la prononciation locale, bref que le système de l'EFEO n'est pas bon. Mais qu'importe ! Entre l'universalité et la réduction de l'universel à leur propre horizon, le choix français est toujours le même.

Nous le connaissons, ce choix ; et ce n'est pas le nôtre.

JPLM

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Contreculture / Mercuriale 2008_03