MERCURIALE DE MAI 2011


D’une libération l’autre

            La France moderne puise ses principaux mythes fondateurs dans deux moments de son histoire : la révolution de 1789 et la Résistance. Le Français moyen, sous la défroque du sans-culotte ou du maquisard, y est idéalisé. On exorcise le futur en agitant les mots magiques qui sont issus de ces épisodes : citoyen, républicain, résistant, antifasciste.
            La France ne sait plus où elle va et se replie sur les anciens mythes. L’extrême-droite rejoint le mouvement commun et abandonne ses nostalgies anti-républicaines. Elle devient populaire en intégrant le roman national. Du discours de Valmy de Jean-Marie Le Pen aux appels à la laïcité et à la résistance lancés par sa fille, il n’est plus question de passer pour des chouans ou des collabos. Une union sacrée antimondialiste se constitue contre une menace autrement plus dangereuse que la fracture politique entre Français : l'éclatement par la diversité culturelle. L’étranger fait peur. La façon dont la laïcité se recompose en est le prologue.
            Dans l’imaginaire français, les Bretons font office, bon gré mal gré, d’agents pittoresques du côté obscur de la force. C’est triste, c’est contraire à la vérité historique, nous avons beau nous en défendre, rien n’y fait et rien n’y fera. Le Breton, avec son accent tonique, ses préoccupations paysannes et ses tendances festives, peu attiré par Paris, plus ou moins autonomiste, toujours prêt à sortir un gwen-ha-du, est une sorte de poison anti-républicain atténué, à base de toxines chouannes et Breiz Atao diluées dans l'alcool.
 
            A 150 ans de distance, la révolution de 1789 et la Résistance exaltent à la fois la nation française et les droits de l’homme. L’amalgame profite à la nation française et nullement aux droits de l’homme. Mais au fait, entre ces deux moments mythifiés, que s’est-il passé ?
            Les chouans se recrutaient chez les paysans et les ouvriers pauvres. Leurs petits-enfants, fuyant la misère, ont formé cette troupe de prolétaires qui bascula dans le communisme et fit trembler le monde occidental. Les sans-culottes parisiens n’étaient pas des indigents, mais des artisans et des commerçants dont une bonne partie avaient des salariés. Les petits-enfants de la bourgeoisie révolutionnaire, ceux dont les affaires ont prospéré, sont devenus les patrons qui exploitèrent la nouvelle masse ouvrière.
            Il existe un mouvement de balancier entre tendances conservatrices et progressistes, entre mouvements libérateurs et mouvements de repli. Les vainqueurs deviennent dominateurs, les vaincus cherchent à se libérer. Au regard de l’histoire telle qu’elle est enseignée, les républicains français portaient le progrès en 1789. Ils furent vainqueurs. Soixante quinze ans plus tard, une autre révolution embrase le monde, la révolution industrielle et coloniale. C’est une révolution mondiale. Les fiers disciples de Voltaire écrasent la vermine ouvrière ou indigène. Partout, les liens sociaux volent en éclat sous les coups de l’industrie et de la colonisation. Il apparaît alors d’autres droits de l’homme. Ce ne sont plus des droits individuels comme lors de la Révolution française. Ce sont des droits collectifs : droits de la classe ouvrière, droit des peuples colonisés. Ils n'ont pénétré que lentement au pays des droits de l’homme.
 
            A 150 ans de distance, la révolution que nous vivons fait écho à la révolution industrielle et coloniale. Ces deux événements viennent en contrepoint des mythes français de 1789 et de la Résistance. La révolution actuelle est, elle aussi, mondiale. Les liens sociaux volent en éclat sous le coup des bouleversements technologiques, financiers et économiques. De nouveaux droits apparaissent, qui sont des droits collectifs : droits écologiques et droits communautaires. Les valeurs républicaines ne sont plus un horizon suffisant. Elles sont les œillères que veulent nous imposer les beaux mais vieux esprits.
            Par rapport à la révolution industrielle et coloniale, la révolution qui vient se présente différemment pour la France : en situation de faillite, désorientée, vieillie, elle pourrait s’effondrer comme elle a fait s’effondrer les sociétés d’Afrique ou d’Asie il y a 150 ans. Celles-ci représentaient alors 50% du PIB mondial. Soixante-quinze ans plus tard, elles n’en représentaient plus de 15%. Elles émergent de nouveau pour reprendre le rang qu’elles avaient perdu, et aussi pour faire basculer les anciens rapports en leur faveur. Imaginons que le monde occidental ne représente plus que 15% du PIB mondial. Le tableau en Europe de l’Ouest serait celui de l'Afrique et de l'Asie dans la deuxième moitié du XIXe siècle : misère, troubles sociaux, effondrement des services publics, sécessions régionales.
 
            Nous autres Bretons aurions tort de nous tromper de révolution. Etre antifasciste, c'est bien ; mais c'est comme être anti-chouan ou jouer les sans-culottes lors de la révolution industrielle. C'est un confort intellectuel et une posture anachronique. Ce qui importe aujourd'hui, ce n'est pas la défense des anciens droits de l'homme, mais la conquête de nouveaux droits collectifs, droits écologiques et droits communautaires. Ces nouveaux droits s'inscrivent naturellement dans les Constitutions écrites au XXIe siècle, en particulier celle de la Bolivie.
            Les valeurs républicaines et le programme de la Résistance sont devenus des arguments de repli. Ils ne répondent pas aux questions actuelles. Ce sont autant de lignes Maginot, qui ne servent qu’à immobiliser ceux qui les défendent.
JPLM

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