Mercuriale de mai 2009
(Cet article concerne un mythe central de la république
française. Il est conseillé aux accros de l’alignement citoyen de vérifier la
validité de leur antivirus)
Une république laïque doit "préserver la sphère
publique de tous les communautarismes", déclare Henri Pena-Ruiz. La sphère
privée "ne saurait ni s’imposer à la sphère publique, ni être régenté par
elle". Cette conception des deux sphères est simple, séduisante, mais
est-elle opérante dans la démocratie du XXIème siècle ?
Il fut un temps où la
laïcité se concentrait sur la
séparation des Eglises et de l’Etat, projet limité,
concret, adapté à
l’évolution des mœurs de l’époque. Et
puis les choses ont dégénéré, sans doute
par le penchant naturel des Français à
l’universalisme. La séparation des
Eglises et de l’Etat, qui était une réponse
pratique à un problème politique
réel, est devenue le cas particulier d’une
vérité universelle, la séparation de
la sphère publique et de la sphère privée.
L’opposition au pouvoir
déraisonnable de l’église a basculé vers une
approbation déraisonnable du
pouvoir d’Etat. Une confusion s’est
opérée entre le public au sens de politique, concernant tout
le monde, et le public au sens d’officiel,
d’administratif. Les penseurs
politiques, de Thomas Hobbes à Hannah Arendt, ont pourtant
montré que l’Etat et
la société sont deux choses très
différentes.
La laïcité est un concept pré-industriel. Les penseurs de la révolution industrielle, comme Adam Smith, Ricardo et surtout Marx, ont placé le travail et les rapports économiques au centre du politique. La laïcité, issue de la pensée des Lumières, limite l’analyse du monde à deux sphères, celle du privé et celle du public. Elle néglige l’existence centrale de la sphère du travail, qui est fondamentalement politique. L’organisation du travail, que l’entreprise soit privée ou publique, structure la société toute entière.
Seuls les fonctionnaires peuvent s’y retrouver dans les deux sphères laïques. La sphère publique inclut pour eux à la fois l’environnement administratif, le politique et leur environnement de travail. Mais la grande majorité des travailleurs ne sont pas dans cette situation. Ils sont nommés bizarrement "ceux du privé", comme s’ils ne faisaient pas partie de l’espace public. La confusion du terme "privé", entre le sens de confessionnel, de personnel ou de "corporate", permet toutes les supercheries.
Les mêmes qui ignorent l’existence centrale de la sphère du travail s’étonnent hypocritement que les syndicats français attirent essentiellement des fonctionnaires. Quand donc condescendront-ils, eux qui prétendent à l’universalité, à se débarrasser de concepts qui ne fonctionnent que pour eux ?
La laïcité est un obstacle à l’émergence des nouveaux droits fondamentaux. La fiction d’une sphère privée comme univers non-politique a freiné l’émergence des droits de la femme en France (voir, par exemple, l’article de Monique Crinon). La même fiction est incapable d’expliquer l’émergence de la responsabilité écologique, qui dépasse les notions de public et de privé. Elle est aujourd’hui désorientée par les revendications du droit à l’identité. Elle est inopérante pour trouver des réponses aux épidémies. Les réponses strictement laïques ne font qu'obscurcir ou envenimer ces questions.
La démarche citoyenne est une tentative pathétique pour concilier la laïcité avec les nouvelles nécessités. C'est le grand retour de l'abnégation, vertu républicaine à l'usage exclusif des pauvres bougres, et qui transforma nos ancêtres en chair à canon.
La laïcité fait partie de la galaxie Gutenberg. C’est celle du livre imprimé, répandant un message normalisé et accessible à tous. C‘est la galaxie de l’Etat-nation et de l’alignement citoyen. Le message de la laïcité est un catalogue de normes à vocation universelle. Le pluralisme, considéré comme ingérable, est refoulé dans la sphère privée et dans le non-politique.
Aujourd’hui, les nouvelles technologies nous ont fait changer de galaxie. Nous sommes dans celle de l’écran connecté, des messages personnalisés et des communautés. Les domaines économiques, culturels et politiques peuvent gérer ces nouvelles formes d’organisation. Etre laïque, c’est s’accrocher à la norme qui descend des autorités publiques. La fin de l’alignement citoyen n’est pas l’anarchie, mais l’entrée dans de nouvelles formes d’organisation, rendues possibles par les technologies.
L’extension du domaine politique en situation de crise, que celle-ci soit financière, sociale, sanitaire ou écologique, exige une remise en cause des vieilles façons de penser. On ne peut pas aborder le problème de la grippe mexicaine, des rémunérations patronales ou du réchauffement climatique avec les catégories public-privé. Les nouvelles questions exigent des réponses entièrement nouvelles. Il faut sortir des anciens principes devenus inopérants, et d'abord de la paresse qui empêche de les remettre en cause. Le dualisme laïque est aujourd'hui inadapté, pour ne pas dire toxique.
Prenons un exemple. l’UNESCO considère que la diversité linguistique fait partie de la politique mondiale. Elle répertorie la langue bretonne parmi les langues sérieusement en danger. La laïcité française considère pour sa part la langue bretonne comme une question non-politique, faisant partie de la sphère privée. Certes, elle recule continuellement devant les demandes de la société civile : signalisation bilingue, écoles bilingues. Mais elle persiste à mener des combats d’arrière-garde : sourdes manœuvres de rectorat contre la langue bretonne, stupides restrictions dans les services publics comme la Poste ou la SNCF.
L’intelligence peut-elle accepter aujourd’hui les limitations mentales imposées par la laïcité, sous le prétexte qu’elles furent libératrices dans le passé ?
La laïcité est un concept pré-industriel. Les penseurs de la révolution industrielle, comme Adam Smith, Ricardo et surtout Marx, ont placé le travail et les rapports économiques au centre du politique. La laïcité, issue de la pensée des Lumières, limite l’analyse du monde à deux sphères, celle du privé et celle du public. Elle néglige l’existence centrale de la sphère du travail, qui est fondamentalement politique. L’organisation du travail, que l’entreprise soit privée ou publique, structure la société toute entière.
Seuls les fonctionnaires peuvent s’y retrouver dans les deux sphères laïques. La sphère publique inclut pour eux à la fois l’environnement administratif, le politique et leur environnement de travail. Mais la grande majorité des travailleurs ne sont pas dans cette situation. Ils sont nommés bizarrement "ceux du privé", comme s’ils ne faisaient pas partie de l’espace public. La confusion du terme "privé", entre le sens de confessionnel, de personnel ou de "corporate", permet toutes les supercheries.
Les mêmes qui ignorent l’existence centrale de la sphère du travail s’étonnent hypocritement que les syndicats français attirent essentiellement des fonctionnaires. Quand donc condescendront-ils, eux qui prétendent à l’universalité, à se débarrasser de concepts qui ne fonctionnent que pour eux ?
La laïcité est un obstacle à l’émergence des nouveaux droits fondamentaux. La fiction d’une sphère privée comme univers non-politique a freiné l’émergence des droits de la femme en France (voir, par exemple, l’article de Monique Crinon). La même fiction est incapable d’expliquer l’émergence de la responsabilité écologique, qui dépasse les notions de public et de privé. Elle est aujourd’hui désorientée par les revendications du droit à l’identité. Elle est inopérante pour trouver des réponses aux épidémies. Les réponses strictement laïques ne font qu'obscurcir ou envenimer ces questions.
La démarche citoyenne est une tentative pathétique pour concilier la laïcité avec les nouvelles nécessités. C'est le grand retour de l'abnégation, vertu républicaine à l'usage exclusif des pauvres bougres, et qui transforma nos ancêtres en chair à canon.
La laïcité fait partie de la galaxie Gutenberg. C’est celle du livre imprimé, répandant un message normalisé et accessible à tous. C‘est la galaxie de l’Etat-nation et de l’alignement citoyen. Le message de la laïcité est un catalogue de normes à vocation universelle. Le pluralisme, considéré comme ingérable, est refoulé dans la sphère privée et dans le non-politique.
Aujourd’hui, les nouvelles technologies nous ont fait changer de galaxie. Nous sommes dans celle de l’écran connecté, des messages personnalisés et des communautés. Les domaines économiques, culturels et politiques peuvent gérer ces nouvelles formes d’organisation. Etre laïque, c’est s’accrocher à la norme qui descend des autorités publiques. La fin de l’alignement citoyen n’est pas l’anarchie, mais l’entrée dans de nouvelles formes d’organisation, rendues possibles par les technologies.
L’extension du domaine politique en situation de crise, que celle-ci soit financière, sociale, sanitaire ou écologique, exige une remise en cause des vieilles façons de penser. On ne peut pas aborder le problème de la grippe mexicaine, des rémunérations patronales ou du réchauffement climatique avec les catégories public-privé. Les nouvelles questions exigent des réponses entièrement nouvelles. Il faut sortir des anciens principes devenus inopérants, et d'abord de la paresse qui empêche de les remettre en cause. Le dualisme laïque est aujourd'hui inadapté, pour ne pas dire toxique.
Prenons un exemple. l’UNESCO considère que la diversité linguistique fait partie de la politique mondiale. Elle répertorie la langue bretonne parmi les langues sérieusement en danger. La laïcité française considère pour sa part la langue bretonne comme une question non-politique, faisant partie de la sphère privée. Certes, elle recule continuellement devant les demandes de la société civile : signalisation bilingue, écoles bilingues. Mais elle persiste à mener des combats d’arrière-garde : sourdes manœuvres de rectorat contre la langue bretonne, stupides restrictions dans les services publics comme la Poste ou la SNCF.
L’intelligence peut-elle accepter aujourd’hui les limitations mentales imposées par la laïcité, sous le prétexte qu’elles furent libératrices dans le passé ?
JPLM
Illustration récente d'une haine qui transpire : article de "risposte laïque"

Mercuriale mai 2009