MERCURIALE DE MAI 2010


(Suite de la mercuriale d’avril 2010)
 
            Une femme en burqa, nantaise (donc bretonne), se fait verbaliser de 22 euros pour "circulation dans des conditions non aisées". Cela fait penser aux provocations des autonomistes bretons d’après-guerre, stigmatisés et isolés, comme Gérard Toublanc, qui se faisaient verbaliser volontairement et passaient en procès en demandant l’application du Traité de 1532...
            Telles les fleurs de bruyère qui s'épanouissent sur la tourbe, les valeurs laïques et républicaines étincellent au-dessus de cette affaire. C’est à qui sera le plus courageux. Le Ministre de l’intérieur, en charge du socialement correct, s’insurge contre le politiquement correct du journal Le Monde. Des milliers de lecteurs de gazettes étalent leur fibre résistante face à l’obscurantisme musulman et au terrorisme mondial. Ils oublient que les vrais résistants sont des rebelles ; ils vivent dans l’illégalité, ils prennent des risques. Le nouveau résistant français est, à l’inverse de son modèle, un admirateur des lois répressives. Il veut les renforcer. Il ne veut rien changer à ses horizons et à ses mythes personnels.
 
            L’interdiction de la burqa se présente comme une attaque frontale contre une cible dont la réalité n’est pas vérifiable. Selon les enquêtes données en pâture au public, le nombre de femmes en burqa varie de 370 à 2000. La nantaise voilée devient au gré des révélations une arrogante capable de tenir une conférence de presse ou une pauvre femme battue. Le mari est traité par la presse de terroriste, de polygame, d’escroc. Il joue un rôle écrit visiblement pour lui. Mais écrit par qui ?
            Le phénomène s’inscrit dans ce que les sociologues anglo-saxons appellent moral panic, ou phobies collectives. Les personnes ressenties comme menaçantes sont des folk devils, des désignés-exclus. Les Juifs ont été les victimes les plus constantes de ces phobies collectives. Il y eut aussi, selon les lieux et les époques, les sorcières, les protestants, les catholiques, les homosexuels, les communistes. Les caractéristiques du phénomène sont connues : le consensus populaire, la disproportion entre le risque réel et le remède proposé, la volatilité du phénomène.
            Voila donc un ennemi, un désigné-exclus. Celui que l'on désigne correspond (trop) bien à celui que l'on exclut. De la même façon, le Big Brother du livre "1984" de Georges Orwell offrait-il à la haine de sa population l’ennemi permanent Emmanuel Goldstein. Aujourd'hui, il désignerait un nommé Mohammed.
            En pointant cette affaire de burqa associée à la polygamie et à la fraude, le gouvernement et les médias organisent la frustration républicaine. A terme, cette frustration devrait avoir pour conséquence un rassemblement autour des courageux combattants de première ligne : le ministre de l’intérieur, le gouvernement, le parti au pouvoir.
 
            L’ouvrage chinois intitulé "Les trente-six stratagèmes" évoque ce type de stratégie sous le nom de "L’avancée secrète vers Chencang". Le chef de guerre lance une fausse attaque dans une direction alors que la véritable offensive se joue ailleurs. Le mouvement de diversion est une attaque frontale ; elle dissimule la manœuvre secrète ainsi que la cible visée. Dans L’art de la guerre, Sun Tzu décrit la même pratique :"Usez généralement des forces directes pour engager la bataille, et des forces indirectes pour emporter la décision.(…) Attaquez à découvert, mais soyez vainqueur en secret. Voilà en peu de mots en quoi consiste l'habileté et toute la perfection même du gouvernement des troupes." 
Sauver la race                         L’objectif du gouvernement n’est pas d’interdire la burqa ou de lancer une moral panic, dont les conséquences ne sont pas maîtrisables. C’est de réaliser une O.P.A. sur le républicanisme et sur la laïcité. L’opération d’annexion est jouable.
                    En France, républicanisme et nationalisme ne se confondent pas. Ils ont cependant des connivences. Le nationalisme français, né avec la Révolution de 1789, est passé de gauche à droite après la guerre de 1870. Il s’est installé durablement à l’extrême-droite, dans sa version conservatrice et nostalgique. Mais il est reparu à gauche au cours des années 1930, au sein du Parti Communiste. Il correspond au triomphe de la stratégie du "socialisme dans un seul pays", que Staline défendit contre Trotsky. Ce fut, plus tard, le sauvetage du communisme par le patriotisme grand-russe, exalté lors de l'invasion allemande.
            Le nationalisme français de gauche, prenant les Jacobins de 1793 comme figures tutélaires, est passé par le stade patriotisme pendant la guerre 39-45, puis s’est affiché comme républicanisme. Le culte de la République s’est différencié du culte de la nation, contrairement à d’autres pays. Le coin qui permettait de séparer les deux notions a été la laïcité. Le nationaliste est prêt à tuer et mourir pour la France éternelle, chrétienne de préférence. Le républicain est prêt aux mêmes extrémités pour la France laïque, patrie des Droits de l’Homme.
            Durant l’après-guerre, le parti Communiste a cultivé sa sensibilité républicaine avec un soin jaloux. Ses élus associent systématiquement les deux termes, communistes et républicains. A la fin du XXème siècle, la crise économique a croisé la chute du bloc soviétique. La tentation de repli national a fusionné avec la fiction d'une nouvelle virginité idéologique. Le républicanisme français de gauche s’est dilaté et a débordé les frontières du Parti Communiste. Il a émergé à travers des personnalités du Parti Socialiste comme Jean Pierre Chevènement et certains groupes d’extrême gauche comme Lutte Ouvrière et le Parti des Travailleurs. Il a adopté pour bannière l’antilibéralisme.
            Le centre de gravité de l'antilibéralisme français est le PC. Celui-ci n'a plus les moyens matériels et humains de défendre ses valeurs, républicanisme et laïcité, contre les prédateurs. Sa culture politique présente des défauts bien connus : rapports de forces permanents, croyance en une vérité sociale de type scientifique, querelles byzantines autour de questions théoriques ou historiques. Cette culture d’arrogance a empêché et empêchera longtemps encore que se constitue en France une force antilibérale unifiée. Cette faiblesse rend une O.P.A. possible sur le républicanisme et sur la laïcité. M. Mélenchon l'a tentée mais ne semble pas l'avoir réussie. 

 
            La droite au pouvoir se cherche des références, des valeurs. Le management par les valeurs est à la mode. L'aspiration à la liberté, à l'égalité ou à la fraternité, chez un peuple qui vieillit, n'est plus aussi sensible. Quelles sont les valeurs de repli ?
           Depuis la guerre 39-45, le courant libéral s’est amplifié. Sous son influence, la droite gouvernementale s'est éloignée du nationalisme traditionnel, surtout à partir des années 70. Le retour apparaît périlleux. Les nationalistes, délaissés et humiliés, n'aiment pas les libéraux. Le débat sur l’identité nationale a montré que la droite modérée aura du mal à arracher à l’extrême-droite, devenue autonome, la référence à la nation.
            Reste à récupérer la référence à la république. En France, celle-ci est indissociable de la référence à la laïcité. Jusqu’à présent, la laïcité n’était pas contestée. Elle n’évoluait donc pas. Elle en était restée à la Troisième République, prétentieuse, centraliste, unificatrice ; opposée à l’autonomie bretonne. Aujourd'hui, la référence aux valeurs laïques est devenue un enjeu électoral pour récupérer une masse frileuse et qui n'est plus chrétienne. Ecartelée entre des intérêts opposés, la laïcité à la française ne sait plus ce qu'on lui demande : tolérance ou intolérance, ouverture ou fermeture, raideur ou souplesse. Alors qu'elle est inscrite dans la Constitution, elle cultive une paranoïa de persécution. Elle se radicalise, comme en témoigne le succès du site Riposte Laïque.

            Le combat s’apparente désormais au judo plutôt qu’à l'assaut d'une forteresse. La laïcité a été aiguillonnée par l'islam. Elle s'agite. Elle titube. D'aucuns cherchent à en prendre le contrôle. C’est aux stratèges de l’autonomie bretonne, qu’ils soient de droite ou de gauche, de trouver la meilleure clé pour neutraliser cet adversaire de nos libertés.
JPLM

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