MERCURIALE D'AVRIL 2011
« Je suis plus breton que vous ! »
Les beaux jours reviennent et nous allons de nouveau entendre cette phrase. Elle est typique du touriste parisien, qui jure que son arrière-grand-mère portait la coiffe ou que son bisaïeul ne parlait que le breton. D’autres, qui s’appellent Le Bras ou Le Guen, profitent du passage dans la péninsule pour exhiber leur patronyme comme le Saint Sacrement. Gare à toi, paysan des Monts d’Arrée, si tu t’appelles Legrand ou Blanchard !
Cette prétention révèle une différence typique entre l’identité française et l’identité bretonne. Voyez la tragédie des débats français sur l’identité nationale ou sur la laïcité. Ils se plombent tout seul. Ils s’obstinent à calculer un gradient de francitude. Il s’efforce à trouver le seuil au-delà duquel on n’est pas français.
En bien des choses, les Français vivent dans un monde de comparaison et de calculs bizarres. La pertinence d’une idée politique nouvelle les intéresse moins que d’en situer l’inventeur sur une ligne allant de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. La relation entre le centre et les régions périphériques, plutôt que de s’enrichir de singularités, se réduit à une ligne entre Paris, centre mythique, et la Province, périphérie indifférenciée.
Ce travers se retrouve dans le concept de métissage, qui consiste pour les Français à tout ramener à leur échelle et à ce qu'ils connaissent. On compare des nuances de gris ou de jaune pâle, d’islam plus ou moins modéré, de bretonnité plus ou moins affirmée, d’accent plus ou moins prononcé. La ligne part du gaulois fictif, passe par le parisien superbe, s'égare sur le provincial incertain et s’éloigne vers l'étranger moyen. Qui sera rejeté ? Les plus sélectifs mettent le curseur très proche du guerrier chevelu. D’autres sont plus tolérants. Tous sont d’accord pour dire que le minimum est la détention de papiers administratifs. La bénédiction bureaucratique rassure les Français sur leur identité.
L’identité bretonne ne se présente pas du tout de
la même
façon. Les chiens ont un pedigree, les Français ont un
état civil. Les Bretons
n’ont rien de tout cela. C’est une chance, finalement. Si
je suis breton, ce
n’est pas parce que j’ai reçu une approbation
officielle. Je suis Breton parce
que je sais que je suis Breton. Nul autre que moi ne peut
prétendre à ce savoir.
Aujourd’hui, le droit international a fait son chemin et nul ne
peut plus me
l’interdire. Mais la manière française rôde
aussi chez nous. Il est toujours
amusant et pathétique de voir les efforts déployés
par ceux qui, désorientés,
voudraient nous octroyer le droit d’être Bretons sur une
base linguistique, culturelle
ou génétique. Quel est votre nom de famille ? Parlez-vous
breton ? Etes-vous né ici ? Jouez-vous du biniou ? Etes-vous
alcoolique ? Soumettre les Bretons à une espèce de norme
Iso ; it would be so French…
Second point :
on est Breton ou on ne l’est pas, tout comme
une femme est enceinte ou ne l’est pas. On n’est pas un peu
ou beaucoup breton.
On en fait partie ou pas, de cette foutue communauté. Et c'est
tout. Il n'y a pas d'inégalité en droits ou en
dignité entre ceux qui se savent Bretons. Dans mon puzzle identitaire, je choisis pour pièce centrale la Bretagne, c'est-à-dire la communauté des Bretons, la nation bretonne. Le drame des Français est que, lorsqu’ils cherchent ce qui est central, ils ne trouvent qu’une identité administrative. L’État bureaucratique les a annexés avant qu’ils aient pu décider quoi que ce soit. Ensuite, la seule liberté qui leur est accordée n’est pas celle de la mosaïque, mais du métissage. L’opération est une tricherie évidente. Elle est inégale. D’une part, une puissance dominante et une culture richissime. D’autre part des cultures appauvries, non reconnues, méprisées. Je mélange le tout. L’issue, après les ivresses d’une fausse confrontation, ne fait aucun doute. Il ne subsistera de la culture dominée que quelques expressions imagées, bretonnismes ou arabismes, et des recettes de cuisine. Bref un folklore, des maladresses et une nostalgie de pacotille. Les principes laïques, jouant des notions de sphère publique et de sphère privée, sont les gardiens de l'arnaque. Tout ce qui pourrait introduire des couleurs trop vives est rejeté dans la sphère privée. Pour finir, comme un os à ronger, la République jette à ceux qui se soumettent le titre de citoyens. Les naufragés identitaires, à qui il ne reste plus que cette reconnaissance, s’en glorifient. Pauvre troupe de zombies, animés des gestes mécaniques de leur démarche citoyenne. |
![]() (Pub de "Bretagne International")
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Nous pourrions discuter, dans les mosaïques bretonnes, de ce qui serait disharmonieux par rapport à la pièce centrale. Religions exotiques ? Mœurs étranges ? Mais c’est là un jugement esthétique, sans aucune prétention normative.
En France, le destin d’un débat sur l’identité nationale ou sur la laïcité est fixé d’avance. Il n’a pas besoin d’être manipulé pour s’orienter vers la recherche d’une norme. Un tel mouvement est inévitable ; la France s’est construite autour de normes et non à partir de communautés. Les religions exotiques et les mœurs étranges peuvent être juxtaposées à l’identité bretonne. Elles doivent être solubles dans l’identité française. Grande, énorme différence d'approche de la diversité.
En France, le débat citoyen n’est pas esthétique de juxtaposition mais exigence de solubilité. Le rejet de la vraie diversité, celle qui est insoluble, en est l’issue fatale.