Les Communards


Au delà du mythe ...

La Liberté guidant le peuple
"La liberté guidant le peuple".
Confusion : ce n'est pas la liberté, c'est la France.
 
 
La Commune de Paris est un soulèvement jacobin.
C'est aussi, pour les plus naïfs d'entre nous, un événement-culte. Du fond de la défaite de 1870, la liberté a surgi dans la ville-lumière.

Les acteurs de cet événement, les communards, sont donc forcément des héros citoyens.
 
Et puis les années passent…
En 1878, une bonne partie des Communards déportés en Nouvelle Calédonie participent à la répression des révoltes kanaks, aux côtés des troupes coloniales.
A partir de 1886, plusieurs d’entre eux sont les animateurs du boulangisme, et en font un populisme de gauche, insurrectionnel et xénophobe.
Par la suite, ils élaborent un socialisme national. Au moment de l’affaire Dreyfus, on les retrouve dans les rangs de l’antisémitisme militant.
 
Le socialisme national et l’antisémitisme des communards sont bien attestés. Ils auront une postérité. Selon Zeev Sternhell et Marc Crapez (voir sources, ci-dessous), ils font partie des bêtes immondes qui ont engendré le fascisme français.
 
Quelques références :

Boulangisme : Rassemblement national et socialiste sous le nom du général Boulanger (1837-1891). Ministre de la guerre en 1886, il devient dans l’imagerie populaire le « général Revanche ». En 1887, à l’appel d’Henri Rochefort, il se voit porté par une élection partielle de la Seine, ce qui le met dans une position politique. Renvoyé de l’armée, il entre à la chambre des députés en 1888. Il est soutenu par la Ligue des Patriotes de Déroulède et par l’extrême-gauche. Selon le socialiste français Lafargue, gendre de Marx, « les socialistes entrevoient toute l’importance du mouvement boulangiste, qui est un véritable mouvement populaire, pouvant revêtir une forme socialiste si on le laisse se développer librement » (lettre du 27 mai 1888 à Engels). Inquiété par le gouvernement, le général s’enfuit en Belgique. Il est poursuivi en 1889 pour complot et corruption. Il se suicide en 1891. Son mouvement à la fois nationaliste et socialiste rassemblera les éléments de la tradition révolutionnaire française.
 
Revue Socialiste : Journal des « socialistes indépendants », menés par Malon et Rouanet, qui prône un socialisme national et antisémite. Opposée au socialisme allemand (et en particulier à Marx), la Revue Socialiste se réclame du jacobinisme révolutionnaire. Selon Rouanet, la Révolution Française est le « plus glorieux événement, non seulement de l’histoire de France, mais de l’histoire du monde » (La Revue Socialiste, N° 30, juin 1887, p 581).
 
La France Juive : Livre d’Edouard Drumont, paru en 1886, qui connaîtra un immense succès. Drumont fera du capitalisme une création juive, ce qui lui vaudra une grande sympathie dans les milieux de gauche.
 
Blanqui (Auguste) : Penseur socialiste révolutionnaire, partisan de la solution insurrectionnelle. Il sera emprisonné pendant de longue années, d’où son surnom de « l’enfermé ». Ses disciples, les blanquistes, seront très présent durant la Commune de Paris puis à l’origine d’un socialisme national français, libre-penseur, xénophobe et antisémite. Blanqui est partisan, selon ses propres termes, d'une "dictature parisienne". Il est opposé à la démocratie : “le suffrage universel, c'est l'intronisation définitive des Rothschild, l'avénement des juifs”.
 
Affaire Dreyfus : Crise politique (1894-1906), liée à l’accusation d’espionnage portée contre le capitaine Alfred Dreyfus. L’affaire provoqua un déchainement antisémite en France. Le mouvement antidreyfusard voulait défendre l'honneur de l'armée, tout en jouant sur les cordes antibourgeoise, antisémite et nationaliste.

 
Passons au concret. Des noms !

AMOUROUX (Charles)

Membre de l’Association Internationale des Travailleurs. Elu de la commune de Paris. Secrétaire du Conseil, chargé des relations extérieures. Déporté en Nouvelle Calédonie, il participe activement à la répression de la révolte des Kanaks en 1878.

CLUSERET (Gustave Paul)

Membre de l’Internationale. Combat avec Garibaldi en Italie et avec les nordistes pendant la guerre de Sécession américaine. Elu de la commune de Paris. Délégué à la guerre en avril 1871. Condamné à mort, il réussit à s’enfuir. Il est amnistié en 1880. Député boulangiste du Var. Antisémite militant. En 1887, il entraîne une partie des Blanquistes dans une alliance avec la Ligue des Patriotes de Déroulède. Collaborateur du journal antisémite de Drumont  La Libre parole. Antidreyfusard. En 1885, avec d’autres députés d’extrême-gauche, il dépose un projet de loi de limitation du droit des naturalisés. En 1896, il dépose un projet de loi de limitation du droit au travail pour les étrangers. En 1989, il fait partie des 198 députés qui demandent au gouvernement "quelles mesures il comptait prendre pour arrêter la prédominance des juifs dans les diverses branches de l'administration française".
Opposant, comme Louise Michel, au suffrage universel. "La résultante logique, fatale, de la situation faite par le suffrage universel au prolétariat est son effacement". (Cluseret. Mémoires)
DA COSTA (Gaston) Après la Commune, il est déporté au bagne de l'île Nou. Relance après son amnistie le journal blanquiste Ni Dieu Ni Maître.
En 1895, candidat aux municipales à Grenelle sous une étiquette "socialiste, anti-cléricale et anti-internationale", puis en 1896 comme candidat " socialiste nationaliste".
Anti-dreyfusard libre-penseur, membre du Parti Républicain Socialiste Français.
Adversaire du suffrage universel : " A quel républicain d'éducation fera-t-on croire que les voix de cent, de mille, de cent mille imbéciles valent celle d'un citoyen éclairé ?" (Cité par GR, p 242)
Historien de la Commune.

DENIS (Pierre)

Proudhonien. Communard. Fondateur du journal La Voix du peuple. Collaborateur de Jules Vallès au Cri du peuple. Il sera un des derniers boulangistes.
EUDES (Emile)
Libre-penseur anticlérical. Elu de la Commune de Paris. Héritier spirituel de Blanqui. C’est lui qui entraîne les blanquistes dans l’aventure boulangiste, avec l’entremise de Rochefort. Il meurt en 1888.
FLOURENS (Gustave) Républicain d’extrème-gauche, collaborateur d’Henri Rochefort au journal La Marseillaise. Elu de la commune en 1871. Nommé général. Tué le 8 avril 1871 au cours d’une échauffourée entre Communards et Versaillais. Professeur au Collège de France en 1863. Il établit une méthode linguistique et anatomique pour classifier les races humaines.
Pour en savoir plus : Gustave Flourens
GRANDIER (Albert) Communard. Il est déporté en Nouvelle Calédonie où il devient fou. Précurseur de l'anticommunautarisme. Il demande à la Commune de " ... prendre des mesures très énergiques contre les étrangers qui méconnaissent à ce point leur devoir de reconnaissance pour la généreuse hospitalité que la France leur accorde. Nous sommes depuis trop longtemps envahis par une nuée de parasites de tous les pays qui profitent de tous les droits, de tous les avantages des Français eux-mêmes et qui ne sont liés par aucun de leurs devoirs" (L'affranchi N° 16. Cité dans GR,  p 71)
GRANGER (Ernest) Un des plus proches disciples de Blanqui, cofondateur du Comité Révolutionnaire central. Rédacteur en chef du Cri du peuple après la mort d’Eudes. Rédacteur au journal Ni dieu ni maître. Antisémite, partisan du socialisme national.
"Nous aussi, après Blanqui et Tridon, nous sommes, philosophiquement, des antisémites. Nous pensons que le sémitisme a été funeste au génie aryen et nous déplorons que le sombre, persécuteur, impitoyable monothéisme juif ait triomphé des libres et naturalistes religions gréco-romaines. A cet égard, nous sommes même beaucoup plus antisémites que Drumont et Morès, car nous, nous n'oublions pas que le christianisme est une religion sémitique, fille du judaïsme, et nous avons une égale horreur du juif Jésus et du juif Moïse".(Cité dans GR, p 202)
Député boulangiste de la Seine en 1889.

Traité d’ « idiot » par Engels, exaspéré par le chauvinisme du socialiste français.
HUGUES (Clovis) Membre de la Commune de Marseille. Fondateur de La Voix du Peuple. Premier député socialiste de la IIIème république en 1881 Anticlérical et antisémite. Collaborateur de La Libre Pensée en 1880. En 1892, il collabore aux journaux antisémites La Libre Parole et La Délivrance du Peuple. Antidreyfusard militant. Membre de la Ligue des Patriotes de Déroulède.
HUMBERT (Alphonse) Communard. Collaborateur de Vermersch au Père Duchesne en 1871 Député radical-socialiste en 1893. Anti-dreyfusard. Sur les pogroms antisémites en Algérie, il considère que les antisémites locaux sont "des Français très modernes, libre-penseurs pour la plupart" (Cité par GR, p 230)
LAFARGUE (Paul) 1842-1911. Gendre de Marx. Participe à la Commune. "A entendre ce document, ce sont les descendants du pouilleux marchand de vieux habits de Francfort qui ont créé le crédit et la prospérité de la France, parce que, eux, si modestes encore en 1816, ont prélevé des centaines de millions sur la fortune sociale de la France, et sont aujourd'hui plus puissants et plus servilement servis que le tsar blanc de toutes les Russies. L'ultimatum est net. Rothschild ne permet la conversion, qui dégrèverait le budget de plus d'une centaine de millions, que s'il peut la tripoter à son profit." (L’ultimatum de Rothschild, 8 janvier 1882)
MALON (Benoît) Adhère en 1865 à l'Association Internationale des Travailleurs. Collaborateur du journal La Marseillaise, de Rochefort. Elu de la Commune de Paris, membre du Comité central des 20 arrondissements Préside en 1882 le Congrès socialiste de Saint-Etienne. Directeur de La Revue Socialiste. Libre-penseur, chef de file des blanquistes. Malon est partisan d’un socialisme national, opposé au socialisme allemand. Admirateur de Drumont, l’auteur de La France Juive.
« Oui, la noble race aryenne a été traître à son passé, à ses traditions, à ses admirables acquis religieux, philosophiques et moraux, quand elle a livré son âme au dieu sémitique, à l’étroit et implacable Jéhovah.
(…) En brisant le cœur et la raison aryens, pour croire aux radotages antihumains de quelques juifs fanatiques, butés et sans talent (voyez Renan) ; en faisant de la littérature d’un peuple dont toute l’histoire ne vaut pas pour le progrès humain une seule olympiade d’Athènes, on a autorisé les fils de ce peuple choisi, de ce "peuple de Dieu", à nous traiter en inférieurs » (La question juive. Revue socialiste N°18, juin 1886. P509-511)
MARTINE (Paul) Normalien et agrégé histoire. Un des rares universitaires communards. Socialiste et ardent boulangiste. Radicalement ennemi de la "théorie humanitaire" (c'est-à-dire ennemi du socialisme de gauche)
MASSARD (Emile) Communard. Rédacteur au journal L'Egalité, de Jules Vallès. Organisateur en 1878 du Congrès international ouvrier. Boulangiste et antisémite. Collaborateur à partir de 1889 du journal La sentinelle de Montmartre, des députés Laisant et Laur.
MAY (Elie) Franc Maçon. Membre de la Commune, directeur de la manufacture des Tabacs. Son honnêteté sera mise en cause par Gustave Tridon (voir plus bas). Député boulangiste. Il devient aussi Vénérable d'honneur ad vitam aeternam de la Loge Les Trinitaires.
MICHEL (Louise) « Vierge rouge » de la Commune de Paris. Déportée en Nouvelle Calédonie. A propos du général Boulanger : "Nous le croyons sur parole tant que ses actes ne prouvent pas le contraire" (cité par GR, p 185)
Par amitié pour son "frère" Rochefort, elle refusera de prendre parti pour Dreyfus.

En 1890, elle participera à un meeting aux côtés du marquis de Morès, fondateur de la Ligue Antisémitique (Une réunion anarchiste. Le Petit Journal, 16 avril 1890.)
MILLOT (J.E.) Communard, auteur en 1889 de l'appel Aux prolétaires de France. Gérant du journal antisémite La Libre Parole.
OSTYN (François-Charles) Elu de la commune de Paris. Da Costa, dans La Commune Vécue, l’associe à Babick et le range parmi les illuminés, "disciples fervents d’Allan Kardec, apôtres de la transmigration des âmes, du fluide sympathique, du baquet mesmérien, de l’élixir de Cagliostro et de la seconde vue du comte de Saint-Germain".
PLACE (Henri)
(dit VERLET)
Communard blanquiste Libre penseur voltairien et antisémite notoire.
"Le tort de Sarcey, en cette occurence, est de ne pas nous avoir expliqué comment il peut être à la fois un "vieux disciple de Voltaire" et aller contre la campagne antisémitique dont le nommé Voltaire fut un des plus brillants coryphées" (Le réveil du peuple N° 13)
Candidat boulangiste en 1890
PYAT (Félix) Elu de la commune de Paris. "Ou c’est un maniaque, ou c’est un agent de la police" (lettre de Marx à Kugelmann, 5 décembre 1868)
RABUEL (Lucien) Collaborateur de La Marseillaise de Rochefort en 1869. Communard. Fondateur du journal Gavroche. Boulangiste et parigo. Dans le journal La sentinelle de Montmartre, il proclame que la butte "est dans la France un point culminant de la démocratie radicale et socialiste. Ce point apparaît au-dessus de Paris, capitale de la Révolution, avec une lumière qui ne vacille jamais. C'est le feu sacré du socialisme". (GR, p 232)
REGNARD (Albert) Leader des étudiants blanquistes. Libre-penseur anticlérical, réprésentant de la France à l’anti-concile de Naples en 1870. Antisémite de choc. Voir en particulier son article Aryens et Sémites, dans La Revue Socialiste, N° 30, juin 1887, p 499. Voici quelques citations de cet article, qui sera suivi de plusieurs autres sur le même sujet :
"La haine du sémitisme était à l’ordre du jour parmi les jeunes révolutionnaires de la fin de l’empire".
"… La réalité et l’excellence de la race aryenne (…) et qui seule est en mesure de préparer et d’accomplir l’achèvement suprême de la rénovation sociale".
Pour en savoir plus : Albert Regnard
ROCHE (Ernest) Socialiste blanquiste. délégué des association syndicales ouvrières au Congrès socialiste de Marseille. Responsable de la rubrique ouvrière de l’Intransigeant. Député boulangiste en 1889. Réélu en 1893, il adhère au groupe socialiste parlementaire. Lors de l’affaire Dreyfus, il rallie le mouvement nationaliste. Président  du Parti Républicain Socialiste Français.
Appel de son comité électoral en  1898 :
"N'oublions pas [...] que dans l'abominable conspiration dreyfusarde qui paralyse les affaires, tue le travail  et déshonore la patrie, Ernest Roche a, par deux fois, à la tribune de la Chambre, démasqué et flétri les traîtres et tous ceux qui, à la solde de la juiverie et de l'Allemagne, visent à affaiblir la France et la République" (source : Michel Winock)
R0CHEFORT (Henri) Directeur du journal d’extrème-gauche  La Lanterne . Déporté en Nouvelle Calédonie après la Commune. Antiparlementariste, antidémocrate révolutionnaire. Créateur de divers mouvements politiques nationaux et socialistes, dont La Ligue Intransigeante Socialiste et le Parti Républicain Socialiste Français.
Animateur du boulangisme de gauche. Antisémite militant, il est une des grandes figures de l’anti-dreyfusisme de gauche. Voir par exemple son article "Le triomphe de la juiverie", Le Courrier de l’Est, 20 octobre 1899. Il y menace les juifs d’un "effroyable mouvement antisémitique".
ROUANET (Gustave) Elu de la Commune de Paris Partisan d’un socialisme national, opposé au socialisme allemand.
Il rend hommage à Drumont : "Sa guerre au capitalisme juif témoigne sans doute d’une préoccupation louable" (La question juive et la question sociale,  La Revue Socialiste. N° 62, février 1890. p 233)
TRIDON (Gustave) Elu de la commune de Paris. Très proche de Blanqui. Libre-penseur antisémite et antichrétien forcené. Auteur du livre Du molochisme juif , œuvre à laquelle, selon Marc Crapez (voir sources) et  Maurice Paz (L’idée de race chez Blanqui, Université d’Aix-en-Provence, 1975), Blanqui lui-même aurait collaboré.
"Les Sémites, c’est l’ombre dans le tableau de la civilisation, le mauvais génie de la terre. Tous leurs cadeaux sont des pestes. Combattre l’esprit et les idées sémitiques est la tâche de la race indo-aryenne".
Pour en savoir plus : 
Gustave Tridon
VERMERSCH (Eugène) Poète. Collabore au Cri du Peuple, puis fonde Le Père Duchêne. Condamné à mort après la Commune, il se réfugie à Londres. Admirateur de Bismarck et de l'usage de la force. La dictature est pour lui le seul moyen du "peuple révolutionnant".
" … un des individus les plus suspects de la petite presse parisienne, un certain Vermersh qui édita sous la Commune  Le Père Duchêne, triste caricature du journal d'Hébert de 1793" (F Engels. Le programme des émigrés blanquistes de la Commune, Juin 1873)


Sources principales :
Zeev Sternhell. La droite révolutionnaire 1885-1914. Les origines françaises du fascisme. Ed Fayard 2000
Zeev Sternhell. Barrès et le nationalisme français. Ed Fayard 2000
Bernard Noël. Dictionnaire de la Commune. Ed Flammarion 1978.
Alexandre Zevaës. Au temps du boulangisme. Ed Gallimard 1930
Marc Crapez. L'antisémitisme de gauche au XIXème siècle. Ed Berg 2002
Marc Crapez. La gauche réactionnaire. Ed Berg 1997. Les citations de cet ouvrage, assez nombreuses, sont mentionnées "GR" dans le tableau ci-dessus.


Retour
Communards version 1.0