Houphouët Boigny député
Félix Houphouët-Boigny (1905-1993)
L'homme qui a aboli le travail forcé dans la législation française

Abolition du travail forcé




Loi Houphouët-Boigny du 11 avril 1946


                Le 25 septembre 1926, la Société des Nations adopte une convention préconisant notamment la répression de l'esclavage. Cette convention fait référence au travail forcé, sans le condamner vraiment car il pouvait "être exigé pour des fins publiques".
               En 1930, le Bureau International du Travail adopte une convention visant à supprimer le travail forcé "sous toutes ses formes dans le plus bref délais possible".
              En 1946 les Nations unies proclament dans l'article IV de la Déclaration universelle des droits de l'homme que "nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes".

          Les différentes abolitions de l'esclavage ne sont que des étapes dans l'interdiction de considérer un homme comme une marchandise ou un outil, à titre provisoire ou définitif. Le couronnement du processus est l'interdiction du travail forcé.

             Pratiquement, la principale différence entre le travail forcé et l’esclavage est que le travail forcé est limité dans le temps. Cette limitation peut être considérée comme un progrès, s'il est possible de s'exprimer ainsi à propos de deux abjections. Mais elle a pour conséquence que la préservation de l’investissement humain n’est plus gérée  par le colon. D’où une destruction aveugle des sociétés indigènes et une mortalité bien supérieure que dans le cadre de l’esclavage.

Texte de la loi de 1946, dite loi Houphouët-Boigny

                   La loi sur l’interdiction du travail forcé dans les territoires d'outre-mer n’a pas été initiée par un Français. Il ne faut pas trop leur en demander (Voir le chapitre : La France se construit de l'extérieur). Elle est le fruit du combat d’un planteur ivoirien, élu député en octobre 1945, Félix Houphouët-Boigny, qui en fut l'initiateur et le rapporteur.
 
Loi N° 46-645 du 11 avril 1946 tendant à la suppression du travail forcé dans les territoires d’outre-mer.
 
L’Assemblée nationale constituante a adopté,
Le Président du Gouvernement provisoire de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
 
Art. 1er . Le travail forcé ou obligatoire est interdit de façon absolue dans les territoires d’outre-mer.

Art. 2. Tous moyens et procédés de contrainte directe ou indirecte aux fins d’embaucher ou de maintenir sur les lieux du travail un individu non consentant feront l’objet d’un texte répressif prévoyant des sanctions correctionnelles.

Art. 3. La présente loi abolit tout décret et règlement antérieur sur la réquisition de la main d’œuvre, à quelque titre que ce soit.
 
La présente loi, délibérée et adoptée par l’Assemblée nationale constituante, sera exécutée comme loi de l’État.
 
Fait à Paris, le 11 avril 1946

  FELIX GOUIN
  Par le Président du Gouvernement provisoire de la République
 
  Le ministre de la France d’outre-mer
MARIUS MOUTET
 
  Le garde des sceaux, ministre de la justice,
PIERRE-HENRI TEITGEN
Loi Houphouët-Boigny

               Ce texte devrait être, avec la loi Lamine Gueye , considéré comme une des étapes les plus importantes dans l'histoire du progrès démocratique en France.
                  Mais non, ce n'est pas le cas.. On ne les commémore pas.

               Les deux textes ont été obtenus par des Noirs, ce qui est très perturbant. L'idéologie française voudrait que la France apporte aux Noirs les lumières démocratiques, et non l'inverse.

Esclavage et travail forcé

               L’abolition de l’esclavage de 1848 en France, oeuvre de Victor Schoelcher, supprime le travail forcé imposé par des particuliers. Pour raisons humanitaires, certes, mais aussi parce qu'il risquait de déstabiliser les colonies.

             Le préambule du décret du 27 avril abolissant l'esclavage est très clair sur son objectif de désamorcer un soulèvement :

           Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; Qu'en détruisant le libre arbitre de l'homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; Qu'il est une violation flagrante du dogme républicain " Liberté-Egalité-Fraternité ";
           
           Considérant que, si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l'abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres (...)


           L'argument est d'ailleurs un argument majeur et constant de Victor Schoelcher, qui est anti-esclavagiste parce qu'il est partisan de la colonisation :

                   " Il y avait mille fois plus de danger à différer l’abolition qu’à la donner. Les colonies ont été sauvées par l’émancipation.
               … Tout délai eut porté les Nègres à la révolte… Le gouvernement provisoire n’a pas été imprévoyant, il s’est bien rendu compte de tout, il a agi avec un louable empressement, mais sans légèreté, et c’est pour sauver les maîtres qu’il a émancipé les esclaves.
                    … Les Nègres ne manqueront pas aux champs de canne, témoins de leurs douleurs et de leur opprobre passés, quand l’indemnité soldée, quand les banques coloniales constituées fourniront de quoi les payer, quand on les y amènera, je le répète, par de bons traitements, par la persuasion, par l’appat d’une juste rémunération sous quelque forme qu’elle se présente, enfin par l’éducation et les besoins qu’elle fait naître en nous. "
(Victor Schoelcher, Esclavage et Colonisation, textes choisis et annotés par Emile Tersen, Ed PUF 1948)

               La loi de 1848  interdit l'esclavage privé. Il nationalise le droit à l'esclavage, qui réapparaîtra sous la forme de travail forcé imposé aux indigènes par l'Etat. L'Etat permettra des privatisations partielles du travail forcé, accordé aux compagnies dites "concessionnaires".
           Dans le principe, le travail forcé sera justifié par la troisième République française de deux façons. D’abord par le passage de l’impôt en argent à l’impôt en travail ; ensuite par la nécessité publique des grands travaux, gourmands en main d’oeuvre.
          Le travail forcé, service public, remplace l’esclavage, service privé. Pour le mettre en pratique, partout dans l’empire français, les méthodes sont les mêmes : réquisitions, assignations des « improductifs », rafles.
 
          " Ces prestations étaient  effectuées le plus souvent dans des conditions effroyables : déplacement de populations entières, travail forcené et démesuré, discipline de fer et usage intempestif de la chicote, hygiène et nourriture plus que défaillantes, salaires de misère.
              … Si la Grande-Bretagne eut peu recours au travail forcé, la France, la Belgique et le Portugal en firent un très large usage, institutionnalisant le procédé : dans leurs colonies, celui-ci concernait des millions d’Africains ".
(Afrique Noire, Histoire et civilisations Tome 2. Elikia M’Bokolo. Ed Hatier Coll. Universités francophones.1992)
 

Madagascar :

               En 1897, le général Gallieni, gouverneur de l'île, généralise l'usage du fanompoana (corvée) de 50 jours par an à tous les Malgaches mâles de 16 à 60 ans.
 
          " L'esclavage à aucune époque n'avait atteint ce caractère de cruauté et les fonctionnaires exploitaient les corvéables jusqu'à l'extrême limite de leurs forces. On a établi que le fanompoana (corvée) causait la mort de 20 % des travailleurs employés.
        ... Malgré les services rendus par le fanompoana à Madagascar, il aurait mieux valu ne jamais l'appliquer que de soumettre tout un peuple à la condamnation aux travaux publics. "
Source : Basset, Thèse de doctorat en droit , Paris, 1903. Citée par A. Rakotondrainibe, Journées d'études malgaches , 1955, p. 19-20

       " Dès 1916, l'administration utilisait la persuasion active pour alimenter les chantiers en travailleurs. Mais en 1919, une méthode plus radicale est mise en place : le Telopoloandro, ou corvée rémunérée de 30 jours. Son origine remonte à l'arrêté du 7 avril 1916, qui l'instituait au profit des exploitants de graphite. Sur intervention du ministre, ce texte fut rapporté en octobre 1916. Mais, comme si de rien n'était, il sert de base aux rafles de travailleurs effectuées dans la province de Moramanga tout au long des années 1917 à 1920 pour la construction du chemin de fer M.L.A. (Moramanga - lac Alaotra)
       Dans le Vakinankaratra, la corvée de 30 jours semble dater du premier semestre 1919 : c'est ce que suggère le mémorandum du pasteur Parrot. Citant le cas de nombreux indigènes des régions d'Antsirabe et Betafo, d'abord réquisitionnés en mai-juin 1919 comme porteurs pour 2 voyages de Betafo à Miandrivazo, puis expédiés sur les chantiers de route et de reboisement sur le domaine forestier du chemin de fer, il ajoute:

" Ces corvées terminées, dénommées les 30 jours, bien qu'elles aient duré en moyenne de 40 à 60 jours, et au moment où les susdits cultivateurs se préparaient à labourer leurs rizières..." (Nous sommes donc en octobre), " un grand nombre d'entre eux furent expédiés aux chantiers de chemin de fer où la plupart restèrent 60 à 80 jours ".
     De nombreux paysans auraient fait ainsi 150 jours de corvée en 1919, pour des salaires dérisoires. "
- A.R.M. D-364 CC - " Mémoire présenté à M. le colonel Garbit, Gouverneur Général de Madagascar et dépendances, sur les abus dont la population malgache est victime dans la province du Vakinankaratra ", 10 11 1920.
Source   : Jean Fremigacci, Mise en valeur coloniale et travail forcé : la construction du chemin de fer Tananarive-Antsirabe (1911-1913), Omaly sy Anio n°1-2 1975 , p. 102-103
   
             Le SMOTIG (Service de la Main d’œuvre pour les Travaux d’Intérêt Général), fixé par décret du 3 juin 1926, est créé par le gouverneur général Marcel Olivier en vue de procurer la main-d'œuvre aux travaux publics. Il impose aux jeunes Malgaches une période de trois ans, puis deux ans, de travail forcé.
             Les travaux imposés sont extrêmement pénibles. Le chantier de la ligne ferroviaire F.C.E.  commencent le 1er juin 1927 avec un effectif de 500 hommes, chiffre qui augmente progressivement pour atteindre 8 300.
        La multiplicité des ouvrages d'art, souterrains pour la plupart, indique assez le profil difficile de la ligne. Elle part de Fianarantsoa, point culminant du tracé à l'altitude de 1093m, traverse la plaine de la Matsiatra, puis descend la falaise passant de la cote 1 054 à la cote 385 en 25km. Elle emprunte ensuite la vallée de Faraony qu'elle quitte en franchissant une chaîne de collines pour se diriger sur Manakara à la cote 4, à travers la vaste plaine des marais d'Ambila. La FCE passe par 16 gares se succédant à une distance moyenne de 10km.

Guyanne

           Après l'abolition de l'esclavage en 1848, la loi du 30 avril 1849 prévoit une indemnisation des maîtres pour la perte de leurs esclaves. En Guyanne, il est demandé aux anciens esclaves d'indemniser eux-mêmes les maîtres, en consentant à un travail forcé de douze années, sans salaire. Beaucoup d'entre eux fuient vers la forêt amazonienne, le Surinam ou les Antilles.

Sénégal

         " Les administrateurs, les commandants militaires des cercles reçoivent I'ordre de recruter dans leurs districts un nombre determiné de sujets ; en même temps, on met a leur disposition les sommes importantes que cette opération exigera. A partir de ce moment, dans ces postes-là, le registre des engagements volontaires (?) est ouvert, c'est-à-dire que les caravaniers marchands d'esclaves sont admis a présenter au commandant leur marchandise; à partir de ce moment aussi, le genre de trafic auquel on va se livrer ne s'appellera plus la traite mais un acte de libération, l'esclave ne sera plus un esclave mais un engagé.
          Ces malheureux arrivent escortés par leurs maîtres, dans un état de complète nudité". [...] Ils ont presque toujours le carcan au cou et des entraves aux mains. [...] Quant au négrier muni du restant de la somme (les deux tiers environ), il se replonge dans la brousse pour se livrer plus ardemment encore à la chasse à l'homme, le trafic des esclaves étant, grâce à ce débouché, plus lucratif pour lui que les autres commerces, et d'une sécurité absolue. "
Témoignage sur  les années 1885-1889 dans La Gloire du sabre de Paul Vigné d'Octon
(cité par Gilles Manceron, Marianne et les Colonies)
            En 1905 on dénombre 300 000 personnes "non-libres", soit plus du tiers de la population.

Côte d’Ivoire

         " De 1 franc 50 en 1925, le salaire journalier est passé à 3 francs 50 pour 6 moix d’engagement et 4 francs pour un mois d’engagement en 1945. Les femmes et les enfants ont 2 francs 25 par jour. Les uns et les autres ne sont ni payés ni nourris les dimanches et jours fériés.
         .... Les manœuvres sont obligés, quand ils ont dépensé le peu d’argent qu’ils ont emporté et qu’ils ne peuvent plus en recevoir de leur famille, de travailler le dimanche à forfait chez des planteurs africains voisins ou de fournir du bois sec au marché le plus proche. Certains, en bandes armées, se répandent dans les plantations indigènes où, poussés par la faim, ils s’emparent de force de quoi vivre. D’autres, obligés de terminer le dimanche la tâche qu’ils n’ont pu achever la veille, n’ont même pas le loisir de marauder.
      Parlerons-nous des retenues de salaires pour cause de maladie, retard dans le service ou non-accomplissement du travail assigné et bien au-dessus des forces de ces faméliques "
 (Félix Houphouët-Boigny. Rapport à l’Assemblée nationale constituante, 1946)
 

Congo français

          L'enquête de Brazza en 1905 sur la situation du Congo, révèle que l'eclavage a été rétabli de fait, sous l'autorité de l'administration locale.

          Au cours des années 20, le chemin de fer Congo-Océan a mobilisé 127 250 hommes, totalisant 138 125 années de travail forcé. Ce train fut appelé le "mangeur d’hommes". On évalue les morts pendant le chantier entre 18000 et 23000 travailleurs. 
Chantier de travail forcé en Guinée

Guinée                

En 1905, on compte 400 000 personnes "non-libres" sur une population d'un million d'habitants.
La ligne de chemin de fer Conakry-Kankan est terminée en 1914 grâce au travail forcé des Guinéens.

Niger

                 En 1905, on compte 600 000 personnes "non-libres" dans le Haut-Sénégal-Niger sur 4 millions d'habitants.

              " Ce sont ces non-libres qui travaillent comme manoeuvres sur les chantiers des chemins de fer Kayes-Niger, de 1881 a 1904, et Conakry-Niger, de 1900 a 1914. Un interprète adresse, en 1901, une réclamation a l'administration se plaignant notamment que les morts, trainés a l'écart, ne sont même pas enterrés. " (Gilles Manceron. Voir "sources principales")

               L’idée de la mise en valeur de la vallée du Niger par les cultures d'exportation (riz, coton) naît après la première guerre mondiale. A partir de 1932, à travers l'Office du Niger,  plusieurs millions furent investis, ainsi que des milliers d’heures de labeur des autochtones, dans le cadre du travail forcé. Le principal résultat tangible fut la construction du barrage de Sansanding Markala inauguré en 1947, ainsi que
les canaux du sahel et du Masina.
                 Des centaines de travailleurs moururent pendant la construction du barrage, du fait des mauvaise conditions de travail et d'alimentation.


Indochine

             En 1939-1940, 20 000 travailleurs indochinois furent envoyés en France pour suppléer, dans les usines de guerre, la main d'oeuvre mobilisée.

                Les estimations chiffrent la part des volontaires entre 10 et 30% de l'effectif qui rejoindra la métropole. Les autres furent donc requis et assujettis au travail forcé. Dans l'attente de possibilités de transport vers la Métropole, les requis indochinois furent regroupés dans des camps situés dans les capitales provinciales. Là, sous encadrement militaire, ils étaient immatriculés, tondus, vaccinés et recevaient un uniforme sommaire. L'attente pouvait durer plusieurs mois.
               Ils voyageaient avec des tirailleurs ou des militaires français rejoignant aussi la France. Ils étaient systématiquement logés à fond de cales, sur des bas-flancs installés à la hâte, souvent en compagnie du bétail utile à l'alimentation pendant la traversée.

Extrait du rapport de la 18ème Compagnie :
                " Durant la traversée, les travailleurs étaient sous les ordres d’un Inspecteur de la Garde Indigène parlant annamite. Parqués sur le pont et dans les entreponts, les surveillants et les travailleurs étaient menés comme autrefois les esclaves sur les « négriers », recevant presque tous les jours des coups de cravache, de poings et de pieds …

Pierre Angeli. Thèse de droit "Les Travailleurs Indochinois en France pendant la Seconde guerre mondiale", 1946

                Très rapidement après leur arrivée les travailleurs indochinois rejoignent des cartoucheries, des arsenaux, des poudreries sur l'ensemble du territoire mais à l'arrière des combats. Dans ces établissements, les Indochinois sont utilisés à des opérations pénibles, dangereuses et peu spécialisées telles le remplissage d'obus avec de la poudre explosive. 

                Après la défaite et l'armistice de 1940, les travailleurs indochinois passent à des affectations agricoles et forestières, puis industrielles, et enfin  à l'organisation Todt, pour le compte direct des Allemands.

(Pour une information plus complète, voir le site  www.travailleurs-indochinois.org )

Maroc et Algérie

                 14 000 Marocains et 6 000 Algériens ont été requis et envoyés en métropole entre octobre 1939 et l'Armistice, de la même façon que les travailleurs indochinois...


Sources principales :
République et Colonies. Bernard Mouralis. Ed Présence africaine, Paris. 1999
Brazza et la fondation de l'AEF. René Maran. Ed Gallimard, Paris. 1941
La portée de la citoyenneté dans les territoire d'outre-mer. Doudou Thiam. Sté d'éditions africaines, Paris. 1953
Histoire générale de l'Afrique. tome VII. Direction A. Adu Boahen. Unesco. 1989
Afrique Noire, Histoire et Civilisations, Tome II. Elikia M'Bokolo. Ed Hatier, Paris. 1992
Marianne et les colonies. Gilles Manceron. Ed La découverte, Paris 2003


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Contreculture. Travail forcé version 1.0