Mercuriale octobre 2014

Mon pays avant mon statut social !

          Les pilotes de ligne se mettent en grève au détriment de leur entreprise. 
          Le gouvernement cherche à modifier le champ d’action des professions règlementées, comme les notaires ou les pharmaciens. 
          Voilà deux cas récents qui illustrent la tendance bien française à raisonner en termes de statut professionnel et non d’utilité sociale.

          Le statut professionnel est très différent de l’utilité sociale. Ainsi un pharmacien, dans un village du centre Bretagne, n’a pas la même utilité sociale que le pharmacien d’un beau quartier d’une métropole. Le premier participe fortement à l’aménagement du territoire, au lien social, au maintien de la population locale. Mettre nos deux pharmaciens dans le même sac correspond à une approche corporatiste de l’activité professionnelle.

          Le corporatisme est souvent associé au "poujadisme". Ce mouvement est né et mort dans les années 50. Il regroupait des commerçants et artisans, menacés par les contrôles fiscaux et par la grande distribution naissante. Aux élections de 1956, il a obtenu plus de 2 millions de voix et 52 députés. Le mouvement s'est effondré deux ans plus tard. Le terme de poujadisme sert désormais à désigner un corporatisme étriqué, rejetant toute notion d'égalité, de partage ou de bien commun. Il est en général considéré comme étant de droite.

          L’équivalent à gauche est la référence à la lutte des classes, qui permet de légitimer des intérêts catégoriels sans se préoccuper du bien commun. Il faut néanmoins constater que l’antagonisme de classes tel que le définissait Karl Marx dans son ouvrage "Les luttes de classes en France" ne correspond que rarement aux conflits sociaux actuels.

          L’intégration européenne et la mondialisation ont brassé les professions et les statuts de tous les pays. Qui eut pensé que les droits, quand ils ne sont pas ceux de tout le monde, pourraient devenir le fondement des nouvelles inégalités ? Aujourd’hui, les seuls droits qui méritent d’être défendus sont ceux qui peuvent être généralisés.

          Le corporatisme et ses conséquences désastreuses ont été décrits par Yann Algan et Pierre Cahuc dans leur essai, La société de défiance (télécharger le texte) : « Le corporatisme, qui consiste à octroyer des droits sociaux associés au statut et à la profession, institutionnalise la segmentation des relations sociales. Il crée un enchevêtrement de dispositifs particuliers à chaque corps qui favorise la recherche de rentes et entretient la suspicion mutuelle ».
          Ils poursuivent : « Selon une logique dirigiste et corporatiste qui est devenue la sienne, l'intervention de l'État français consiste généralement à accorder des avantages particuliers à certains groupes, souvent au détriment du dialogue social, du respect des règles de la concurrence et de la transparence des mécanismes de solidarité ».
          Les sociologues mesurent le degré de corporatisme d'un pays par le nombre de systèmes publics de retraite en fonction du statut professionnel. La France se révèle être, après l'Italie, le pays le plus corporatiste sur les 15 pays développés étudiés.

          La France est une institution avant d’être une nation. L’identité des Français est liée à leur statut professionnel ou social avant d’être liée à un peuple ou à une culture. Ce n’est pas le cas pour ceux qui se sentent bretons. Les Bonnets Rouges ont été vus comme un rassemblement hétéroclite, car la référence n’y est pas le bien-être d’une corporation, mais celui d’un territoire et d’un peuple. Les paysans, les transporteurs, les ouvriers, les entrepreneurs se retrouvent ensemble parce qu’ils imaginent un avenir partagé.

          Mon pays avant mon statut social !

JPLM


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