Mauriac au Figaro

MAURIAC (François)  (1885-1970)




"Dieu n'est pas un artiste ; M. Mauriac non plus"
(Jean-Paul Sartre. NRF Février 1939)


           Je suis toujours surpris et amusé de constater que les grands hommes, qui nous enseignent la valeur intemporelle de leurs convictions, nous enseigneraient plus utilement les avantages des convictions changeantes.
               Il faudrait réserver l'enseignement des vérités définitives aux vaincus définitifs.

          Comme Aragon ou Paul Claudel, François Mauriac fait partie de ces écrivains de la première moitié du XXème siècle, qui brillent dans le ciel de la république comme autant d'étoiles polaires.

          Les années quarante montrent que ces messieurs prestigieux et fortunés (Mauriac possède un vignoble dans le Bordelais, le Chateau Malagar) savent prendre le vent, quelles que soient les directions d'où il souffle. 

Article de François Mauriac dans Le Figaro du 3 juillet 1940 :

      Les paroles du maréchal Pétain, le soir du 25 juin, rendaient un son presque intemporel: ce n'était pas un homme qui nous parlait, mais du plus profond de notre histoire nous entendions monter l'appel de la grande nation humiliée. Ce vieillard était délégué vers nous par les morts de Verdun et par la foule innombrable de ceux qui, depuis des siècles, se transmettent ce même flambeau que viennent de laisser tomber nos mains débiles.
     Une voix brisée par la douleur et par les années nous apportait le reproche des héros dont le sacrifice, à cause de notre défaite, a été rendu inutile... 

Article du même dans Le Figaro du 15 juillet 1940, après Mers El-kébir :

      Il y a, dans l'excès de malheur, une sorte de paix qui naît de cette certitude que l’on ne saurait tomber plus has : c'est le repos du fond de l'abime. Au soir de l'armistice nous ne pensions pas qu'il put rien nous arriver de pire, et il ne restait à chacun de nous que de veiller et de prier avec notre peuple en agonie... Et puis, tout a coup, ce retournement de l'Angleterre contre nous, ce guet-apens de Mers El-kébir, et tous ces marins sacrifiés...

       M. Winston Churchill se souvient-il de ce qu'il a coûté d'efforts aux ouvriers de l'Entente Cordiale, à Paul et à Louis Cambon, à Delcassé, au roi Edouard VII, pour vaincre la vieille inimitié, pour conjurer cette haine héréditaire qu'entretenaient entre les deux peuples les souvenirs de la guerre de Cent Ans, une histoire sombre et cruelle, jalonnée par le bûcher de Rouen, par Sainte-Hélène, par Fachoda?

      Notre génération avait remonté ce courant... et tout a coup ce suprême malheur, le seul auquel nous ne nous fussions pas attendu, les corps de ces marins que chacun de nous veille dans son cœur : M. Winston Churchill a dressé pour combien d'années, contre l'Angleterre, une France unanime?
       Nous essayons de comprendre, mais rien peut-être ne mesure mieux l'abîme qui sépare les deux peuples que ces gestes de l'un qui paraissent à l'autre inexplicables, monstrueux. Le Désert de l'amour, c'est le titre de l'un de mes premiers romans : ce désert qui sépare les êtres, même qui s'aiment, sépare aussi les nations qui se croient unies. Elles ont longtemps cheminé ensemble la main dans la main, elles ont triomphé, elles ont été vaincues ensemble. Et tout a coup, la plus faible, à l'heure où elle n'avançait plus qu'à peine, ayant perdu beaucoup de sang, se voit assaillie, prise à la gorge, et elle ne reconnaît plus cet horrible visage de Gorgone penché sur elle, ce cher visage qu'elle avait aimé.   

L'hypocrisie de François Mauriac épinglée :

        "Où trouverons-nous plus éclatant, plus cinglant désavoeu de la politique suivie par le grand organe dont vous êtes aujourd'hui l'un des dirigeants ? Inlassablement, ce journal, jusqu'à la fin de 1942, a tressé des couronnes à Pétain et à Laval et a, dans leur sillage, engagé d'excellents Français, dont certains payent aujourd'hui de leur liberté le crime d'avoir trop bien suivi ses conseils. Certes, à partir de Montoire, votre collaboration personnelle à cette feuille resta-t-elle d'ordre littéraire, mais vous n'ignoriez pas quelle marchandise (politique) était vendue sous votre pavillon (de lettres)".
(Jean Maze. François Mauriac, inventeur. dans Ecrits de Paris, Juin 1950)
Mauriac dedicace Dédicace de François Mauriac à un officier allemand (lieutenant Heller) de son roman, La pharisienne, paru en 1941 avec l'accord de la censure allemande.

C'est le lieutenant Heller qui organisa le voyage de sept écrivains français (Marcel Jouhandeau, Jacques Chardonne, Robert Brasillach, Pierre Drieu la Rochelle, Ramon Fernandez, Abel Bonnard et André Fraigneau) au Congrès de Weimar en 1941, sur demande de Goebbels, relayée par Otto Abetz.
L'objectif du congrès était de présenter les qualités du nazisme à l'intelligentsia française, avec qui le lieutenant Heller était en relation et dont il connaissait parfaitement les inoffensives postures de "résistance" (Mauriac, Sartre, Aragon, ...).
            En 1944, quand les carottes sont cuites pour Vichy, on retouve notre auteur dans la Résistance active, au Front National.
Selon la légende, il y aurait été depuis le début. Encore faut-il trouver des alliés pour soutenir ses dires. Ce seront les communistes, bien contents de brouiller les pistes et de s'offrir un académicien comme paravent :

      Nous avons d'ailleurs un moyen bien simple, nous adressant aux gens de bonne foi, de prouver l'indépendance absolue du « Front National » a l'égard des partis politiques, c'est de citer quelques noms pris parmi ceux des personnalités qui composent le comité directeur.

         Les voici : MM. Frédéric Joliot-Curie, Prix Nobel, membre de l'Institut, professeur au Collège de France; François Mauriac, de l'Académie française; Mgr Chevrot, curé de l'eglise Saint-Francois-Xavier, à Paris; Henri Wallon, professeur au Collège de France; Ernest Perney, vice-président d'honneur du parti radical et Radical-Socialiste; Max André, ancien vice-président de la Fédération parisienne du parti Démocrate Populaire; Benoît Frachon, secrétaire de la Confédération Générale du Travail; le révérend Père Philippe, provincial des Carmes de Paris ; J. Debu-Bridel, représentant au C. D. R. de la Fédération Républicaine, directeur politique du journal Front National.
          Nous pourrions y ajouter les noms des membres du Comite directeur de l'Ile-de-France, travaillant côte à côte, dans la plus significative des cordialités : M. le sénateur Paul Fleurot, conseiller municipal de Paris, et M. l'abbé Jeglot, aumônier honoraire du lycée Louis-le-Grand; M. Marcel Cachin, sénateur de la Seine, directeur de I'Humanité, et M. le général Capdevielle, commandant la gendarmerie de l'Ile-de-France, etc.
       Qui croira, à moins d'avoir perdu toute lucidité d'esprit, que ces personnalités dont les origines, la formation spirituelle, les tendances politiques et les milieux dans lesquels ils évoluent sont si divers, puissent rester unies si au sein même du « Front National » un parti quelconque tentait d'accaparer cette organisation pour l'exploiter au profit de sa politique particulière? L'absurdité d'une pareille hypothèse nous dispense d'insister...

(La Marseillaise de Seine-et-Oise, 25 novembre 1944)  

En  Novembre 1945, notre académicien écrit dans Le Figaro, quand les communistes sont au gouvernement :

          Il était impossible d'être dans la Résistance sans se trouver du même côté que les Communistes et mêlé à eux, voilà le fait ; et qu'un gouvernement français pût être formé en dehors d'eux n'était même pas imaginable....

Il peut ensuite, dans l'approbation générale, recomposer son histoire. Interview dans Combat, le 23 novembre 1947 :

                                                J'ai été un gaulliste de la première heure.

Quand les communistes sont  chassés du pouvoir, en 1947, ce n'est plus pareil. De toutes façons, la légende est créée, il n'a plus besoin d'eux. Toujours dans Le Figaro (décembre 1947) Mauriac applaudit, et dénonce au passage Aragon :

C'est dans notre malheur une grande chance que le parti communiste ait reçu l'ordre de se démasquer et de montrer sa vraie figure. Enfant j'avais horreur des masques. Le jour du mercredi des Cendres, à Bordeaux, la ville leur était livrée, et je me souviens de mon malaise devant ces mufles de carton, devant ces monstres sans regard. II m'est toujours resté quelque chose de cette phobie...

Le parti communiste a enlevé son faux nez, sa barbe postiche de M. Prudhomme démocrate et radical. Qu'il en soit remercié. II se montre enfin à visage découvert aux bonnes gens qui lui donnaient leur vote et qui n'en croient pas leurs yeux. Le stalinien qui avait la larme à l’œil au seul mot de liberté, qui veillait jalousement sur la démocratie, qui invitait les ouvriers à la sagesse et au travail et qui, lorsqu'il était poète, jouait les Charles d'Orléans et chantait la doulce France, c'était celui-là qui nous faisait froid dans le dos, et nous nous sentons plutôt rassurés quand, avec sa figure de crime, il travaille à ciel ouvert et exécute froidement son oeuvre de mort...  

Sartre avait tort, du moins en ce qui concerne M. Mauriac.
Applaudissons l'artiste...


Source principale : Dictionnaire des Girouettes. Jean Galtier Boissière. Ed Le Crapouillot N° 37. 1957.

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Contreculture / Mauriac version 1.0