Mercuriale de mai 2008


 « Il faut placer l’indigène en position de s’assimiler ou de disparaître »

     Paul Bert, héros de la laïcité et de la République, résumait ainsi sa stratégie lorsqu’il devint résident-général du protectorat de l’Annam-Tonkin, l’actuel Vietnam, en 1886.
         Après la guerre 39-45, on tenta de passer du concept d’assimilation au concept d’intégration. L’idée était que la citoyenneté formait un lien suffisant, et que l’homogénéité culturelle ou raciale était inutile. Ce projet d’unité, moins brutal, moins colonial, a été un échec dans une France imprégnée (par Paul Bert entre autres) d’arrogance culturelle et raciale. Personne n'y a cru. Mais tout le monde a fait semblant d'y croire.

        Concrètement, la plupart des colonies ont refusé l’intégration, de manière plus ou moins polie, plus ou moins violente. Les minorités nationales, à l’intérieur de l’Hexagone, n’y ont vu aucune opportunité nouvelle. L’intégration n’a fait rêver personne.
        Du côté français, l’intégration n’a pas été mieux acceptée. Le Gaullisme est venu balayer ce rêve né avec la victoire sur le nazisme. Aujourd'hui, l'ONU constate que l’intégration à la française est un mythe. La diversité est un sujet de discours, et rien d'autre. L'alignement citoyen, la confusion entre égalité et similitude, la norme culturelle, tout cela modèle l'univers intime du Français moyen, et non pas seulement ses traditions administratives.
« À l’heure actuelle,les membres des minorités visibles partagent largement le sentiment que pour être pleinement acceptés, il ne leur suffit pas de devenir citoyens français et qu’il leur faut se prêter à une assimilation totale, ce qui les contraint à rejeter des éléments essentiels de leur identité. Ce n’est qu’en trouvant un moyen de changer de couleur de peau et en dissimulant la pratique de leur religion ou les traditions de leurs ancêtres qu’ils seront acceptés comme étant véritablement Français. » (rapport Gay MacDougall, ONU, mars 2008)

      Vous rêvez d’être à la fois breton et français. Vous croyez en la devise Liberté-égalité-Fraternité. Vous revendiquez des parents morts pour la France lors des deux guerres mondiales. Vous applaudissez à toutes les démarches citoyennes. Cependant, au moment où vous pensez émouvoir au spectacle de vos efforts, vous voyez s’allumer l’ironie. Oui, vous avez un accent, un façon de parler, des gestes qui vous trahissent. Vous êtes un citoyen français, soit ; mais vous êtes d’abord un plouc, au mieux un provincial.
        Vous êtes un indigène de la république. Quand vous allez en vacances dans le pays de vos origines, vous défendez la France contre les sarcasmes des parents ou des amis. Vous la proclamez sincère et généreuse. Vous exhibez vos papiers d’identité français avec jubilation. Mais vous cachez votre frustration quotidienne. Lorsqu’en France la police paraît, c’est toujours vous qui êtes contrôlé. On vous tutoie spontanément, comme on tutoie un enfant.
       Vous êtes un Ch’ti chaleureux, amical, ouvert aux autres. Mais, pour un vrai parisien, descendant des sans-culottes et supporter du PSG, vous êtes forcément pédophile, chômeur, consanguin. De toutes manières, il sait mieux que vous qui vous êtes, et ce qu'est un authentique français. Je ne sais pas si cela vous consolera, mais nous autres Bretons sommes étiquetés alcooliques, hydrocéphales, immondes (voir : Practice).
       Nous avons tous fait cette expérience décevante : la France nous ouvre les bras, nous y avons cru. Mais il y a toujours une raison, qui tient à notre identité première, pour que ces bras accueillants ne se referment jamais sur nous.

        Autrefois nous chantions en choeur, mi blagueurs, mi-sérieux :
"La République nous appelle
Sachons vaincre ou sachons périr
Un Français doit vivre pour elle
Pour elle un Breton doit mourir !"

      Nos pères et nos grands pères, rescapés de guerres mondiales, souriaient tristement et ne disaient rien. Depuis, j'ai compris qu'il y avait dans ce détournement des paroles du Chant du départ  une vérité nécessaire, mais difficile à exprimer.
     Arrêtons de tourner autour du pot. Courir après l'amour d'une France qui se dérobe sans cesse, c'est se livrer à un jeu pervers. Nous pouvons exister sans jouer cette comédie absurde. La République française a un objectif qui ne nous convient pas : elle veut posséder notre cœur et nous déposséder de notre cerveau.
      Privés de ses sollicitudes, nous ne vivrons pas dans l'isolement, ni dans la misère affective. Il nous faut nous tourner vers d’autres peuples, vers d'autres pays, vers les organisations internationales. Ils ont des manières moins possessives. Ils ne nous promettent pas l’amour.
        En revanche, ils peuvent nous offrir la reconnaissance et le respect de notre identité.

JPLM


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