MERCURIALE DE SEPTEMBRE 2009


            Être Français, pourquoi pas, si c’est pour participer à une aventure collective ?

           C'est sans doute ce que ce sont dit beaucoup de Bretons en 1789, lors du grand frémissement révolutionnaire. La Bretagne était alors province réputée étrangère. Elle en avait connu bien des inconvénients, mais peu d'avantages. Alors, être Français, pourquoi pas ?
         Aujourd'hui, nous savons que la France n’est pas une aventure collective. Le mot France est tellement lié à niveau de vie, sécurité, patrimoine, modèle républicain, et à tout un vocabulaire de rentiers, que les envolées citoyennes sonnent vides et faux. Interrogez ceux qui se disent républicains en France ; dans le fond, ils ne diffèrent pas de leurs homologues américains. Georges Bush avait proclamé "le mode de vie américain n’est pas négociable". Le républicain français nous sort régulièrement des perles du même métal à propos du "modèle français".

            L’aventure de la République une et indivisible n'était que le prélude au bétonnage napoléonien. Celui-ci a fusionné les apports monarchiques et révolutionnaires. Il a fondé une culture politique particulière, que l'on nomme aujourd'hui républicaine, sur une problématique de l’autorité et une mystique de la citoyenneté. Cette problématique et cette mystique sont un héritage des Lumières. Fini les inégalités, fini l'incertitude, fini le désordre. Il y a deux siècles, l'enthousiasme aidant, Condorcet affirmait que la raison libérerait l’homme de l’empire du hasard. Il y a un siècle, Max Weber exprimait la même idée, mais sans enthousiasme. Selon le sociologue allemand, la rationalisation sans limite fait évoluer les organisations humaines vers la bureaucratie. Aujourd'hui, les technocrates et les bureaucrates parisiens nous gonflent. Surtout quand ils se veulent les porte-paroles d'une Raison qui n'est pas la nôtre. Ainsi vont les Lumières.
            Autrefois, le républicain était l'adversaire du royaliste. Aujourd'hui, aux USA comme en France, il est l'adversaire du démocrate. Ce qui sépare nettement le républicain du démocrate est un nouveau droit de l'homme : le droit à l'identité. Le républicain n'est pas forcément opposé à son principe. Mais il en refuse l'application dans son pays. Les nécessités de l'alignement citoyen est le grand argument qu'il oppose au droit à l'identité.
          Aux USA, la sensibilité démocrate fleurit à partir de la valeur Liberté et non de la valeur Raison. Les démocrates américains entretiennent une problématique du changement et une mystique de l’initiative. Ils se reconnaissaient, avec Kennedy il y a quarante ans, dans une ferveur partagée pour la conquête de la Lune. Aujourd’hui, avec Obama, ils communient dans l’idéal du gendarme mondial, dispersant de façon plus ou moins bonasse les perturbateurs planétaires.
            Les Bretons ne sont pas des Américains ; à nous de construire notre propre culture démocrate. En France, cette sensibilité a émergé aux dernières élections européennes (voir mercuriale de Juillet 2009).

          Revenons à l’histoire de France. Les révoltes de 1848 et surtout la Commune de 1871 n’étaient pas des aventures françaises, mais seulement parisiennes ; nous autres Bretons en étions exclus. Tout au plus dans les grandes villes, que ce soit Nantes ou Toulouse, y eut-il des tentatives d'imitation, peu convaincantes, facilement réprimées. Cela fait maintenant longtemps que les anciens slogans de 1789 ne sont plus que ceux d’une culture républicaine qui prétend au monopole.  République une et indivisible se confond avec Autorité de l’Administration, remarkété en Défense des services publics.
        L’idée de services publics régionaux, locaux ou coopératifs, dans l’Education par exemple, se heurte chez les républicains français à une incompréhension qui en dit long sur la confusion qu'ils entretiennent entre les notions de peuples, de nations, de république, d'État. A qui profite cette confusion ? En tête du cortège se démènent des énarques et des politiciens ambitieux, qui défrichent patiemment leur route vers le pouvoir central. Ils manipulent une troupe d'anciens élèves de l'école primaire, gavés de cours d'instruction civique. Derrière eux se traînent tous ceux dont l’identité est si falote qu’elle ne peut s’accrocher qu’aux reflets d’une autorité disparue.
           Cette agitation n’a rien d’un mouvement émergent. C’est une fièvre typiquement républicaine et française, dans un monde qui se prépare à une révolution démocrate.

       Les révolutions s’attaquent, non pas à des inégalités, mais à des privilèges. Celle de 1789 s’est attaquée aux privilèges aristocratiques. Ce n’était pas l’insurrection des pauvres contre les riches. Elle était menée par des bourgeois, qui savaient gérer l’argent, faire des affaires, entreprendre. Ils étaient souvent plus riches que les petits hobereaux et les paysans qu’ils menaient à la guillotine. Quarante-cinq pour cent des sans-culottes parisiens étaient des maîtres-artisans, et la plupart d’entre eux employaient des ouvriers (Voir Bastille). Ces hommes se sentaient généreux. L’argent ne leur apparaissait pas comme un privilège ; à leurs yeux, avec de l’énergie et de la vertu, tout le monde pouvait y accéder.
          Le moteur de la révolution à venir est le savoir, la mémoire, la culture. L’attaque se porte contre les privilèges du capital financier et de la propriété industrielle. Le concept "open source" s'étend à d'autres domaines que le logiciel. Pas plus qu’en 1789, la classe qui veut le pouvoir n’est celle des pauvres ou celle des exploités. Elle rassemble ceux qui sont conscients de posséder un savoir. Cette classe n’est pas satisfaite de la place qui lui est accordée dans la société. Elle se sent généreuse. Le savoir ne lui apparaît pas comme un privilège ; à ses yeux, tout le monde peut y accéder.

           Comme les bourgeois de 1789, cette classe se surestime sans doute. Mais, aujourd’hui, elle exprime ses ambitions. Demain, elle dictera ses lois. Les nationalistes bretons en font partie, d’une certaine façon : ils explorent depuis longtemps les chemins qui mènent de la mémoire au pouvoir. Comme le judoka qui est dans le mouvement et exploite l’élan adverse, ils devraient pouvoir en profiter. Il leur faut trouver les bons appuis, les bons gestes, les bons alliés.
     
              Dans un tel contexte, la tentation être Français, pourquoi pas ? laisse place à l’interrogation être Français, pourquoi faire ? 
     
JPLM

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Mercuriale septembre 2009