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Barère (Bertrand)Auteur de carmagnoles (1755-1841)La carmagnole n'est pas seulement un vêtement ou une chanson. C'est un genre littéraire propre à la révolution française, reconnu dans toute sa pureté dans les discours de Bertrand Barère (1755-1841). C'est un atelier de fabrication de mythes républicains, qui peut se décliner en deux variétés. |
La carmagnole épique
La variété
épique consiste, à partir de quelques lignes dans
un
rapport militaire, à inventer un mythe
républicain
positif.
Une des carmagnoles les plus connues de Barère est celle où il célèbre la perte du vaisseau Le Vengeur. On sait exactement ce que fut ce triste épisode, qui se déroula au large de Brest. Le capitaine Renaudin rapporte lui-même que, son navire ayant les mâts rompus et la coque trouée par les boulets, il amena les couleurs. Les Anglais alors mirent des canots à la mer et recueillirent 260 hommes. Les derniers marins, restés sur le bateau, imploraient leurs sauveteurs et sombrèrent en poussant des cris lamentables. Barère recomposa la scène à sa façon. Plus de sauveteurs anglais!... Seulement des marins français qui montent les couleurs et crient " Vive la République " au moment du naufrage. | ![]() |
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"Tout à coup, le tumulte du combat, l'effroi du danger, les cris de douleur des blessés cessent. Tous montent sur le pont, tous pavillons, toutes flammes arborées. Les cris de Vive la république, Vive la liberté, Vive la France se font entendre de tous côtés. C'est le spectacle touchant et animé d'une fête civique plutôt que le moment terrible d'un naufrage... Nos frères ne délibèrent plus ; ils voient l'Anglais et la Patrie ; ils aimeront mieux s'engloutir que la déshonorer par une capitulation. Ils ne balancent point, leurs derniers vœux sont pour la Liberté et la République : ils disparaissent. " |
La prise de Landau permet une fresque fantasmagorique de la tactique révolutionnaire (" Rapport sur la prise de Landau "), revendiquant au passage que la guerre de Vendée soit une guerre d'extermination.
" .. . Une voix
ferme réveille le camp : " Toulon est pris ; l'Espagnol et
l'Anglais fuient comme des lâches ". Aussitôt les
soldats
se sont écriés " Vive la république
! Et
puisque nos frères sont entrés dans Toulon, nous
voulons
aller à Landau ! ". Ils partent. Et Landau n'a plus vu
d'ennemis
à ses portes... Une incroyable circulation de victoires s'est
établie entre les armées de la
République au
milieu des glaces et des frimas, au cœur même de
l'hiver.
(...) Voilà la véritable tactique : Au centre une guerre d'extermination contre les instruments des guerres civiles, sur les frontières septentrionales un courage froid et imperturbable ; dans les régions méridionales une exaltation de courage qui ne connaît ni borne ni obstacle " |
La militarisation de toute la société prend des accents lyriques.
" La
liberté est devenue créancière de tous
les
citoyens. Les uns lui doivent leur industrie, les autres leur fortune ;
ceux-ci leurs conseils, ceux-là leurs bras ; tous lui
doivent
leur sang. Ainsi donc tous les Français, tous les sexes, tous les âges, sont appelés par la Patrie à défendre la liberté. Toutes les facultés physiques ou morales, tous les moyens politiques ou industriels lui sont acquis ; tous les métaux, tous les éléments sont ses tributaires. Que chacun occupe son poste dans le mouvement national et militaire qui se prépare. (...) Les maisons nationales seront converties en caserne, les places publiques en ateliers (...). Il faut que la France ne soit plus qu'un vaste camp "
(Rapport
sur la réquisition physique des jeunes citoyens.
août 1792)
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" Barère à la tribune ! " est un slogan à la mode à partir de 1792. Les généraux, avant d'envoyer les glorieux soldats de l'an II se faire massacrer pour l'impérialisme naissant, leur lancent : " Mes enfants, nous allons envoyer Barère à la tribune ! ". L'orateur fétiche compose ainsi des dizaines de mythes républicains qui viendront alimenter les livres d'écoles primaires.
La carmagnole meurtrière
L'autre variété de la
carmagnole est l'appel lyrique à l'extermination.
Barère
est le promoteur talentueux des colonnes infernales en
Vendée,
ainsi que des projets de destruction des villes de Lyon, Toulon,
Marseille. Il couvre de son éloquence la paranoïa
sanglante
de la dictature jacobine. Voici un florilège de citations de Barère, que les révolutionnaires se répétaient avec gourmandise : |
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"
Les royalistes veulent du sang. Ils l'auront. Ils l'auront,
organisé par l'armée révolutionnaire
qui selon le
mot de la Commune de Paris mettra la Terreur à l'ordre du
jour. "
(discours du 1er
août 1793)
|
"
Le vaisseau de la révolution ne pourra arriver au port que
sur
une mer de sang "
(17
septembre 1793)
|
" Citoyens, la
liberté est entrée dans Lyon, le 9 de ce mois...
Le
Comité a dit que les traîtres doivent
être pris,
leur punition doit être prompte...Mais laisserez-vous
subsister
une ville qui, par sa rébellion, a fait couler le sang des
patriotes ?...Ce n'est pas une ville...Elle doit être
ensevelie
sous ses ruines... (Suit le décret : ) Article premier : Il sera nommé par la Convention Nationale, sur présentation du Comité de Salut Public, une commission extraordinaire de cinq membres pour faire punir militairement et sans délai les contre-révolutionnaires de Lyon. Article deux : Tous les habitants de Lyon seront désarmés. Leurs armes sur le champ seront distribuées aux défenseurs de la Patrie. Une partie en sera remise aux patriotes de Lyon qui ont été opprimés par les contre-révolutionnaires. Article trois : La ville de Lyon sera détruite. Tout ce qui fut habité par le riche sera démoli. Il ne restera que les maisons des pauvres, les habitations des patriotes égorgés, les édifices spécialement employés à l'industrie, les monuments consacrés à l'humanité et à l'instruction publique. Article quatre : Le nom de Lyon sera effacé du tableau des villes de la république et portera désormais le nom de " Ville affranchie ". Article cinq : Il sera élevé sur les ruines de Lyon une colonne qui attestera à la postérité les crimes et la punition des royalistes avec cette inscription : " Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus ".
(9
octobre 1793 ; Décret de destruction de la ville de
Lyon)
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Même sentence pour la ville de Toulon :
" Article
quatre. Le nom
infâme de
Toulon est supprimé. Cette commune portera
désormais
celui de Port-de-la-Montagne. Article cinq. Les maisons de l'intérieur de cette commune seront rasées. Il n'y sera conservé que les établissements nécessaires à la guerre, à la marine, aux subsistances et approvisionnements de la république. " (19
décembre 1793 / 29 frimaire ; Décret de
destruction
de la ville de Toulon)
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Le
projet
d'extermination de la
population est mené de façon
énergique.
La
population de Toulon en 1793-1794, passa de trente mille à
sept
mille habitants.
A propos de la Vendée (Août 1793) :
"
Le
comité de Salut Public a préparé des
mesures qui
tendent à exterminer cette race rebelle, à faire
disparaître ses repères, à incendier
ses
forêts, à couper ses récoltes. C'est
dans les
plaies gangrenantes que la médecine porte le fer et le feu ;
c'est à Mortagne, à Cholet, à
Chemillé que
la médecine politique doit employer les mêmes
moyens et
les mêmes remèdes. C'est faire le bien que
d'extirper le
mal, c'est être bienfaisant pour la patrie que de punir les
révoltés. (...) Détruisez la Vendée et Valenciennes ne sera plus au pouvoir des Autrichiens. Détruisez la Vendée et le Rhin sera délivré des Prussiens. Détruisez la Vendée et l'Anglais ne s'occupera plus de Dunkerque. Détruisez la Vendée et l'Espagne sera morcelée et conquise par les méridionaux. Détruisez la Vendée et une partie de l'armée de l'Intérieur ira renforcer l'armée du Nord. Détruisez la Vendée et Toulon s'insurgera contre les Espagnols et les Anglais. Lyon ne résistera plus et l'esprit de Marseille se relèvera à la hauteur de la Révolution. La Vendée et encore la Vendée, voilà le chancre qui dévore le cœur de la République. C'est là qu'il faut frapper." |
Environ 23% des
habitants de la Vendée (hommes, femmes,
enfants) sera exterminée en quelques mois : 175 000 morts sur
770 000 habitants (Source : Emmanuel Leroy Ladurie .
Vérités sur le génocide vendéen . 1999)
A propos des étrangers : le racisme de salut public
" L'Anglais ne peut démentir son origine. Jadis il vendait des peaux de bêtes et des esclaves. Il n'a pas changé son commerce. Débarquant dans son pays, César n'y trouva qu'une peuplade féroce se disputant les forêts avec les loups et menaçant de brûler tous les bâtiments qui tentaient d'y aborder. Elle est toujours la même ." |
L'Autriche est " à éliminer ", la Prusse " à combattre ", la Hollande " à ruiner ", la Russie " à neutraliser ", le Portugal " à intimider ". Naples, la Sardaigne, le pape, Florence, Gênes et Venise sont " à contrôler ". L'Angleterre est une nation " d'anthropophages et de rois marchands ".
Rapide biographie de Bertrand Barère de Vieuzac
Bertrand Barère nait en 1755 à Tarbes dans une famille bourgeoise liée à l'aristocratie. Avocat de profession, il est en 1789 député de Tarbes.Il préside le procès de Louis XVI et entraîne par ses discours les députés à voter la mort. Il entre ensuite au Comité de Salut Public. Il justifiera avec éloquence tous les massacres, toutes les exterminations. Au 9 thermidor, quand le vent tourne, il lâche Robespierre. Il sera néanmoins proscrit par le Directoire.
Pendant le Consulat et l'Empire, il vivra comme délateur, faisant chaque semaine un rapport à Napoléon Bonaparte sur l'état de l'opinion publique. Il écrit des libelles à la gloire de l'empereur. Il édite un journal xénophobe, le Mémorial antibritannique.
Il sera exilé sous Louis XVIII et reviendra en France en 1830. Il mourra en 1841, à l'âge de 86 ans.
Sources principales / Pour en savoir plus :
THOMAS Jean Pierre. Bertrand Barère, la voix de la Révolution, Ed Desjonquères, 1989
LAUNAY Robert. Barère de Vieuzac, l'Anacréon de la guillotine. Ed Taillandier, 1929

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