MERCURIALE D'AOÛT 2012

Breizh / Bretagne : une tribu postmoderne.

          Peut-on regarder la Bretagne et les Bretons ailleurs que dans le miroir français ?  D'ailleurs, peut-on casser ce miroir ?
          Peut-on  se dégager du désir mimétique qui stérilise et dévore le provincial ?
          Oui. Non seulement nous le pouvons, mais voila bien notre nécessité. Les nationalistes bretons du XXème siècle ont rêvé d'un État-nation. A l'époque, ce modèle fonctionnait efficacement. Il permettait de forger des unités politiques. Aujourd'hui, il est devenu bureaucratique et crépusculaire. Nous assistons à son naufrage, dans la confusion et la faillite. Pour que la Bretagne ne sorte pas de l'histoire, nous sommes condamnés à l'audace et à l'innovation. Nous ne pouvons pas nous contenter d'être les perroquets de nos prédécesseurs.
 
          Nous vivons une période historique que l’on pourrait appeler la modernité tardive. La rationalité et la volonté de puissance s’y sont alliées. Le matérialisme égoïste y engendre des crises permanentes qui ne sont pas sans rappeler celles de l’antiquité tardive.
          Notre époque perd le contact avec le sol et avec la dimension humaine. Nos villes géométriques ressemblent à celles de l'antiquité tardive, occidentale ou chinoise. Ce qui, autrefois, était instinctif, intuitif ou naturel, a été balayé par le raisonnement. Les logiques mécanistes se sont imposées dans les domaines économiques et politiques. Les vérités officielles, assises sur la science, se veulent universelles, intangibles, totalitaires. Elles ont remplacé les vérités religieuses, basées sur une foi et une espérance.
          Nos philosophes, comme ceux de l'antiquité tardive, jouissent d'une grande liberté de pensée. Mais l’incertitude, qui jusqu'alors façonnait l’environnement quotidien et excitait les plus énergiques, est devenue un scandale. A tout imprévu il faut un coupable. Le malheur comme la chance doivent être sous contrôle des pouvoirs publics. Que fait le gouvernement ?
          L’organisation de la société, en se voulant contractuelle depuis Jean-Jacques Rousseau, transpire d’expédients, de compromis, d'hypocrisies. L'ordre public, on le sent, est artificiel. La confiance envers les institutions n'est plus que de facade.
          La modernité tardive reproduit l’antiquité tardive. La procréation était devenue et devient, non plus un phénomène vital, mais un problème. Seule l’immigration avait permis et permet de maintenir la puissance publique. Les institutions bureaucratiques étaient et sont omniprésentes. Par la tyrannie fiscale, lors de l'antiquité tardive, la périphérie de l'empire a été vidée de ses richesses. Puis, lorsque l'autorité centrale n'y fut plus reconnue, l'empire a lentement implosé. Nous prenons le même chemin. Les colonies ont fait sécession et aujourd'hui tout nouvel impôt est contesté par ceux qui y sont soumis.
          Les pouvoirs institués ne sont plus reconnus comme légitimes. Alors émergent, tels des rocs à marée descendante, d'anciennes et de nouvelles tribus.

          C’est chez les artistes que les intuitions sur la postmodernité ont été les plus fulgurantes. Ils y ont vu, non pas un retour vers le passé et la pensée magique, mais un dépassement de la raison, de l’intellectualisation systématique et de l’égoïsme généralisé.

          Chez nous, la Bretagne festive a remplacé la Bretagne mystique. Cette dernière avait connu sa floraison au Moyen-Age. Elle n'était pas que mystique, d'ailleurs. Elle était commerçante, entreprenante, batailleuse. Nos navires sillonnaient les océans.
L'avènement de la modernité, à la fin du XVème siècle, a correspondu à la fin de notre indépendance politique et au repli sur nous-mêmes.
          Il faut l'avouer, nous respirons mieux depuis quelques temps. Nous n'étions pas à l'aise dans ce monde raisonnable et bureaucratique. Nous étions ploucs et rétrogrades, quand les grands esprits enseignaient que le bonheur passait forcément par les institutions. Leur accumulation de richesse et de puissance, leur arrogance ne nous plaisaient pas. Nous avons mal vécu ces organisations de masse. Nous pouvons être guerriers ; pas militaires. Nous pouvons être croyants ; pas cléricaux. Alors, maintenant que toute l'organisation socio-politique se fissure, nous passons naturellement du pré-moderne au post-moderne.

          Quelle continuité y a-t'il entre la Bretagne festive d'aujourd'hui et la Bretagne mystique d'autrefois ?
         C’est d’une part l’esprit communautaire. Les républicains français, personnages centraux de la modernité, se sont détournés du peuple inquiet, généreux et bouillonnant pour se tourner vers les institutions. Recherche de stabilité... Rationalité, volonté de puissance... Univers où règne la norme raisonnable. Les valeurs communautaires sont un danger pour les normes institutionnelles. La solidarité est un danger pour le civisme.
D’un côté, ce qui est contrôlable d’en haut. De l’autre, ce qui ne l’est pas.
          C’est aussi la perception des forces de la nature, y compris des passions humaines. Certains penseurs comme Charles Fourier avaient bien senti la nécessité de concilier la vie en société et ces forces inévitables. Ernest Coeurderoy appelait à la révolution par les Cosaques, prototype à l’époque des tribus barbares. En Bretagne, au debut du XXème siècle, Charles Brunellière voulait “mettre en oeuvre les réserves de vitalité et de force contenues dans notre population, que le bien-être et la civilisation n’ont pas usées”.  Son contemporain libertaire Emile Masson ne disait pas autre chose dans son Utopie des îles bienheureuses.
          La révolution républicaine, qui a forgé la France d'aujourd'hui, a été normative et civique. Elle s'extasiait devant l'équilibre entre les droits et les devoirs. La révolution qui vient, portée par les nouvelles technologies, est communautaire et solidaire. Elle ne vise plus à prendre le pouvoir, à venger un affront historique, à imposer de nouvelles lois. Elle remplace les systèmes représentatifs par la démocratie directe. Elle rapproche les gens, elle écarte les intermédiaires, elle court-circuite. Elle crée des réseaux, et non pas des régiments.
          Le printemps arabe a révélé la force de ce nouveau modèle, et aussi son manque de pérennité. Qualités et défauts de toutes les jeunesses, de toutes les énergies immatures. Il faut du temps pour qu’elles deviennent irrésistibles.
          Notre communauté, Breizh / Bretagne, s’inscrit dans cet avenir technologique et tribal.
JPLM

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Mercuriale aout 2012