Retour sur l'écotaxe
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Alors que l’écotaxe a disparu, elle continue à faire parler d'elle,
comme si cette taxe sur les transports éveillait une amertume
insurmontable.
En ces temps de programmes politiques et d’élections,
abordons la question d’une autre façon. A quoi doivent servir les
impôts et autres prélèvements ? Le service public, souvent synonyme de
gratuité, est révélateur d’une conception de la société et d’un axe
stratégique. Un service public est financé par la contribution de tous,
par des impôts, des taxes, des contributions, des redevances. Selon les couleurs
politiques, les uns veulent investir cette contribution collective dans
le maintien de l’ordre et la lutte contre le terrorisme, d’autres dans
les frais médicaux, dans un revenu universel, dans la protection de la
nature, dans des opérations de prestige.
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Derrière les gratuités, des valeurs...
Que
révèle la revendication de gratuité des routes en
Bretagne ? Quelles sont les "valeurs" qui se cachent derrière
cette revendication ? Et, à l’inverse, quelle
société se dessine derrière une taxation des
transports en Bretagne ?
La gratuité des routes…
Par rapport aux grandes revendications universalistes, nous faisons
pâle figure.
"Liberté-égalité-fraternité !" braillent
nos voisins. Ils rajoutent "Aux armes, citoyens !", alors que le port
d’armes est interdit au Français moyen. Ils nous montrent
un tableau représentant une femme brandissant un drapeau
français et ils nous disent que c’est "la Liberté
guidant le peuple". Pour eux, la France, c’est
l’humanité toute entière. La Bretagne, c'est
différent.
Nous autres Bretons sommes un peu dans la
situation des païens, avec leurs dieux nationaux et leurs coutumes
locales, face aux missionnaires chrétiens ou musulmans qui
veulent imposer leur dieu unique. Nous ne cherchons pas à faire
de nos habitudes une éthique universelle, ni de nos croyances
des vérités. Ainsi vivent généralement les
petits pays. Ils ne font pas la guerre pour convertir, seulement pour
se défendre. Ils sont des exemples d’humanité, pas
un modèle universel pour l'Humanité avec un grand H. De
la même façon, chaque espèce animale ou
végétale est un
élément de la biodiversité, et non pas une
personnification de dame Nature.
L'écotaxe
n'était pas un accélérateur vers le camion propre.
Elle était un handicap pour l'activité économique
en réseau. Derrière la
revendication de gratuité des routes portée par les Bonnets rouges se
profile une conception décentralisée de la
société.
Prenons
l’élevage de volailles breton,
qu’il soit bio ou conventionnel. Il faut apporter de
l’aliment aux poules reproductrices (premier transport), dont les
oeufs partent vers le couvoir (deuxième transport). Du couvoir
sortent
les poussins qui sont acheminés vers les poulaillers
d'engraissement
(troisième transport). Là, les animaux doivent être
nourris (quatrième transport). Les élevages
reçoivent aussi les services techniques, les produits
d’hygiène, les litières (cinquièmes
transports). Les poulets sont envoyés à l’abattoir
(sixième transport), puis les carcasses sont envoyées
à l’atelier de découpe et de conditionnement
(septième transport). Les produits finis sont
acheminés vers la centrale d’achat (huitième
transport) qui les distribuent aux magasins (neuvième
transport). Le consommateur prend sa voiture pour venir faire ses
achats (dixième transport). L'écotaxe aurait conduit
à des concentrations autour du capital. Celui-ci n'est pas entre
les mains des agriculteurs.
L’équilibre des
territoires passe par un réseau routier conçu comme un
service public. La production non agricole procède de la
même logique. Soit elle se fait dans d’énormes sites
industriels ou tous les processus de fabrication sont
concentrés. Soit elle passe par des PME qui répartissent
le travail et la richesse sur tout le territoire. Si le transport
routier local est taxé, la logique économique imposera le
modèle concentrationnaire. L’élevage familial
n’aurait aucune chance devant la ferme des 10 000 vaches qui
intègrera l’aliment du bétail, la production, les
services techniques, la laiterie, l’atelier d’engraissement
des veaux, l’abattoir, l’usine de transformation. La petite
entreprise ne survit que dans un environnement de routes.
Concentrations et déracinements
La taxation des
transports routiers locaux favorise aussi la concentration des
consommateurs. Une utopie qui se veut écologiste fait la
promotion de l'agriculture urbaine et du "sky farming". Le sky farming,
c’est la concentration de la production agricole en hauteur, dans
des tours végétalisées. La production
végétale se ferait sans terre, en hydroponie. La
production animale serait elle aussi hors sol. La biomasse serait
utilisée pour la production d’énergie et de
molécules utiles. La production alimentaire se ferait au sein
même des métropoles, à proximité de la
consommation. Le lien entre agriculture, économie et territoire
est cassé. La nature, c'est-à-dire l'espace hors des métropoles, serait ainsi libérée de l’emprise humaine.
Les technocrates et les hommes (ou les femmes)
de pouvoir s’intéressent fortement au sky farming et
à l’agriculture urbaine. Tout y est
déraciné, hommes, animaux et plantes, donc plus facile
à manipuler. Aucune appartenance, pour rien ni personne, Aucun
lien avec la terre, avec le passé, avec l’espace-temps. Un
seul écosystème, artificiel et administré, pour
les humains : la ville. L’argument écologique fait passer
en contrebande une pensée totalitaire.
Une revendication est liée
à une vision du monde. Une taxe aussi. Dans une
société décentralisée économiquement
et politiquement, le transport routier local est une
nécessité et un axe stratégique.
JPLM
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