MERCURIALE DE SEPTEMBRE 2010

          Le saviez-vous ? Il existe en France une écologie républicaine.
            Elle était manifeste dans l’agacement affiché par Yann-Artus Bertrand devant le bilinguisme breton. On voit par là qu’un apôtre de la biodiversité peut être un partisan de la monoculture. On connaît aussi la réticence d'élus écologistes nantais à reconnaître la dimension historique de la Bretagne. Les systèmes administrés par la république française ont précédence sur les écosystèmes.
            Les grands médias parisiens bruissent de cette écologie. Les télévisions d’Etat, service public et républicain oblige, en sont les fers de lance. Quel animateur sera le plus virulent pour désigner les pollueurs ? Quelle vedette interpellera les autorités publiques avec le plus de brio ? Qui donnera les chiffres les plus percutants ? Regardez-moi, téléspectateurs, je suis Robespierre, je suis Saint-Just ! Les émissions dénonciatrices font de l’audience. Elles nous permettent de dessiner les contours de l’écologie républicaine. Elles tracent les limites qu’elle s’impose et, surtout, qu’elle nous impose.
 
            Récemment, une émission-phare s’attaquait à la fois au problème des algues vertes en Bretagne et à la pollution en baie de Seine. Il est pertinent d'aborder sur plusieurs fronts les problèmes écologiques du littoral. Toutefois, les deux sujets sont traités de façons complètement différentes. Et cette différence est révélatrice de l’idéologie française appliquée à l’écologie.
            En ce qui concerne les algues vertes, l’investigation remonte immédiatement vers les pollueurs. Les fonds littoraux sont pollués par le phosphore. Les scientifiques considèrent que cette bataille est perdue. Il est impossible de faire baisser les taux de cet élément au dessous du seuil de prolifération des algues. Par conséquent les ménages et les agglomérations, grands pourvoyeurs de phosphore dans les cours d’eau, ne font plus partie des axes d’amélioration. Ils sortent de la liste de ceux que l’on peut dénoncer utilement.
            Restent les nitrates. Le taux pourrait être rabaissé au dessous du seuil de prolifération des algues, sous réserve d’efforts importants de la part d’une catégorie socio-professionnelle. Il faut passer en dessous de la barre des 15 ou des 10 mg/l dans les eaux littorales. Sur certains bassins versants, ce taux implique, non pas l’arrêt de l’agriculture intensive, mais de l’agriculture tout court et aussi du peuplement humain. Seuls les agriculteurs semblent être en mesure de faire baisser le taux de façon significative. Ils sont donc responsables et dénoncés publiquement à ce titre.
            La pollution en baie de Seine affecte les poissons et les fruits de mer qui sont pêchés sur zone. Ici, ce sont les professionnels de la pêche qui sont dénoncés. Ils mettent sur le marché des produits impropres. L’enquêteur, contrairement au cas breton, ne remonte pas à la source, qui est pourtant facile à trouver. Ici ce n’est pas le cochon qui pollue mais le Parisien. La concentration démographique, que ce soit des hommes ou des porcs, provoque une production massive d’azote fécal. Contre les concentrations humaines excessives, l’enquêteur pourrait développer les mêmes arguments que contre les concentrations porcines. Logiquement, il devrait même en faire plus. En effet, une répartition harmonieuse des populations humaines a beaucoup plus d’impact sur nos sociétés que la répartition des populations porcines. Eh bien non… Pas un mot sur la nécessité de déconcentrer Paris, pas un mot sur le projet de Grand Paris. La télévision dénonce le pêcheur-empoisonneur.
 
            Ce traitement de l’information transpire d’une constante sociologique. Depuis le Moyen-âge, les villes ont concentré tous les pouvoirs, politique, économique, culturel. Tous les pouvoirs, sauf un : celui de nourrir les hommes. L’angoisse de la famine ou de l’empoisonnement traverse les siècles. La révolution de 1789 a consacré le traitement à la française de cette angoisse. Les mauvaises récoltes des années précédant 1789 faisaient planer le spectre de la famine. Ni la richesse, ni l’intelligence, ni la grandiloquence du Parisien ne pouvaient entamer l’entêtement du paysan à nourrir d’abord sa pauvre famille. Le pillage des dépôts de grains et les manifestations contre les affameurs ont précédé la révolution politique. La légende du paysan contre-révolutionnaire s’est construite pour justifier la terreur instaurée par Paris. Depuis lors le grand citadin français, héritier de la Révolution, se sent investi d’un droit d’intervention dans les provinces et dans les campagnes.
          Symétriquement, la revendication de liberté bretonne est liée au rejet de Paris. Toutes les métropoles inspirent les mêmes sentiments. Babylone a provoqué l'admiration et la haine la plus ardente. Rome, Pékin, Byzance ont suscité les mêmes passions. Au 19ème siècle, les diplomates et les voyageurs vantaient les charmes de Saint Petersbourg, la nouvelle capitale impériale de la Russie. Au même moment, Dostoïevski parlait du "malheur qu'il y a à vivre à Saint-Petersbourg"  et Aksakov lui écrivait : "La première condition pour la libération du sentiment populaire russe, c'est haïr Saint-Petersbourg de tout son cœur et de toute son âme".
La constante sociologique se nourrit en France des mythes républicains. Elle renvoie au pouvoir citadin et à la méfiance envers le pourvoyeur de nourriture, égoïste, affameur, aujourd’hui empoisonneur et pollueur. Elle refuse aujourd’hui de voir que les problèmes des déjections concernent à la fois les concentrations animales et les concentrations humaines. C’est pourtant cela la nature, la vraie ! Paris est un élevage géant sans plan d’épandage. La population vivant sur le bassin hydrographique de la Seine est d’environ 18 millions d’humains, dont plus de 80% vit en zone urbaine. Cette population augmente chaque année. 40% des industries françaises siègent sur les bords de la Seine. Pour comparaison, en Bretagne, la population porcine est d’environ 13 millions d’individus. Elle tend à diminuer.
 
            Le refus d’aborder le problème écologique majeur que pose la concentration humaine en région parisienne est appelé à se maintenir. La France est aujourd’hui entraînée dans une course qu’elle va perdre : c’est la course aux métropoles, aux pôles d’excellence, aux universités classées. Elle court après les grands chiffres. Pour cela, le gouvernement actuel recentralise le pouvoir politique, l’économie, la recherche, la diffusion du savoir. Mais les chiffres des concurrents chinois et américains croissent vite, trop vite. La France ne les atteindra pas et y perdra son équilibre. L’effondrement institutionnel pourrait éventuellement nous donner une opportunité de sécession, mais ceci est une autre question.
            La Bretagne et les petits pays ont, par nature, d’autres ambitions. C’est celle des entreprises en réseau (y compris les exploitations porcines par l’instauration du façonnage), des universités numériques décentralisées, du maillage territorial. Ces ambitions ne sont pas quantitatives, mais qualitatives. Il existe des chiffres qui mesurent la grandeur. Les mêmes mesurent l’excès. Pour mesurer l’équilibre, un seul chiffre ne suffit pas, fût-il grand.
Foule Paris
             Il ne sert à rien de vouloir complaire aux citoyens des métropoles grouillantes. Nous n’y arriverons pas. Ils veulent une activité agricole qui puisse les nourrir. Mais ils veulent aussi que celle-ci soit à leurs pieds. Nous devrions être soumis, pittoresques et rassurants, comme autrefois. Hélas pour eux, le pourvoyeur de nourriture s'est modernisé ; il n'est plus ni pittoresque ni rassurant.
            Famine, empoisonnement, aujourd'hui pollution. L’écologie républicaine ravive et réactualise l’imaginaire sans-culotte. Le vieux fantasme du pouvoir absolu de la cité est comme le lierre qui parasite le chêne, l’épuise et peut le tuer. L’écologie authentique, celle qui construit une planète plus saine et plus équilibrée, saura-t'elle écarter ceux ont une guillotine dans le coeur ?
JPLM

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Mercuriale septembre 2010