Mercuriale de février 2008

"Le camarade Pierre Lambert est décédé ce matin 16 janvier 2008 après avoir combattu jusqu'à ses dernières forces contre la maladie (...).
Jusqu'au dernier moment, le camarade Pierre Lambert est resté partie prenante du combat pour l'émancipation ouvrière."

(communiqué du Parti des Travailleurs du 16 janvier 2008)
 
Un vocabulaire unique ("combat", "dernières forces")
permet de confondre dans une même vision héroïque l'agonie d'un homme et l'émancipation ouvrière. Mais pour la république française, qu'importe les délires confusionnels. Elle sait reconnaître et remercier ses bons serviteurs. Dans la dépêche de l'AFP annonçant son décès, et qui sera reprise telle quelle dans de nombreux journaux et sites internet, Lambert est déjà mythifié, afin d'entrer au panthéon de la mère-patrie.
"Ancien de la Résistance où il avait adopté son pseudonyme, ce représentant de la vieille garde du mouvement ouvrier a exercé une influence intellectuelle considérable sur l'extrême gauche française d'après-guerre."

Et d'un, son pseudonyme n'est en aucune manière lié à la Résistance, mais aux habitudes du mouvement trotskyste de l'époque. Et de deux, ce n'est pas un ancien de la Résistance, loin s'en faut. Il a travaillé pendant toute la guerre au défaitisme révolutionnaire et à la fraternisation avec les soldats allemands. Voir à ce sujet l'étude sur le national-trotskysme.
Ce Pierre Boussel-Lambert représentait-il la "vieille garde du mouvement ouvrier"? Non. Il représentait l'arrière-garde du sans-culottisme français.
Le sans-culotte est facile à reconnaître. Farouche défenseur de ses rentes, primes et statut au nom des conquêtes sociales, il "lutte" pour la suppression des avantages qu'il n'a pas, au nom de l'égalité. Il maudit les accapareurs, c'est-à-dire les plus riches que lui. Il confond révolution et coup de force parisien.
C'est un champion de la défiance (on ne lui la fait pas). Il considère tout contradicteur comme un ennemi du peuple.
Les sans-culottes ont toujours entretenu avec le mouvement ouvrier des rapports passionnels et des quiproquos. Marx considérait la révolution française comme une révolution bourgeoise. Sociologiquement, les sans culottes ne sont pas les prolétaires, mais des petits bourgeois parisiens corporatistes. 45,3% d'entre eux sont des maîtres artisans, et une bonne partie emploient des ouvriers¹. Les sans-culottes actuels sont sociologiquement les mêmes, le prototype étant l'agent de maitrise ou le cadre moyen d'un corps de la fonction publique. Pierre Boussel était contrôleur aux Allocations Familiales de Paris, puis permanent syndical.
Parmi les sans-culottes actuels, les premiers considèrent que la Révolution française est indépassable. Ils voient dans le marxisme une hérésie et un scandale. Ils se sentent à l'aise au Front National, car Jean-Marie Le Pen connaît la manière de les émouvoir. D'autres considèrent que le marxisme est l'idéologie qui sublime la révolution française. Ils s'approprient Marx et en font l'héritier -malgré lui- de Babeuf, Hébert ou Marat.
Les deux branches du sans-culottisme ne sont pas franchement antagonistes. Il existe des passerelles, en particulier l'anti-mondialisme et l'anti-communautarisme, installées par la Libre pensée ou certaines obédiences maçonniques.
 
Le sans-culotte a toujours été un garçon hardi mais désordonné. Il a besoin d'un parrain. Au XXème siècle, le sans-culotte du PCF se complaisait dans l'ombre soviétique, tandis que le sans-culotte fasciste collaborait avec l'Allemagne nazie. Au XXIème siècle, le Parti des Travailleurs survit dans l'ombre du jacobin. Son exaltation de la république une et indivisible s'ajuste opportunément à la négation des minorités nationales et au maintien de l'ordre centralisé. Il est le sacristain qui maintient l'éteignoir sur les revendications identitaires, tandis que le curé jacobin entonne son cantique à l'obéissance citoyenne.
Avant d'être un parti de gauche, le Parti des Travailleurs de feu Boussel-Lambert est un parti sans-culotte. Il n'imagine, face aux questions modernes, que des réponses antiques. Glorifier la république une et indivisible. S'opposer à toute réforme des institutions. Maintenir 36 000 communes. Se défier de l'influence étrangère, et pour cela rejeter la Communauté Européenne. Craindre les identités choisies et les préoccupations spirituelles. Plaignons le jeune écervelé qui, au moment de son adhésion, vieillira de deux cent dix-neuf ans d'un seul coup.
 
Le lambertisme survivra t'il à Pierre Lambert ? Nul ne le sait. L'arrogance conduit à la paresse intellectuelle et à l'arbitraire, mais elle fait aussi partie des traditions françaises les plus durables. Soyons néanmoins optimistes. Le sans-culottisme peut nous être utile. En Bretagne ou ailleurs, il justifie le désir de construire un avenir en phase avec le monde, c'est-à-dire séparé de l'archaïsme français.
 JPLM
1 Albert Soboul Les Sans-culottes parisiens de l'an II, Ed du Seuil, 1968


Retour
Contreculture / Mercuriale 08_02