Mercuriale de décembre 2008


          Au moyen-âge, la ville était le lieu des échanges de marchandises et, par là même, des échanges culturels. La production se faisait essentiellement dans les campagnes. Non seulement la production agricole, mais tout autant les tissages que les ateliers métallurgiques s'éparpillaient sur le territoire. Le pouvoir politique s'organisait autour de la personne du roi. Celui-ci a souvent été un nomade, passant d'un château à l'autre, se plaisant sur les bords de la Loire puis à Versailles. Il faudra attendre la révolution française pour que ce nomadisme disparaisse et que le pouvoir politique se fixe à Paris.
      Jusqu'alors, les sociétés occidentales étaient avant tout des sociétés rurales. La révolution industrielle du XIXème siècle a cassé cet équilibre séculaire. La production de marchandises s'est concentrée, provoquant une concentration des populations. En un siècle, le nombre de villes de plus de 100 000 habitants est passé de 2 à 50 en Grande-Bretagne, de 2 à 47 en Allemagne, de 3 à 15 en France. La révolution industrielle a accentué l'hégémonie de la ville. Lieu du commerce, des échanges culturels, du pouvoir politique, elle est devenue aussi le lieu de la production matérielle.

       La mondialisation impulsée par la révolution industrielle a bousculé les structures sociales, les cultures et les modes de vie. En France, la réaction politique a été le raidissement sur l'État-nation. Celui-ci s'est donné pour la mesure de tout, contre toute autre échelle de valeurs comme l'argent, la religion ou la diversité des traditions. Le nationalisme ou le républicanisme d'alors se sont identifiés à un étatisme farouche, unificateur, centré sur la ville capitale. Le communisme, réaction sociale, a accompagné cette réaction politique. Il n'a pas remis en cause le machinisme, ni la révolution industrielle, ni l'État-nation. Il a exploité les nouvelles divisions sociales comme un levier planté dans la réalité vécue.

         La première révolution avait bouleversé un monde qui organisait la pénurie et l'inégale distribution des marchandises. Nous vivons aujourd'hui une deuxième révolution, qui bouleverse un monde organisé sur la rétention des connaissances.
          Comme tous les changements profonds, celui-ci engendre des détresses sociales véridiques. Mais la crispation sur l'ancien monde n'ouvre aucun horizon. Le républicanisme français, autrefois révolutionnaire, est désormais réactionnaire. Il refuse toute évolution de l'État-nation centralisé. Il imagine que le temps peut faire marche arrière, et que l'État peut retrouver l'autorité qu'il avait sous la IIIème République. Il se gorge de grands mots pour justifier son refus des avancées socio-culturelles.

      Comme le communisme avait accompagné la révolution industrielle, le communautarisme accompagne la révolution numérique. Il ne s'oppose pas aux nouvelles technologies, loin s'en faut. Il répond à leurs dévoiements par la constitution de tribus électives. Celles-ci défient la propriété intellectuelle comme les communistes s'attaquaient à la propriété industrielle. Des communautés d'informaticiens créent et diffusent des logiciels libres. Des communautés de victimes du SIDA contestent la propriété intellectuelle des laboratoires pharmaceutiques et bientôt fabriqueront des médicaments génériques. Des communautés éphémères de touristes lancent des appels d'offres auprès des voyagistes. Les adolescents se moquent de la propriété intellectuelle des artistes de variétés. La richesse se dématérialise ; les conflits autour de la richesse se déplacent d'autant.
            Les armes utilisées par les francs-tireurs de la révolution numérique ne sont plus les mêmes que celles qu'utilisaient les avant-gardes ouvrières de la révolution industrielle.

            Les observateurs de la révolution numérique analysent la phase actuelle, le web 2.0, comme la profusion des interactions entre les personnes. Ils prévoient l'arrivée du web 3.0, où l'interaction se fera massivement avec les objets. Ils confirment les intuitions de MacLuhan concernant la fin de la tyrannie des organisations administratives et industrielles. Les tribus électives permettent de concilier la soif de communion entre individus et l'appétit de libération.

            Pour le nationalisme breton, l'avenir n'est plus seulement dans la revendication d'un État-nation, d'une république bretonne. Cette revendication correspond au monde né de la révolution industrielle. L'avenir réside aussi dans la Tribu-nation, qui correspond à la révolution numérique.
         La Bretagne dématérialisée peut rassembler une tribu quasi-mythique. Ni sa culture ni son histoire n'alourdissent l'esprit ; Elles lui apportent néanmoins leurs vitamines. Le cadre breton est trop petit pour entretenir l'illusion d'un isolement possible ; la tribu bretonne ne peut se replier sur elle-même. En revanche, l'héritage est suffisamment ancien et riche pour que s'épanouissent des imaginaires colorés et des projets collectifs.
        Que l'on proclame "indépendance !" ou "autonomie !", la Bretagne se cherche un statut plus réjouissant que son statut régional actuel. Tant que le village global n'a pas supplanté les États-nations, nous n'avons aucune raison d'abandonner ces revendications qui, de toutes façons, nous font vibrer.
           Mais l'avenir se redessine tous les jours. Contrairement à ce que disaient les avant-gardes d'hier, il n'existe pas d'horizon indépassable. La révolution numérique offre de nouvelles voies d'épanouissement. Nous n'avons nul besoin de renier l'ancien nationalisme, nul besoin de tuer le père. Nul besoin non plus de jouer, comme le font les vieux militants perdus, à l'humaniste sensible ou au citoyen préoccupé. Il nous faut seulement écarter ceux qui nous verrouillent le cerveau, et embrasser le monde à notre manière.
JPLM

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Mercuriale novembre 2008