Les pilotes de ligne se mettent en grève au détriment de
leur entreprise.
Le gouvernement cherche à modifier le champ d’action des
professions règlementées, comme les notaires ou les pharmaciens.
Voilà deux cas
récents qui illustrent la tendance bien française à raisonner en termes de
statut professionnel et non d’utilité sociale.
Le statut professionnel est très différent de l’utilité
sociale. Ainsi un pharmacien, dans un village du centre Bretagne, n’a pas la
même utilité sociale que le pharmacien d’un beau quartier d’une métropole. Le
premier participe fortement à l’aménagement du territoire, au lien social, au
maintien de la population locale. Mettre nos deux pharmaciens dans le même sac
correspond à une approche corporatiste de l’activité professionnelle.
Le
corporatisme est souvent associé au "poujadisme". Ce mouvement
est né et mort dans les années 50. Il
regroupait des commerçants et artisans, menacés par les
contrôles fiscaux et
par la grande distribution naissante. Aux élections de 1956, il
a obtenu plus
de 2 millions de voix et 52 députés. Le mouvement s'est
effondré deux ans plus
tard. Le terme de poujadisme sert
désormais à désigner un corporatisme étriqué, rejetant toute notion d'égalité,
de partage ou de bien commun. Il est en général considéré comme étant de droite.
L’équivalent à gauche est la
référence à la lutte des
classes, qui permet de légitimer des intérêts
catégoriels sans se préoccuper du
bien commun. Il faut néanmoins constater que l’antagonisme
de classes tel que
le définissait Karl Marx dans son ouvrage "Les luttes de classes
en
France" ne correspond que rarement aux conflits sociaux actuels.
L’intégration européenne et la mondialisation ont brassé les
professions et les statuts de tous les pays. Qui eut pensé que les droits,
quand ils ne sont pas ceux de tout le monde, pourraient devenir le fondement
des nouvelles inégalités ? Aujourd’hui, les seuls droits qui méritent
d’être défendus sont ceux qui peuvent être généralisés.
Le corporatisme et ses conséquences désastreuses ont été
décrits par Yann Algan et Pierre Cahuc dans leur essai, La société de
défiance (télécharger le texte) : « Le corporatisme, qui consiste à
octroyer des droits sociaux associés au statut et à la profession,
institutionnalise la segmentation des relations sociales. Il crée un
enchevêtrement de dispositifs particuliers à chaque corps qui favorise la
recherche de rentes et entretient la suspicion mutuelle ».
Ils poursuivent : « Selon une logique dirigiste et corporatiste
qui est devenue la sienne, l'intervention de l'État français consiste généralement
à accorder des avantages particuliers à certains groupes, souvent au détriment
du dialogue social, du respect des règles de la concurrence et de la
transparence des mécanismes de solidarité ».
Les sociologues mesurent le degré de corporatisme d'un pays
par le nombre de systèmes publics de retraite en fonction du statut
professionnel. La France se révèle être, après l'Italie, le pays le plus
corporatiste sur les 15 pays développés étudiés.
La France est une institution avant d’être une nation.
L’identité des Français est liée à leur statut professionnel ou social avant
d’être liée à un peuple ou à une culture. Ce n’est pas le cas pour ceux qui se
sentent bretons. Les Bonnets Rouges ont été vus comme un rassemblement
hétéroclite, car la référence n’y est pas le bien-être d’une corporation, mais
celui d’un territoire et d’un peuple. Les paysans, les transporteurs, les
ouvriers, les entrepreneurs se retrouvent ensemble parce qu’ils imaginent un
avenir partagé.
Mon pays avant mon statut social !
JPLM