MERCURIALE DE DÉCEMBRE 2009

                "Chacun a le droit d'exprimer librement son appartenance à un peuple ou à une communauté nationale …" (Article 61 de la Constitution slovène)
             "Nous assumons le défi historique de construire collectivement l'État Unitaire, Social, de Droit, Plurinational, Comunautaire …" ( Préambule de la Constitution bolivienne)
             "Nous, peuple multinational de la fédération de Russie… " (Préambule de la Constitution russe)
             "Dans le combat pour la sauvegarde de l’union des ethnies, il faut s’opposer au chauvinisme de la grande ethnie…" (Préambule de la Constitution chinoise)
 
            L’administration me considère comme un citoyen français de nationalité française.
 
            Pourquoi n’est-il pas possible d’être un citoyen français de nationalité bretonne ? La différence entre citoyenneté et nationalité est admise un peu partout en Europe. Les citoyens britanniques peuvent être de nationalité écossaise ou galloise, et personne ne leur conteste cette double identité. Outre-manche, la différence existe entre folk, qui se réfère à une nationalité ou à une culture, et people, qui se réfère à la citoyenneté. Les Français n’ont qu’un seul mot, peuple ; d’où leur handicap pour penser l’identité.
 
            La pesanteur de l’identité française vient de cette surcharge. Les Boliviens, les Chinois, les Finlandais, les Hongrois, les Polonais, les Roumains, les Russes, les Slovènes, les Vietnamiens ont inscrit dans leur Constitution la différence entre citoyenneté et nationalité. Les Français se réfugient dans leur pauvreté de langage pour refuser une réalité qui est pourtant constitutive de l’Europe ancienne et nouvelle. Certes, leur conception de la démocratie en est simplifiée. Mais l’alignement citoyen, est-ce encore de la démocratie ?
            La différence entre citoyenneté et nationalité n’est pas nouvelle. Elle existait avant l’émergence de ces chimères androgynes et paranoïaques que l’on nomme les états-nations. Au temps de Charlemagne, les lois civiles étaient liées à la nationalité. Le juge demandait au plaignant "Quo jure vivis ?". Sous quelle loi vis-tu ? Il appliquait alors les coutumes ou les codes correspondant. Cela n’empêchait pas l’empereur de maintenir l’ordre, de prélever un tribut et d’enrôler des troupes.
            Avec la construction européenne, cette distinction revient à l’ordre du jour. Dans le cadre français, la Bretagne possède un statut de région administrative, ce qui correspond à un aménagement de la citoyenneté française. La structure régionale permet au peuple (people) breton de s’exprimer politiquement, même si cette expression est pour l’instant partielle et tronquée. Dans le cadre européen, le statut de minorité nationale est celui qui convient le mieux au peuple (folk) breton. Il finira par l’obtenir. Il a le soutien de députés bavarois, flamands, catalans ou écossais. Il récupère le soutien de tous les nouveaux adhérents, qui constituent la majorité des Etats membres. Comme condition à leur adhésion, l’Europe ne leur a-t-elle pas demandé de reconnaître les minorités nationales ?
 
            La nationalité inspire une vision de la vie, et donc des comportements. La citoyenneté produit des normes. La France républicaine court après des normes comportementales. Elle confond être ensemble et percevoir la même chose. Elle croit en une démarche citoyenne, qui serait un comportement correct, unique et contraignant. La France laïque, avec ses inquisiteurs, est bien la fille aînée d’une église monothéiste.
            L’identité, individuelle ou collective, est en réalité une mosaïque en évolution. Ce n’est ni un lingot d'or pur, ni une âme immortelle, ni un destin écrit d'avance. La prise en compte de la diversité, qu’elle soit culturelle, linguistique, religieuse ou autre, rendrait la citoyenneté plus légère. Certains en concluent qu’elle en serait altérée. J’en conclus pour ma part qu’elle en deviendrait supportable.
 
            L’identité nationale à droite et l’identité politique à gauche ont le charme d’une saga aux parfums surannés. Que ces récits sont beaux ! Que ces mythes sont généreux ! Mais ni le roman national français, ni l’épopée ouvrière ne font plus vibrer les jeunes générations. Ceux que l’on appelle les digital natives ont pris l’habitude d’inventer l’histoire dont ils sont les héros. Ils ne comprennent pas le monde d’avant l’internet, dans lequel la nation, la classe sociale ou la religion ordonnaient les solidarités, et où l’industrie produisait des marchandises standardisées. Ils sont post-industriels. Ils sont multimédias, polymorphes, interconnectés, changeants, impatients. Ils égrènent leurs identités multiples au fil des alias et des avatars.
 
            Pourquoi l’identité bretonne est-elle aujourd’hui plus attrayante que l’identité française ? La Bretagne est trop exiguë pour que l’on puisse s’y replier, ce qui n'est pas le cas de la France. Même si la Bretagne est pour nous essentielle, même si elle donne un sens à l’ensemble, elle n’est que l’une des pièces de notre puzzle identitaire. Notre pays conjugue la singularité, la liberté et la diversité, qui sont les valeurs des digital natives. Incapable de constituer un état-nation, mais excellente dans son rôle de communauté tribale, la Bretagne est à son aise dans l’univers du 21ème siècle.
 
            A priori, je veux bien reconnaître ma part d’identité française. Mais si, pour cela, il me faut confondre nationalité et citoyenneté, me soumettre à des normes comportementales, déprécier mes autres liens et mes autres cultures, alors cette solidarité ressemble à un collier étrangleur. La nécessité et le plaisir d’évoluer est incompatible avec cette étouffante conception de l’identité.
            Demain, je serai un citoyen européen de nationalité bretonne.
JPLM

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Mercuriale décembre 2009