MERCURIALE DE JANVIER 2010
En France, la diversité se vit de
façon particulière, en lien avec l'identité
nationale. Tolérance
et intolérance, racisme et antiracisme sont ici, d'abord,
des questions d'apparences. Le dernier rapport annuel du CSA (Conseil Supérieur de
l’Audiovisuel) apporte sur ce point
un éclairage significatif.
"La méthode, validée par l'Observatoire [de la
diversité audiovisuelle], consiste à indexer, dans chaque émission, toutes les personnes et
tous les personnages qui apparaissent à l'écran et qui s'expriment, quelle que
soit la durée de cette apparition.
Cette indexation des personnes se fait sur la base de trois
marqueurs sociaux apparents :
- les « professions et
catégories socioprofessionnelles » (PCS) de l'INSEE ;
- le genre masculin ou
féminin ;
- les marqueurs
d'ethno-racialisation.
C'est sur cette base relative à la
perception de la diversité qu'ont été indexés les personnes et personnages
apparaissant à l'écran. Les individus décomptés sont ainsi "vus comme
noirs", "vus comme arabes", "vus comme
asiatiques", "vus comme blancs". Dans la mesure où l'étude
vise à mesurer le ressenti du téléspectateur par rapport à la représentation de
la diversité, cette approche, qui se différencie d'un recensement sur la base
de catégories définies, n'a pas suscité de polémique. "
Au
delà de la diversité des apparences, la norme est l'alignement sur le critère
majoritaire. Depuis 1992, la Constitution
française a
inscrit dans son article 2 : "La langue de la république
est le
français". Deux ans plus tard, la loi Toubon impose
l’utilisation du français. Le monolinguisme est la
règle. Par défaut le
multilinguisme est toléré, mais le
bilinguisme est l'ennemi désigné. Or le bilinguisme est la situation des
langues dites régionales. Le CSA, cité plus haut, est
chargé de contrôler l'application de la loi Toubon dans le
domaine de la communication audiovisuelle. Diversité sur les
apparences, uniformité au delà.
Curieux peuple,
toujours prêt à donner des leçons
d’ouverture d’esprit, mais qui ne
voit dans la diversité que des
différences extérieures. Il s’intéresse aux
"marqueurs", et non à
ce qui est marqué. Sa conception de la tolérance est
proche de sa
conception de l’intolérance. Son antiracisme est proche de
son racisme
ordinaire. Il prend position sur les apparences. Ce
n’est pas une éthique ; c'est une esthétique des
goûts et des couleurs.
La vraie
diversité n’est pas cette conception française
consacrée par le CSA. La diversité, c’est ce que
j’apporte à l’autre et ce qu’il
m’apporte.
Ce n’est pas la pigmentation d’un épiderme. Une
telle diversité
s’accepte ; elle ne se partage pas. Les diversités les plus fécondes sont celles qui se
partagent. Ce sont des visions du monde, des expressions linguistiques,
culturelles ou spirituelles, des approches scientifiques, des usages. Accepter
les apparences n’est qu’un préalable. Et ce premier pas est finalement de peu
d’importance si le second est interdit par les principes de la république.
Ces principes, qui conseillent le premier pas et interdisent
le second, se réfèrent toujours à la Constitution de 1958. Ils sont au nombre
de trois. La France les met en avant, devant les Bretons mais aussi devant les
institutions internationales, pour justifier son refus des nouveaux droits
fondamentaux liés à la diversité. Ce sont (1) l’indivisibilité de la
république, (2) l’égalité de tous devant la loi, (3) l’unité du peuple
français.
Les institutions internationales
ont répondu assez largement aux
arguments français. Au Parlement européen, ce fut en
particulier lors des discussions concernant la
Convention-cadre sur les minorités nationales. La
France refuse de signer cette convention, mais l'impose aux nouveaux
entrants. Elle refuse l'entrée de la Turquie, entre autres
arguments parce que Turcs refusent d'appliquer la Convention-cadre
à leurs minorités nationales, ce qui est paradoxal. Le
Comité des droits
économiques, sociaux et culturels
(CESR) de l’ONU a démontré à la France que
l’égalité devant la loi ne
permet pas toujours d’assurer l’égalité de
jouissance des droits de l’Homme. Le
progrès des droits fondamentaux est entravé par ceux qui
s'en veulent les gardiens. Le jardinier, a trop vouloir conserver la
jeune plante telle qu'il l'a connu par le passé, l'empêche
de fleurir.
Face à la
réalité de la mosaïque, la France répond par
le métissage. Le but reste le même ; c’est
l’alignement au bout
du chemin. Le métissage correspond à un idéal
d’uniformité. Pour assurer l'indivisibilité, l'égalité et l'unité, la
minorité devra se fondre dans la majorité. Celle-ci en retiendra quelques recettes de cuisine, couscous ou
kig-ha-fars, tolèrera un accent provincial ou banlieusard, s'amusera de nos expressions
imagées.
La France
gère la diversité de la même façon
qu’elle gère sa
dette publique. Elle ne peut empêcher sa prolifération
mais, pour affirmer son
autorité, elle légifère aux marges. Chez les
républicains de droite ou de gauche, c'est à qui sera le
plus ferme sur des sujets marginaux comme la burqa. Les débats
et surenchères démontrent
qu'ils considèrent la diversité comme un
handicap à surmonter, et non comme une
ressource.
Le refus de
gérer la diversité comme une ressource fait
partie des principes laïques et républicains. On rejette
les différences
individuelles et collectives dans la sphère privée. On
s’étonne ensuite que les solidarités
les plus authentiques naissent et s'expriment hors de la sphère publique.
Qui en pâtit le
plus ? Ceux qui ont hérité d'une langue "régionale", car une
langue est faite pour s'exprimer publiquement. Ce sont aussi les musulmans. L'islam est moins
individualiste que les religions chrétiennes actuelles, et se refoule moins
facilement dans la sphère privée. Cette religion cumule les signes
extérieurs de
reconnaissance : voile ou foulard, non-consommation de porc,
Ramadan,
bilinguisme, sans compter les "marqueurs ethno-raciaux", comme le
dit le CSA.
Les solidarités
collectives prospèrent hors des
cadres définis par les machines administratives. Au
dix-neuvième siècle, en Europe, ce furent
les classes sociales. La révolution bourgeoise de
1789 a bâti la machine administrative de
l'État-nation. Les partisans de la lutte de classes
ont été
les premiers commun(autar)istes, conscients de leur transgression
révolutionnaire. Aujourd'hui, les héritiers de cette ancienne
solidarité sociale ont régressé. Ils en sont revenus à 1789, et
nombreux sont ceux qui nous gavent de "citoyenneté" et de
"citoyen". L’autorité de l’État et la
Constitution sont devenues leurs
tristes références.
La réponse au "vivre ensemble" réside dans la gestion de la diversité
comme une ressource. La gestion de la bio-diversité comme une ressource répond au
"vivre encore". Les valeurs laïques et républicaines
françaises sont inadaptées pour penser et surmonter les défis
actuels.
JPLM
Mercuriale janvier 2010