Mercuriale de novembre 2021
11 novembre : commémorer l'ignominie
Face à un devoir ignoble La Première Guerre mondiale a donné à l’institution étatique un droit de vie et de mort sur les citoyens. La particularité de la fidélité envers la France est qu’elle se veut supérieure et opposée à toutes les autres. Au XXe siècle, l’idéologie laïque, typiquement française, a rejeté les fidélités non contrôlées par l’État dans une poubelle qu’elle nomme la sphère privée. L’atroce boucherie de 14-18, qui consacrait le triomphe de l’État français sur toutes les autres solidarités, fut perçue par certains Bretons comme une soumission inacceptable. L’allégeance des enfants, parfois orphelins de guerre, était exigée au nom du sacrifice contraint de leurs pères. Ainsi naquit Breiz Atao, et le rêve séparatiste. La solidarité patriotique, dont la première exigence était le sacrifice des administrés, a été mise à mal par la déroute de 1940. Elle a été rétablie par le récit de la Résistance, réécrit après-guerre, et s’est transmise jusqu’aux années 90 par le service militaire. Violence et solidarités Les commémorations du 11 novembre nous rappellent cet idéal du siècle dernier : obéir à des généraux plus ou moins compétents, plus ou moins humains, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Cet idéal commandait aussi aux enfants de faire de leur père sacrifié un modèle à suivre. Le sacrifice ne fait plus partie des valeurs de nos sociétés évoluées et hyper-individualistes. Lorsque j’étais jeune, mes institutrices parlaient encore avec émotion du sacrifice pour la patrie. A l’église, les religieuses forçaient l’admiration ; elles avaient fait le sacrifice de leur vie à Dieu. Cette manière de penser, qui semblait normale et établie depuis des temps immémoriaux, s’est effacée en quelques années. L’observation nous montre pourtant que le sacrifice n’est pas un mirage. Il arrive que la renonciation volontaire d’un homme ou d’un groupe d’hommes à la liberté ou à la vie a permis d’obtenir un gain sans commune mesure avec la perte consentie. L’insurrection irlandaise d’un millier d’hommes, pendant la Première Guerre mondiale, a provoqué l’insoumission de tout un peuple et l’indépendance d’un pays. Gandhi, en menaçant de mettre fin à ses jours par la grève de la faim, et par son appel "Quit India" pendant la Seconde guerre mondiale, a fait reculer un empire. Le maître de la violence est aussi le maître des
solidarités. Dans une société comme la société française, l’État est le
détenteur de la violence légale. Dans une communauté religieuse comme le
catholicisme, la violence est ritualisée. La messe est le moment où le
sacrifice du Christ est vécu par l’assistance et où donc les solidarités sont
rappelées. Dans une communauté nationale comme la communauté
bretonne, la violence s’exprime par des actes isolés, et aussi par des
manifestations collectives. La violence symbolique ou ritualisée s’exprime lors
de nos fêtes bretonnes. Lors du Carnaval de Douarnenez, le Bolom Meurlarjez,
immense effigie en carton-pâte du roi de la fête, est brûlé à la fin de la
manifestation. La réputation festive des Bretons rejoint sans doute leurs
solidarités tribales. JPLM
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