Mercuriale de mai 2019


Le climat, dieu tout puissant

         Climat
             
         
 Quand j’étais enfant, on m’a enseigné l’existence d’un Dieu tout-puissant. Habituellement débonnaire, il se mettait en colère quand les hommes n’obéissaient pas à ses envoyés. Son message était néanmoins un message d’amour et de fraternité. A la fin des temps, il viendra juger les vivants et les morts. J’ai cru à ce message.
          Plus tard, j’ai appris qu’il existait une entité toute-puissante, le peuple. Il se manifestait, soit par sa colère, soit par sa participation au seul régime politique acceptable, la démocratie. A gauche, le peuple se nommait prolétariat, ou les travailleurs, et portait un message de justice sociale. L’histoire aboutirait inéluctablement à une révolution, qui verrait le message se réaliser. J’ai cru à ces paroles de démocratie et de justice.
          Aujourd’hui, des nouveaux missionnaires m’enseignent l’existence d’une entité toute puissante et colérique, qu’ils ont appelé climat. Cette entité, comme les précédentes, peut déclencher un renversement : une fin du monde, une apocalypse, une révolution mondiale. Dois-je encore y croire ? Cette fois-ci, pas d’amour, pas de justice, pas de jugement dernier, pas de séparation entre le bien et le mal, entre les bons et les méchants.
          Faut-il, toujours et encore, se prosterner devant une toute-puissance colérique ? Dois-je faire partie des disciples qui vibrent de foi, des bigots qui se prosternent, ou des prêtres qui en vivent ? Dois-je, pour être reconnu comme humain, être du bon côté de la Force ? Suis-je coupable si je me révolte, ou si simplement je passe mon chemin ? Culpabiliser l'autre est, je le sais, une stratégie efficace dans les luttes de pouvoir. Les bons, les fidèles, les obéissants d’un côté ; les méchants, les incroyants et les impies de l’autre.
       Dieu apportait l’amour, le peuple-prolétariat-travailleurs apportait la justice. Les deux apportent l’espoir d’un salut individuel et collectif. L’espoir allège la contrainte. Au climat tout-puissant, il manque une sotériologie.
Les combattants du climat parviendront t’il à fonder un empire mondial aussi prestigieux que le christianisme ? J’en doute fortement. Je doute même qu’ils atteignent le niveau de puissance qu’a atteint le socialisme au XXe siècle.

          Ils se réclament de l'écologie. Remontons le temps, cela nous offrira une perspective sur ce mouvement. L’écologie a commencé avec les naturalistes. Ils connaissaient et respectaient la nature. Ils dialoguaient avec les paysans à propos des pratiques agricoles. D’autres nettoyaient les rivières en association avec les pêcheurs.
         Puis la pollution est devenue le problème central. Les naturalistes ont progressivement cédé la place à des penseurs et à des militants politiques. La nature était une réalité à préserver ; elle est devenue une revendication. L’anti-pollution s’est cristallisée sur la haine du nucléaire. Puis elle a désigné des ennemis diaboliques, "Monsanto", "glyphosate", "nitrates", incarnations d’un mal absolu. Face aux diables, on ne discute pas, on ne réfléchit pas. On ne lâche rien, comme disent les immobiles. La solution, quand l'esprit stagne, est l’exorcisme et la chasse aux sorcières. Le mélange d’activisme et de paresse intellectuelle est nommé communément extrémisme. Mais l’extrémité de quoi ?
          L’écologie politique, dans son combat contre le mal, a donné récemment naissance à des nouveaux courants d'apparence religieuse. L
e climatisme est adoration d’une toute-puissance, celle de la Température. L’antispécisme est sacralisation de la Vie -limitée aux animaux supérieurs, il ne faut quand même pas exagérer-. Les contradictions fondamentales entre ces différents courants apparaissent. Récemment, un boucher bio a été agressé par des antispécistes. Entre l’anti-pollution et le climatisme, l'écart devient visible. Le diesel pollue, mais produit moins de gaz à effet de serre que l'essence. Pour corriger l’irrégularité des énergies renouvelables, l’industrie nucléaire est désormais tolérée pour sa faible influence sur le climat par rapport aux centrales à gaz.

          Les naturalistes des débuts observaient le singulier et se méfiaient des généralités. Ils observaient, non pas la plante-en-soi ou la rivière-en-soi, mais l’orchidée sauvage sur le chemin de Rosnoën, ou la rivière Elorn du côté de Roc’h Morvan.
          Quand je me promène sur la route de Rumengol, je m’extasie devant le jaune des pissenlits et la verdeur d’un champ de blé en herbe. Certains grillons se taisent quand un camion passe, mais pas tous. Ce monde étonnant et incontrôlable n’existerait pas avec des pissenlits universalisés, du blé théorique ou des grillons conceptuels. A mes yeux, les singuliers ont précédence sur les concepts qui les englobent, qui les enchaînent, qui les dévitalisent.
          Dieu, le peuple, le climat, armés de leur toute-puissance, seraient-ils des extrémités, des impasses au fond desquels la jeunesse s’immobilise, avant de faire marche arrière vers les réalités singulières ? Des extrémités où se complaisent les "extrémistes", aux muscles forts et aux cerveaux engourdis, baignés du soleil de l’abstraction et de l’universel.
         
           Einstein disait que l'artisanat sauverait l'humanité. Rajoutons y les petites nations. Elles n'ont pas de prétention à l'universalité. Bienheureux les artisans, les naturalistes et les Bretons.

JPLM

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