MERCURIALE DE DECEMBRE 2010

           

            Un remaniement ministériel a eu lieu. Aucun ministre breton. De toute façon, à gauche comme à droite, aucun poids lourd politique ne parle à Paris au nom de la Bretagne. Il y en a eu par le passé ; mais finalement pas beaucoup. Les Bretons ne semblent pas doués pour la politique. Est-ce là une spécificité culturelle à préserver ?

 
            Les sociétés contemporaines sont établies sur trois piliers. Le premier est le corps politique et institutionnel, qui en constitue l’ossature. Le second est la sphère économique et marchande. Elle est le système digestif et circulatoire du corps social. Le troisième est la société civile, avec ses multiples associations, ses bénévoles, ses créateurs, ses visionnaires. C’est là que bat le cœur de la société réelle.
         La Révolution française a imposé l’hégémonie du pouvoir politique sur l’activité économique et sur la société civile. Les Montagnards puis les républicains ont entretenu l’idée que cette hégémonie était la condition première à l’instauration d’une démocratie. "Tout est politique !". En France, les fondamentalistes républicains, nostalgiques de la vieille révolution de 1789, s’accordent sur ce slogan. En Bretagne, cette croyance ne fait pas recette. Les Bretons votent peu pour un État fort, cher aux partis extrémistes de droite ou de gauche. Peut-être avons-nous conservé une méfiance chouanne envers un pouvoir qui, prenant sa source à Paris, nous apparaît comme étranger et malsain.
 
            Aujourd’hui, la politique française s’irise de couleurs crépusculaires. Les grands mots sonnent comme des tambours de foire. Les affaires crapuleuses et les attentes sociales se télescopent. Les grands principes ne servent plus qu'à justifier des ambitions mesquines. On sent que les politiciens et les hauts fonctionnaires calculent constamment le coût du mensonge ou du revirement.
        Tant que la sphère politique était puissante et incontournable, il fallait s’accommoder du triste spectacle. Toutefois, deux phénomènes émergent, qui peuvent profiter aux Bretons et à tous les nuls de la politique.
 
         Le premier est l’impuissance progressive des institutions, par manque d'argent et de vision de l'avenir. Les principaux pays européens -la France en fait partie- s’endettent pour assurer leurs dépenses courantes. L’endettement continu, sans espoir de retour sur investissement, mène inéluctablement à la tutelle. Toutefois, l’évolution est lente. La France, disait Attali, a les moyens de mourir lentement. L’absence de stratégie à long terme n’est pas visible. Les faits, pourtant, sont là. 80% des lois françaises découlent aujourd’hui de directives européennes. Si la situation empire, les directives viendront aussi du FMI, comme dans le cas de la Grèce. Le spectacle français peut continuer, grâce à l'Europe et au FMI. Il suffit à nos gouvernants de s’agiter autour des modalités d’application.
            
L’argent public manque partout. Les instances régionales, départementales et locales gèrent la récession. Le monde économique bénéficiait de l’aide aux entreprises. La société civile bénéficiait de l’aide aux associations. La décision n’est plus de savoir qui on doit aider, mais qui on doit exclure de l’aide publique. Pour les entreprises et les associations, deux voies s’ouvrent. Elles peuvent s’engager dans un combat toujours plus âpre pour l’accès à une source qui se tarit. Elles peuvent aussi s’organiser pour vivre sans perfusion d'argent public. Cette dernière solution est plus difficile, mais moins dépendante. Elle permet de s'inscrire dans la durée.
   
            Le second phénomène est l’exercice de la démocratie dans de nouveaux domaines. Celui qui a soif de démocratie n'est plus contraint de se tourner vers la politique. On la revendique désormais dans l’espace économique et dans la société civile. Les rendez-vous électoraux apparaissent ringards et dépassés face au management collaboratif, à la manifestation de rue, à Doodle, aux votes sur internet, à la vidéo sur Dailymotion, à la discussion sur Facebook, au commentaire laissé sur le site d’un grand journal.
            On connaissait jusqu'à présent les circuits courts pour les produits de l'agriculture paysanne. Désormais les circuits courts du savoir, du dialogue, des échanges de biens, des relations au travail, court-circuitent les institutions officielles. Fini les lourdeurs, les contrôles qui ne correspondent à rien, les taxes… Le phénomène n’en est qu’à ses débuts. Ceci présage le déclin de la crédibilité et des finances d'un État centralisé.

 
            Quel rapport avec les Bretons ? Loin de Paris, ils sont bien loin du pouvoir politique. La chouannerie, le christianisme social, puis le centrisme reflètent cette distance maladroite avec la culture politique française. Aujourd'hui, c’est l’écologisme et la revendication identitaire qui prennent le relais chez nous. On y trouve les mêmes forces et les mêmes faiblesses que les sensibilités qui les ont précédées.
         La faiblesse se révèle dans l’incapacité à se couler dans les modes de fonctionnement, à la fois bureaucratiques et conflictuels, qui caractérisent la France républicaine. Sommes-nous trop naïfs, trop rigides, trop impatients, trop orgueilleux ? Je ne sais pas.
         La force réside dans l’écoute de la société civile et dans le goût d’entreprendre. La Bretagne n’est pas une pépinière de grands politiciens. Mais elle est à la fois une terre d’associations et un grouillement d’entrepreneurs.

 
            L'incapacité et la paralysie progressive de la sphère politique en France ne doivent pas être ressenties comme la mort du père. C'est une chance historique pour la Bretagne. A condition que nos compatriotes abandonnent leur fâcheuse tendance à se sacrifier pour des causes perdues.
JPLM

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Mercuriale décembre 2010